Le régime politique en vigueur au Tchad depuis 1990, avec lequel le consortium pétrolier et la Banque mondiale ont conclu un accord d’exploitation du champ de Doba, est caractérisé par un pouvoir » concentré entre les seules mains du président » (1) Idriss Déby. Ce pouvoir est l’objet, de façon récurrente, d’accusations graves quant aux violences politiques qu’il met en oeuvre et quant à sa corruption.
D’année en année, la Commission des droits de l’homme des Nations-Unies poursuit son examen de la situation des droits humains au Tchad (2). Elle a été rejointe, en juin 1999, par une résolution du Parlement européen invitant les institutions et les Etats membres de l’Union européenne à faire pression sur le Tchad afin qu’il respecte l’état de droit dans tout le pays. Cette action faisait suite à la torture et aux massacres, avérés, de plusieurs centaines de personnes dans le Sud du pays en mars 1999 par les forces de sécurité.
Les exemples d’assassinats politiques sont innombrables dans le Tchad du président Idriss Déby, tout comme à l’époque de son prédécesseur Hissène Habré. Le régime est coutumier du meurtre d’opposants, voire d’alliés devenus gênants. Un coopérant a pu décrire la tactique de Déby comme consistant à » sans cesse faire sentir à un esclave quelle est sa position « (3). Toutes les opérations anti-guérilla sont le prétexte à inspirer la terreur aux populations civiles : viols de femmes, pillage des biens privés, meurtres et tortures sont le lot habituel des différents groupes de l’armée.
D’autres » opérations » se situent en-dehors de tout contexte de conflit. C’est ainsi qu’en 1998, quinze chefs de village de la province méridionale du Logone-occidental ont été conviés à une réunion par le sous-préfet, puis tout simplement fusillés – un exemple pris parmi tant d’autres.
Soutien français et corruption
Les raisons de la perpétuation d’un tel pouvoir sont à rechercher, jugent de nombreux observateurs, dans le soutien persistant que la France lui apporte. La France, pour laquelle » le Tchad reste au centre du dispositif militaire français en Afrique « (4). C’est depuis le Tchad que la France peut projeter sa force d’intervention » Epervier » dans la région d’Afrique centrale. Au printemps de 1997, le programme de gouvernement du Parti socialiste (PS) français prévoyait l’abandon de ce dispositif et de la stratégie qu’il servait. Mais deux mois après l’arrivée au pouvoir du Premier ministre Lionel Jospin, la France prenait le parti inverse de consolider » Epervier « . Il est difficile d’imaginer une autre explication, d’une part aux déclarations répétées des gouvernements successifs français quant à la » démocratisation « prétendue du régime Déby ; et d’autre part, à l’appui logistique qu’apporte l’armée française à son homologue tchadienne dans les » actions » intérieures de cette dernière.
Plusieurs affaires criminelles de type mafieux et des cas de corruption à très grande échelle ont, enfin, émaillé la présidence d’Idriss Déby depuis son accession au pouvoir par la voie des armes en 1990. La Lettre du Continent faisait état, en 1999 (5) du détournement d’une aide taïwanaise de 48 millions de dollars vers une banque américaine. Par ailleurs, un conseiller d’Idriss Déby a été condamné à 20 ans de prison en Allemagne pour trafic de cocaïne. Il transportait 130 kilos de cette drogue dans des cantines officielles. D’autres affaires de faux-monnayage, de corruption de marchés publics et de drogue sont apparues ces dernières années. Elles avaient en commun d’affecter des proches du président.
Ces éléments pourraient être, parmi d’autres, à l’origine du retrait des compagnies Elf et Shell du consortium de Doba. François-Xavier Verschave, qui a enquêté sur le sujet, nous a affirmé que » pour que le projet soit opérationnel, il faut que Déby s’en aille. C’est ce que pensent certains des promoteurs de Doba, selon lesquels Déby n’offre pas les garanties nécessaires à l’exploitation d’un projet de quatre milliards de dollars. « En principe, les revenus de Doba ne devraient pas arriver avant le départ du président actuel. Mais le député tchadien d’opposition Ngarléjy Yorongar nous a déclaré, pour sa part, que des avances sur recettes auraient déjà été versées et dilapidées par le régime. Le gouvernement tchadien a reconnu, en mai, avoir touché une avance de 15 milliards de F CFA (150 millions de FF). Qu’en est-il réellement ? Force est d’admettre que nous n’en savons rien.
(1) Selon le rapport parlementaire français de 1999
(2) Dans le cadre de la procédure confidentielle prévue par la résolution 1503
(3) Cité par François-Xavier Verschave, » Noir Silence « , p. 165
(4) Titre d’un article du journal Le Monde, 10 septembre 1998
(5) Article intitulé « Tchad, une saison des pluies rebelles », publié le 20 mai 1999. Information reprise notamment par N’djamena Hebdo