Après avoir sinon organisé au moins entretenu le silence sur sa vraie fausse mort, en 2004, Paul Biya veut nous refaire le coup du retour triomphant. En effet, huit ans après, pratiquement jour pour jour, c’est son épouse qui a fait les frais d’une rumeur donnant le couple présidentiel au bord de la rupture, quand elle n’était pas irrémédiablement atteinte d’une maladie chronique : depuis cinq mois, les Camerounais ont aimé s’abreuver de bruits du « marché noir de l’information ».
Comme il y a huit ans, on s’est presque tous engouffrés dans la brèche, on a supputé, on a commenté et donné de la résonnance à une absence que seuls son caractère inhabituel, sa durée et le mystère l’entourant devaient rendre digne d’intérêt.
Paul et Chantal Biya : jusqu’à ce que la mort les sépare ?
« Le mercredi 9 juin 2004 vers 9h30 du matin, un Paul Biya radieux, en costume bleu, accompagné de son épouse habillée en rose, de Brenda et de Junior, quittent l’hôtel Intercontinental en direction de l’aéroport de Genève. À 15h50, le Boeing présidentiel de la Camair atterrit à Yaoundé-Nsimalen, attendu par une foule en délire. » Voilà comment, dans Jeune Afrique, François Soudan décrivait le retour glorieux de Paul Biya. Mieux qu’un communiqué, son retour mettait un terme aux folles rumeurs dont la paternité avait été attribuée à The African independent (de Ndzana Seme aux USA) et Camerounlink (de Jean Biangue Tinda, en Allemagne).
En fait, les promoteurs de ces médias, et par suite les Camerounais, n’avaient-ils pas tout simplement été manipulés par le president Biya, lecteur intelligent de Machiavel et Noam Chomsky ? Tout est là.
On prend les mêmes et on recommence, à croire que l’on ne se lasse pas des comédies réussies. Les rumeurs de ces derniers mois concernant la Première dame sont les plus persistantes qui aient circulé depuis huit ans sur le couple présidentiel.
En 2004, le SGPR avait pondu un communiqué où il démentait sans conviction les rumeurs. Aujourd’hui, c’est plutôt le cabinet civil qui s’exprimerait sur le sujet. Mais il n’a rien laissé filtrer de ce que la Première dame fait à Paris, trop occupé peut-être à la production de son mensuel Le temps des grandes réalisations.
D’ores et déjà, Paul Biya, qui avait donné rendez-vous vingt ans plus tard à ceux qui annonçaient sa mort, pourra toujours donner rendez-vous à la même date (c’est-à-dire dans 12 ans, après 30 ans de mariage) à ceux qui disaient que son couple avait volé en éclats.
Atalaku géant à Chantal Biya
Au Cameroun, on a su s’approprier l’atalaku ivoirien, qui initialement est une pratique de DJs. Qui consiste à couvrir de louanges intéressées et hyperboliques une personnalité. Laquelle, en retour, inonde le DJ de grosses coupures. Au Cameroun donc, les artistes sont devenus des spécialistes de l’atalaku, ils truffent leurs compositions de « dédicaces spéciales » aux directeurs généraux, aux ministres, et aux personnalités du show-biz, toutes affublées d’épithètes super héroïques. Il faut dire que la contamination était prévisible, les DJs étant de plus en plus vus comme des artistes à part entière.
Mais le terreau mouvant sur lequel l’atalaku prospère actuellement de manière fort inattendue, c’est le journalisme. Naguère réservée à ceux que les professionnels reconnus du métier appelaient « journalistes du Hilton », la pratique de l’atalaku tend à se généraliser. On cite, défend, invite des quidams… Et le Saint-Esprit passant par là, une réservation de salle, quelques invitations à la presse et un cocktail plus tard, des non-entités politiques ou artistiques sont transformées en politiciens ou écrivains du Hilton : « du Hilton » est chez nous une locution adjectivale particulièrement péjorative. Et ceci bien avant que Djomo Pokam Narcisse, en août 2006, ne soit défénestré à partir d’une chambre de cet hôtel. En plein jour. Sans que la police, la justice et ledit hôtel n’aient jamais élucidé cet assassinat barbare.
Le président de la République est actuellement en Europe, « pour un bref séjour privé » (comme en 2004). Le quotidien L’Actu croit savoir qu’il en reviendra avec sa dulcinée. On peut s’attendre à un immense atalaku dans les prochains jours, quand Paul Biya, au sujet duquel un journal (Emergence) titrait récemment « Très affaibli » et que l’on a tous vu fatigué à la télévision, reviendra avec sa moitié, étincelant de bonheur, illuminé par les projecteurs, assailli par des journalistes bienveillants et un peuple acquis à vie à sa cause. Des groupes de danse seront là, les militants de son parti, des représentants de la Fondation Chantal Biya, du CERAC. Il se trouvera sans doute un DJ de Yaoundé pour dire ce soir-là, en boite de nuit, à propos du n°1 camerounais : « Cet homme c’est pas président, c’est génie. Plus fort que la force. C’est pas cerveau, c’est ordinateur.»
Mais pendant combien de temps encore le plus fort sera-t-il plus fort que la force ?