Au lendemain des émeutes de la vie chère en Algérie, la société civile s’efforce de mobiliser les citoyens pour réclamer des réformes démocratiques. Mais entre un pouvoir répressif et une opposition sans assise, les appels à mobilisation ont du mal à trouver écho parmi la population.
Comment transformer un mouvement de contestation sans mot d’ordre ni slogans clairs en revendications politiques ? Un cri de colère en force de proposition ? Au lendemain des violentes émeutes qui ont secoué l’Algérie, mouvements politiques, syndicats et associations essaient non sans peine de mobiliser les citoyens. Cette explosion de colère était intervenue à la suite d’une importante et subite hausse des prix des produits alimentaires de base, notamment l’huile et le sucre. Le gouvernement avait immédiatement pris des mesures pour faire baisser les prix et déclaré la « page tournée ». Reste que ce mouvement de contestation n’est que la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, face au problème endémique du chômage, la corruption, le clientélisme et la mal-vie de toute une jeunesse marginalisée. « Il faut sortir de la logique du gouvernement qui parle d’émeutes du sucre et présente les émeutiers comme des voyous », affirme Adlène Meddi, rédacteur en chef de l’hebdomadaire El-Watan week-end. « Et ce en ramenant le débat sur la gouvernance, les libertés, la levée de l’état d’urgence ». Un pari difficile.
Timide mobilisation étudiante
L’appel à une grève générale à l’université de Bouzaréah à Alger a fait chou blanc mardi. « On nous interdit d’afficher pour annoncer quoi que ce soit. Du coup, on se contente du bouche à oreille (…), mais ce n’est pas évident», confie à TSA-Algérie une jeune étudiante, de l’association Nedjma, à l’origine de la grève. La marche organisée le lendemain, mercredi, à l’université Abderrahmane Mira de Bejaïa, en Kabylie, a eu plus de succès. Soutenus par les enseignants, les étudiants ont marché de leur campus jusqu’au siège de la wilaya. Entre autres slogans brandis : « Non à la corruption, non au chômage, non à la précarité de l’emploi », « Pour les libertés individuelles, collectives et syndicales ». Mais globalement, les étudiants algériens, pourtant très exposés au chômage, ont très peu relayé la contestation qui a secoué le pays entre les 5 et 10 janvier. Il faut dire que l’université algérienne est fortement contrôlée par des associations étudiantes affiliées aux partis proches du pouvoir, comme l’Union nationale des jeunes algériens (Unja) et l’Union nationale des étudiants algériens (Unea).
Si la société civile peine à mobiliser, « c’est par ce qu’elle n’est pas structurée, estime Adlène Meddi. A cause du manque de libertés, les syndicats n’arrivent pas à être en contact avec les gens dans leur vie quotidienne. La presse indépendante et les syndicats autonomes ne sont qu’une soupape de sécurité pour le pouvoir. »
…Et dans la rue
Plusieurs partis d’opposition ont dénoncé la répression des émeutes et réclamé des réformes politiques, notamment la levée de l’état d’urgence en vigueur depuis février 1992, l’ouverture du champ audiovisuel et le respect des droits d’association et de manifestation. Par contre, ils sont très peu, à l’instar du Rassemblement pour la Culture et la Démocratie (RCD), à entreprendre des actions de protestation. Le parti de Saïd Sadi a appelé à un rassemblement mardi 18 janvier à Alger. Mais il a essuyé, jeudi, un refus catégorique du ministère de l’Intérieur alors que les autorités n’avaient eu de cesse durant les émeutes d’exhorter les jeunes à manifester pacifiquement…
Soutien aux émeutiers
Plusieurs associations et partis d’opposition ont appelé à la libération des détenus des émeutes. A Tizi Ouzou, en Kabylie, un collectif d’avocats s’est constitué, mercredi, pour défendre bénévolement les 19 émeutiers interpellés et présentés devant le parquet le 10 janvier dernier.
Les appels à la mobilisation se multiplient sur les réseaux sociaux. Mais, pour l’instant, il est difficile de savoir s’ils seront suivis ou pas. Un rassemblement d’artistes et de citoyens est ainsi prévu samedi 13 janvier à la place de la Liberté de la presse, à Alger, « pour ne pas réduire les émeutiers à des tubes digestifs et à de vulgaires pilleurs », annonce sur sa page Facebook le journaliste Karim Kebir du quotidien Liberté. A Batna, dans l’est du pays, des artistes ont tenu un rassemblement devant le théâtre régional. Une initiative dont ils espèrent qu’elle fera tâche d’huile.
Les émeutes de la vie chère en Algérie ont fait cinq morts, 800 blessés et plus de 1000 arrestations.