Des milliers d’immigrants irréguliers sont attendus ce week-end dans la gare de Djibouti. Le gouvernement de la petite République leur a ordonné de quitter le territoire national avant le 15 septembre sous peine d’être expulsés par la force. Une décision officiellement motivée par des impératifs « sécuritaires » derrière lesquelles plane l’ombre des Etats-Unis.
La guerre déclarée par les Etats-Unis au terrorisme a fait de nouvelles victimes co-latérales. Fin juillet, le gouvernement djiboutien a ordonné à ses immigrants irréguliers de quitter le pays avant le 31 août en invoquant des raisons « sécuritaires » et en les menaçant d’être « raflés » puis expulsés. Des responsables de l’administration djiboutienne ont avancé sous couvert d’anonymat que l’ultimatum, repoussé au 15 septembre, avait été fixé notamment sous pression américaine. Les Etats-Unis ont fait de la petite République (23 200 km2) leur base dans la lutte anti-terroriste qu’ils mènent dans la sous-région, notamment sur le territoire somalien, soupçonné d’accueillir des camps d’Al-Qaeda. Ils avaient récemment mis en garde les autorités nationales contre de possibles attaques terroristes visant des intérêts occidentaux. Ce qui aurait pu déclencher cette réaction, selon la FIDH*. Pour sa part, la puissance américaine assure ne pas être impliquée dans cette opération, que ce soit au niveau de la « conception ou de l’exécution ».
C’est devant le flot de clandestins, à majorité éthiopiens, qui se sont rués dans les gares et l’impossibilité technique pour eux de quitter le pays dans les temps, que le gouvernement a finalement repoussé l’ultimatum au 15 septembre. « Nous n’avons jamais vu autant de personnes dans la gare de Djibouti qu’à la fin de ce mois de juillet, assure un conducteur de train des Chemins de fer Djibouto-Ethiopiens (CDE). Mais depuis la rallonge gouvernementale, il n’y a plus personne. Ils doivent tous attendre le dernier jour ». Selon l’Office national djiboutien d’assistance aux réfugiés et sinistrés (Onars), qui dépend du ministère de l’Intérieur, près de 60 000 personnes ont déjà quitté le pays, qui compte 630 000 habitants. Le nombre d’immigrants clandestins, difficile à évaluer, serait d’environ 100 000.
Un havre de paix
La République de Djibouti fait figure de havre de paix dans cette aire déchirée par les guerres. Le conflit érythréo-éthiopien au nord et l’anarchie politique en Somalie, livrée aux chefs de guerre, y a attiré des milliers de demandeurs d’asile et de réfugiés politiques. Les migrants économiques ne sont pas moins attirés par cette enclave où la présence française(2750 soldats) et américaine (1500 soldats) assure un certain équilibre économique. Reste au gouvernement djiboutien et au Haut commissariat aux réfugiés (HCR) à faire le tri entre les migrants politiques, autorisés à rester sur place, et les travailleurs illégaux, invités à regagner leur pays.
Le camp d’Aour-Aoussa, mis en place fin août à 100 km au sud de Djibouti-ville, a déjà accueilli entre 6 et 8 000 personnes, selon l’Onars et le HCR. « Selon la convention de l’Union africaine, les individus originaires du sud somalien sont considérés comme des réfugiés, explique le responsable du HCR à Djibouti, William Collins Assare. Tous les autres devront attendre que la Commission d’éligibilité du gouvernement djiboutien ait étudié leurs dossiers pour obtenir ou non une attestation de demandeur d’asile. La République de Djibouti compte actuellement 21 000 réfugiés dans les camps de Hrol Hrol et de Ali Adee, à 95 % Somaliens, et nous avons un chiffre plus ou moins fiable de 837 chefs de familles qui ont fait une demande d’asile. Ils sont à 80 % Ethiopiens ».
Sans patrie
« Selon le gouvernement, près de 60 000 clandestins ont déjà quitté le pays, sans passer par le camp d’Aour-Aoussa. Pour beaucoup, il s’agissait de domestiques, pour les femmes, et de gardiens, pour les hommes. Nous n’avions pas l’impression qu’ils avaient des problèmes particuliers. Ils faisaient la navette entre leur pays et Djibouti. La plupart sont partis avec dignité », explique William Assare. Mais pour Mohamed Mahmoud, habitant de Djibouti-ville, « même s’ils n’avaient pas pris la peine de régulariser leur situation, nombre des clandestins qui ont fui le pays se considéraient comme Djiboutiens. Certains y vivaient depuis une dizaine d’années et sont partis en abandonnant leurs affaires, leurs commerces… ». Et se voient aujourd’hui dans l’obligation de recommencer leur vie dans un pays qu’ils ne connaissent que très peu voire pas du tout.
* Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme