Attendu depuis des mois, le discours d’Abdelaziz Bouteflika à la nation, vendredi dernier, n’a pas convaincu la presse algérienne. Depuis, Les articles décortiquant l’allocution se succèdent et dénoncent « un discours d’autosatisfaction et d’effets d’annonce ».
La presse n’est pas tendre avec le dirigeant algérien. « Grand désaveu pour Abdelaziz Bouteflika », titrait l’éditorial du quotidien El Watan ce mardi. Il faut dire que le discours du président algérien n’a pas été à la hauteur des promesses. Les Algériens sont restés sur leur faim alors qu’ils attendaient des réponses au profond malaise qui secoue le pays depuis des mois. Vendredi soir, Abdelaziz Bouteflika a annoncé un programme de réformes politiques prévoyant d’ici un an une modification de la Constitution et de la loi électorale. Le dirigeant s’est exprimé pendant près de 20 minutes, « expédiant sur un ton monocorde un discours censé annoncer un nouvel élan et un redémarrage des réformes », estime Salim Rabia du journal Maghreb Émergent, qui a trouvé « le chef de l’État fatigué » après une longue période de «catalepsie politique», selon l’expression du Quotidien d’Algérie.
Déception algérienne
Les « unes » de la presse indépendante illustraient largement ce sentiment de déception samedi : « loin des attentes des Algériens » titrait El Watan le lendemain de l’allocution télévisée. « Bouteflika ignore l’opposition », estimait pour sa part El Khabar. Le journal Le Soir dresse également le même constat en écrivant que « Bouteflika déçoit ». Toujours dans son édition de samedi, le quotidien El Watan considère que le dirigeant algérien « s’est fait la voix d’un système qui veut garder les choses en main en faisant miroiter des réformes qui ne le sont pas ». Dans ses colonnes, le journal accuse même Abdelaziz Bouteflika de chercher à « gagner du temps » face à la gronde des Algériens en attendant le scrutin présidentiel de 2013. Le chef de l’Etat, âgé de 74 ans, a fait amender en 2009 la Constitution afin de pouvoir briguer un troisième quinquennat alors que les mandats présidentiels étaient limités à deux. Effectivement, il n’a pas évoqué dans son discours un éventuel changement du gouvernement ou une dissolution de l’Assemblée nationale.
Seule l’agence Algérie Presse Service voit dans ce discours « un pas audacieux ». L’article donne la parole à des enseignants de l’université d’Alger comme Mohand Berkouk, professeur de sciences politiques, qui estime que les réformes annoncées par le président algérien constituent « l’amorce de l’élaboration d’un texte fondamental qui dessine les contours de la nouvelle République avec un système politique démocratique et une administration décentralisée et basée sur le service public ».
Un discours en décalage avec la réalité
Les annonces faites par Abdelaziz Bouteflika sont « insuffisantes et en décalage avec les réclamations des Algériens », selon plusieurs titres de presse dont Maghreb Émergent. « L’approche est centrée sur une révision des textes, alors que les demandes portent sur une libération des champs politiques et médiatiques », analyse le journal économique. « Le régime semble se donner les moyens de contrôler de bout en bout les réformes en décidant, seul, de la feuille de route. Et en la limitant à une révision des textes ».
Autre thème du discours, autre décalage. Abdelaziz Bouteflika annonçait vendredi soir, être parvenu au « rétablissement de la paix et de la concorde » en Algérie ainsi qu’à « la réconciliation nationale ». « Nouveau désaveu », selon l’éditorialiste du quotidien El Watan Tayeb Belghiche qui note qu’au même moment des terroristes d’Al Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) menaient une opération dans une caserne de l’armée algérienne dans la ville d’Azazga, tuant treize soldats et en blessant seize autres. « Malgré la perpétuation de la violence, (Abdelaziz Bouteflika) n’a pas voulu reconnaître son échec et a continué à jaser sur la réussite imaginaire de la «réconciliation», slogans qui a contribué à endormir la vigilance des citoyens », écrit le journaliste.
Craintes de la presse
Dans son allocution télévisée, le président algérien a annoncé la création d’une nouvelle loi sur l’information tout en restant assez vague sur son contenu. Le texte devrait « introduire les repères déontologiques et compléter la législation actuelle pour renforcer la démocratie », a expliqué Abdelaziz Bouteflika. L’annonce inquiète dans les rédactions du pays à l’image de celle du Temps d’Algérie qui s’interroge « sur les intentions du pouvoir par rapport à la presse, à la liberté de la presse et au rôle du journaliste algérien à travers la révision annoncée de la loi de l’information ». Une crainte légitime puisque la législation en vigueur « prévoit beaucoup de points positifs » comme un conseil supérieur à l’information, une loi sur la publicité et une carte nationale de presse. Le journaliste Khaled Haddag dénonce « un coup à blanc » dans les colonnes du Temps d’Algérie. « Bouteflika suggère de (réformer) à travers le code de l’information, sans jamais évoquer le code pénal qui lui prévoit de lourdes peines de prison pour les journalistes », déplore-t-il.
Dans son éditorial du jour, Le quotidien d’Oran conclut par l’interrogative. « Tous ceux qui, par leurs grèves, émeutes, sit-in et autres démonstrations de mécontentement, clament leur révolte contre les conséquences de ces faillites, vont-ils se contenter des réformes promises par ce pouvoir qu’ils ont fini par honnir irrémédiablement ? »