Discrimination à l’emploi : « C’est pas encore une Rachida qui appelle ? »


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Quatre fois sur cinq, un candidat « d’origine hexagonale ancienne » est favorisé par rapport à un demandeur d’emploi français d’origine africaine, selon un rapport du Bureau international du travail publié mercredi. Le verbatim de l’enquête, réalisée à partir de « testings », est éloquent. A pleurer de rire ou d’affliction.

Bakari Bongo, le candidat fictif du Bureau international du travail (BIT), appelle le premier la société X, qui cherche à pourvoir un poste de téléprospecteur. « _ Bonjour. C’est monsieur Bongo Bakari à l’appareil, est-ce que je pourrais parler à madame Y s’il vous plaît ? _ Ne quittez pas [attente d’environ 20 secondes… puis la même personne] C’est à quel sujet ? _ C’est au sujet du poste de téléprospecteur, qui m’intéresse _ Ah il est déjà, euh…il est…excusez-moi, il est déjà pourvu _ Ah d’accord. Ok _ Voilà… désolée _ Merci au revoir _ Au revoir. » Julien Roche, qui appelle derrière et à qui le responsable du recrutement indiqué sur l’annonce accepte immédiatement de parler, décroche un rendez-vous pour le lendemain.

Quatre fois sur cinq, les entreprises testées par le BIT, au cours d’une enquête publiée ce mercredi, ont préféré embaucher un candidat « d’origine hexagonale ancienne » plutôt qu’un autre dont le nom laissait supposer une origine maghrébine ou subsaharienne. 9/10 de la discrimination globale, indique le rapport, est enregistrée avant même que les deux testeurs ne soient reçus en entrevue. Au total, seulement 11% des employeurs « ont respecté tout au long du processus de recrutement une égalité de traitement entre les deux candidat(es), indique le rapport.

En collaboration avec le ministère de l’Emploi, le BIT a répondu à 2 440 offres d’emploi entre fin 2005 et mi 2006. Elles concernaient les bassins d’emploi de Lille, Lyon, Marseille, Nantes, Paris et Strasbourg et les secteurs de l’hôtellerie-restauration, du commerce, des services à la personne, aux entreprises et aux collectivités (santé, action sociale) ou encore du transport et de l’accueil. Les candidats, des comédiens âgés de 20 à 25 ans, étaient tous Français et disposaient de curriculum vitae semblables en terme de scolarité et d’expérience professionnelle.

Latifa ou Laetitia ?

Dans 28% des cas testés, détaille le BIT, l’employeur a donné des réponses différentes aux deux candidats, trois fois sur quatre au détriment du demandeur d’emploi d’origine maghrébine ou subsaharienne. Lorsqu’ils ont été convoqués pour un entretien ou une évaluation (13,3% des cas), le candidat d’origine française apparemment plus récente était également favorisé. Une des pratiques la plus courante vise à mettre en attente le demandeur d’emploi d’origine africaine tout en poussant le processus plus loin avec son concurrent « français ».

Dans la majorité des cas (32,8%), les deux candidats ont reçu une réponse négative dès le premier contact. Mais même dans cette situation pouvait ce nicher une discrimination non répertoriée dans l’enquête. Pour, par exemple, un poste de vendeuse en prêt-à-porter, l’employeur use de toute son énergie pour décourager Latifa Boukhrit, lui expliquant qu’il a reçu une personne expérimentée le matin même et insistant sur la pénibilité du trajet entre sa résidence et le commerce. A Marion Roche, qui habite la même commune que Latifa, le commerçant indique qu’il est préférable de prendre le train et lui donne même les horaires. Ni l’une ni l’autre ne seront recrutées, mais l’employeur indique à Marion et à elle seule, comme cela a été relevé à de nombreuses reprises, qu’il la rappellera « si la personne à l’essai ne convient pas ».

A quelques occasions seulement le caractère raciste du refus d’embauche a été patent. C’est le cas lorsque Latifa engage une conversation cordiale avec une restauratrice qui recherche une serveuse, avant que celle-ci ne comprenne que la postulante ne s’appelle pas Laetitia, comme elle l’avait compris, et change de ton. Ca l’est encore plus lorsque cet autre restaurateur à la recherche d’un commis de cuisine refuse de prendre Farida Larbi au téléphone mais qu’il parle à Emilie Moulin, non sans avoir demandé en aparté à son employé si « c’est pas encore une Rachida qui appelle ».

A une seule occasion, lorsqu’elle a été ouvertement exprimée, la discrimination raciste a favorisé le candidat d’origine africaine. « J’ai un cuisiner originaire de Sétif (est de l’Algérie) qui visiblement n’accepte pas tellement les musulmans non pratiquants », a expliqué un patron de restaurant à Farid Boukhrit. Il lui a offert de l’embaucher sans rappeler Julien.

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