Le téléfilm Djihad, du réalisateur français Félix Olivier, sera diffusé en deux parties, jeudi et vendredi, sur la chaîne Canal+. Ce « film naturaliste » colle au plus près la réalité. Il raconte l’embrigadement de jeunes musulmans d’une banlieue française par des extrémistes et leurs aventures pendant la guerre d’Irak. Interview du réalisateur Félix Olivier.
Djihad n’est pas un film qui juge, mais qui raconte. Il raconte, sur 14 mois, l’embrigadement de trois jeunes maghrébins de la banlieue française de Sarcelles par des extrémistes musulmans. Leur voyage en Syrie qui doit parfaire leur connaissance du Coran mais les transforme en machine de guerre. Leur combat en Irak contre la force d’occupation américaine. Il dévoile aussi la corruption de diplomates français dans l’opération des Nations Unies (Onu) Pétrole contre nourriture. L’œuvre du réalisateur français Félix Olivier est une fiction, mais il colle à la réalité et à l’actualité : des Français ont été arrêtés rapatriés de Syrie alors qu’ils s’apprêtaient à passer en Irak pour livrer bataille. Djihad sera diffusé ces jeudi et vendredi sur la chaîne Canal+. Félix Olivier revient sur ce film en deux parties, « L’aveuglement » et « Le réveil », né d’une longue réflexion sur les attentats de 2001 à New York (Etats-Unis) et la guerre en Irak.
Afrik.com : Pourquoi avoir réalisé ce film ?
Félix Olivier : Je vais essayer d’être bref. J’habite aux Etats-Unis depuis 25 ans et je venais de terminer le montage d’un long-métrage lorsque les attentats de 2001 sont arrivés. C’était mon anniversaire, je n’habitais pas loin du lieu du drame… Comme tout le monde, j’ai été choqué. Au bout de quelques temps, avec des amis, je me suis demandé quelles étaient les motivations et les raisons profondes de ceux qui ont commis les attentats. Et j’ai eu l’impression d’enfreindre un tabou. Pour eux, l’Amérique était le bien, les terroristes le mal, et le mal avait attaqué le bien. Ça m’a désarçonné parce que je ne pouvais pas avoir de discussion de fond sur le sujet. Par ailleurs, lorsque [le premier ministre Dominique] de Villepin s’est exprimé à la tribune de l’Onu en disant que la France s’oppose à la guerre en Irak, je me suis dit que mon pays faisait quelque chose de noble. Je n’étais pas déçu par mon pays d’accueil, mais je me disais que la France avait eu un certain courage politique. Mais lorsqu’il y a eu l’invasion, elle s’est vite ralliée au consensus, elle a fait profil bas et [la secrétaire d’Etat américaine] Condoleeza Rice a été reçue à l’Elysée. On sait que l’invasion a été une réussite, mais l’occupation beaucoup moins.
Afrik.com : Comment l’idée vous est-elle venue ?
Félix Olivier : Fin août 2004, mon co-scénariste américain Richard Schlesinger m’a parlé des jeunes djihadistes capturés en Afghanistan et en Irak et on s’est dit qu’il serait intéressant de commencer par ça et de continuer sur la guerre en Irak, racontée d’un point de vue français. Avec les réseaux de la chiraquie, de [l’ancien ministre de l’Intérieur Charles] Pasqua, des anciens diplomates français qui ont touché énormément d’argent dans le programme Pétrole contre nourriture. Nous avons fait un énorme travail de documentation et interrogé des consultants pour réaliser le film.
Afrik.com : Votre film est scindé en deux parties « L’Aveuglement » et « Le Réveil »…
Félix Olivier : Il s’agit de l’aveuglement des djihadistes embrigadés par des personnes qui les envoient au casse-pipe, du diplomate du Quai d’Orsay qui pense que la voix de la France peut changer le cours de l’histoire… « Le Réveil » raconte les conséquences des actes de chacun.
Afrik.com : Votre film est une fiction très réaliste. Dans quel genre classeriez-vous Djihad ?
Félix Olivier : Les gens me disent assez souvent que cette façon de faire est assez révolutionnaire, qu’on n’a pas l’impression de regarder un téléfilm français, que ça fait vraiment film de cinéma. Pour ma part, j’estime avoir fait un film naturaliste. Un film où tout concourre à être le plus près de la réalité : le jeu des acteurs, les techniques de lumière ou de tournage. Le montage est vif, enlevé… Ce n’est pas un film contemplatif, ce qui n’empêche pas qu’il y ait des « virgules ». C’est Ken Loach, le style de film que l’on faisait dans les années 1970. Je me revendique de cette école.
Afrik.com : Craignez-vous que l’on vous taxe de juger tel ou tel camp ?
Félix Olivier : Nous avons passé beaucoup de temps à expliquer que le film n’est pas anti-américain et pas anti-arabe. C’est un film contre les errements, les manipulations et la guerre en général. Il dénonce ce qui se passe en Irak, le comportement des français par rapport à ses intérêts pétroliers… Il y a des djihadistes que l’on ressent de l’intérieur, on a de l’empathie pour eux, mais cela n’excuse en rien leurs actes. Dans cette histoire il n’y a pas de gagnant ou de perdant, ni de bon ou de méchant. Il n’y a pas de héros. Le film n’est pas manichéen, il ne juge pas.
Afrik.com : Avec le contexte actuel, pensez-vous que le film va stigmatiser l’islam ?
Félix Olivier : Le film n’est pas là pour faire peur aux gens. Ce n’est pas du tout une critique de l’islam mais de son instrumentalisation. Mon coscénariste connaît le coran par cœur et nous avons bien pris le temps de faire les scènes rituelles et de respecter les paroles saintes. Dans tous les cas, nous avions des acteurs pieux qui n’auraient jamais accepté que l’on critique l’islam.
Afrik.com : En ce qui concerne les banlieues, estimez-vous qu’il existe un risque que le film ternisse davantage leur image ?
Félix Olivier : Encore une fois, dans le traitement du film on n’utilise pas d’archétype. La banlieue du film n’est jamais rendue déprimante. Elle est verdoyante, on y est solidaire, elle n’est pas présentée comme un ghetto. Les jeunes s’expriment et sont très différents : l’un est engrené, un autre cherche de l’action et le dernier est pieux et réfléchi. Ce qui le pousse à s’engager c’est le choc qu’il a eu en attendant le discours du Président George Bush qui diabolisait l’islam.
Afrik.com : Pourquoi avoir tourné dans des villages arabes d’Israël ?
Félix Olivier : Avec le coscénariste nous avons fait ce choix à cause de la proximité géographique, parce que les mosquées y sont moyen-orientales, à la différence du Maghreb, que le faciès des figurants ressemblait à ceux de l’Irak, que nous avions à disposition du matériel militaire américain.
Afrik.com : Comment s’est passé le casting ?
Félix Olivier : J’ai auditionné environ 80 jeunes acteurs pour le casting et certains m’ont dit qu’ils étaient content que l’on fasse un film sur ce sujet car ils connaissaient des éléments un peu suspects qui tournaient autour des boîtes de nuit et tentaient de faire du prosélytisme.
Afrik.com : Le personnage de Delphine Le Guen, travailleur humanitaire, est calqué sur celui d’une femme qui a réellement existé. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Félix Olivier : Ce personnage est modelé à partir de Margaret Hassan, qui était mariée à un Irakien et dirigeait Care International. Elle a été la première femme otage tuée. Ce qui est intéressant lorsque l’on fait un film sur l’histoire immédiate, c’est que l’on se rend compte que les gens oublient vite ces choses-là.
Afrik.com : Pensez-vous qu’un jour votre film passera au cinéma ?
Félix Olivier : Cela demanderait un travail de remontage et des moyens financiers considérables. Trois heures dix au cinéma, ce n’est possible que pour les grosses productions. Mais je pense que le producteur envisage d’exporter le film aux Etats-Unis et un peu partout ailleurs.
Afrik.com : Pourquoi avoir choisi Canal+ pour diffuser le film ?
Félix Olivier : J’avais une relation privilégiée avec la chaîne et ils se sont montrés tout de suite séduits par le projet. Ils ont vu que le sujet pouvait aller loin et vraiment devenir quelque chose d’intéressant.
Afrik.com : Le mot de la fin ?
Félix Olivier : Comme le dit Youssef (interprété par Saïd Taghmaoui, ndlr), la vraie définition du djihad est un combat intérieur pour lutter contre ses mauvaises pensées, ses mauvaises actions. Lorsque Youssef s’aperçoit qu’il se bat contre les chiites, il se réveille et dit : « Les sabres de l’islam ne devraient jamais se croiser ».
« Djihad », un film de Félix Olivier produit par Noé Productions. Avec Slimane Hadjar, Saïd Taghmaoui, Adel Benchérif, Marianne Denicourt et Thierry Frémont
Diffusé sur Canal+ à 20h50 ce jeudi 30 novembre et vendredi 1er décembre