La Mauritanie est en deuil. La diva Dimi Mint Abba est décédée le samedi 4 juin à l’hôpital universitaire Cheikh-Zayed de Rabat, au Maroc, des suites d’une hémorragie cérébrale survenue le 25 mai. La chanteuse mauritanienne était âgée de 52 ans. L’Humanité perd une très grande dame et un pan de son patrimoine.
Dimi Mint Abba avait une voix exceptionnelle, certains la comparait à Oum Kalthoum ou à Nusrat Fathet Ali Khan. Dans tous les continents, on la surnommait « La Diva du désert ». Ali Farka Touré avait coutume de dire qu’elle était sa chanteuse favorite et Youssou N’Dour avait organisé une grande tournée avec elle.
La carrière de Dimi Mint Abba commença officiellement en 1976, lorsqu’elle remporta le 1er prix du concours « Oum Kalthoum » à Tunis avec la chanson « Sawt Elfan » (« La plume de l’Art ») : « la plume de l’art est à la fois un baume, une arme et un guide qui mène l’esprit de l’Homme vers la lumière », chantait-elle alors. Dès ses débuts, tous les ingrédients étaient réunis : l’art vocal, la poésie, une spiritualité profonde et simple qui sait parler à tous les cœurs. Et, surtout, un charisme incroyable sur scène (et dans la vie).
Elle était artiste de toutes ses forces, de toute son âme car tel était son destin. Issue d’une prestigieuse lignée d’Iggawin (équivalent des griots africains ou des troubadours occitans), elle était la fille de Sidaty Ould Abba -qui composa l’hymne de Mauritanie et présida la Société des Auteurs Mauritaniens – et de Mounina Mint Eida, musicienne virtuose. Comme sa mère, Dimi était une joueuse d’ardin émérite qu’elle pratiquait depuis âge de 10 ans. L’ardin est une harpe réservée aux femmes, qui est l’un des deux instruments emblématiques de la musique maure.
L’autre instrument traditionnel est le tidinit, luth acoustique réservé aux hommes. Et comme toujours avec Dimi, l’art et la vie passèrent leur temps à fusionner puisqu’elle épousa un grand joueur de tidinit : Khalifa Ould Eide (décédé en 2001). Avec lui, elle enregistra l’un ses deux seuls CD disponibles sur le marché international pour le label anglais « World Circuit », après avoir été recommandée au producteur Nick Gold par Ali Farka Touré.
La voix de la Mauritanie
Pendant longtemps, Dimi Mint Abba fut la seule représentante de la musique mauritanienne sur les grandes scènes internationales. Et elle avait cette conscience aiguë de représenter son pays, d’être l’ambassadrice de la musique maure et de tout son peuple.
Certains lui reprochaient d’être la chanteuse du pouvoir, d’être au service l’aristocratie. Elle levait alors les yeux au ciel, mi-désabusée mi-agacée, avec l’air de dire « décidemment… ils n’arrêteront jamais ! », car elle savait bien que parmi ses fans, on comptait aussi bien le roi Hassan II du Maroc que les petits vendeurs des rues de Nouakchott. Et elle était autant capable d’aller chanter pour les têtes couronnées lors de soirées privées, que d’improviser un concert pour une femme enceinte dans un bidonville. Elle réconciliait les générations et les ethnies. Impériale, elle surmontait les conflits qui déchiraient la Mauritanie à travers sa musique.
Figure emblématique de la culture du désert, Dimi Mint Abba est née en 1958 à Tidjikja, une ville historique fondée par une puissante tribu maure en plein Sahara. Elle a partagé sa carrière entre les soirées privées (mariages, fête) et les grands événements internationaux. Ceux qui ont assisté aux concerts du festival d’Essouira (Maroc, 2002), du Royal Albert Hall retransmis en direct à la BBC (Royaume Uni, 006), du Womad Adelaïde (Australie, 2009) ou à la tournée commune avec le Transglobal Underground en 1993 s’en souviennent encore.
Elle était plus qu’un monument national, car avec elle disparaît une part importante du patrimoine Saharien. C’est sans doute pourquoi le roi Mohamed VI avait mandaté l’une des meilleures équipes médicales marocaines pour la sauver. Mais malgré leurs compétences, ce fut un combat perdu. Dimi Mint Abba est décédée le samedi 4 juin 2011. A 7 heures le lendemain matin, le président mauritanien affrétait un avion (avec à son bord la ministre de la culture, le Chef d’Etat-Major de l’Armée de l’Air, et le conseiller pour les affaires islamiques) afin de la rapatrier à Nouakchott où elle a été enterrée.
Une musique venue du cœur
Mais Dimi n’était pas seulement une artiste hors norme ; elle était aussi une femme généreuse, intelligente et profondément gentille. Et si elle mettait de la vie dans son art, elle mettait aussi beaucoup d’art dans sa vie. Son groupe était composé de ses enfants, biologiques, apparentés ou adoptés. Que de fierté quand elle regardait sa fille Veyrouz, qui chantait avec elle depuis son plus jeune âge !
Veyrouz, l’héritière, est le fruit d’un double lignage artistique exceptionnel puisque son père, Seymali Ould Mohamed Vall, fut le premier mauritanien membre de « l’Académie des Beaux Arts du monde arabe ». Ses demi-frères sont également des musiciens chevronnés… En plus du poids du chagrin, elle porte désormais la responsabilité d’un héritage musical à nul autre pareil. Qu’il a dû faire froid sur le tarmac d’un aéroport marocain en cette aube du 5 juin, en attendant l’avion qui la ramenait avec la dépouille de sa mère vers Nouakchott et les centaines de fans en pleurs.
Une affection profonde nous liait Dimi et moi. Elle était mon amie, elle était ma sœur. Ton rire va me manquer. Au revoir, Dimi. Puisse ta voix accompagner désormais les vents du désert.
Par Magali Bergès