Le Congrès des députés espagnols a voté, le 25 novembre dernier, une proposition (qui na pas force de loi) visant la « reconnaissance institutionnelle de l’injustice commise à l’encontre des Morisques », les descendants des populations musulmanes (converties de force au Christianisme en 1502) expulsées d’Espagne au XVIIème siècle. En dépit des critiques, José Antonio Perez Tapias, à l’origine de cette proposition, tenait à faire aboutir ce « devoir de mémoire » envers les Morisques et leurs descendants. Entretien.
Le célèbre écrivain espagnol Mario Vargas LLosa s’en est ému dans une tribune publiée par El Pais, et y a vu une porte ouverte à toutes les excuses : « Qu’en est-il des homosexuels? Et les Tsiganes? Et les esclaves africains? Et les sorcières? Les athées ? » Le Parti populaire (PP) s’en est aussi inquiété, et a invité le gouvernement espagnol à s’intéresser aux problèmes de chômage, plutôt que de s’excuser pour le sort des Morisques. Les Morisques, ce sont les descendants des populations musulmanes converties de force au Christianisme après la Reconquista, puis expulsées d’Espagne au XVIIème siècle. Le groupe parlementaire socialiste s’est retrouvé sous le feu des critiques, en ces temps de crise, pour avoir présenté une proposition (n’ayant pas force de loi) sur « la reconnaissance institutionnelle » de l’ «injustice» commise par l’Espagne à leur encontre. Le texte a été adopté par le Congrès des députés espagnols le 25 novembre 2009. Le député andalou José Antonio Perez Tapias, à l’origine de cette proposition, parle d’un « geste de réconciliation » nécessaire avec les descendants de ces musulmans exilés de force il y a déjà quatre siècles. Et Il tente de dissiper les « malentendus » nourris par les « préjugés » dans son pays.
Afrik.com : Que signifie cette « reconnaissance institutionnelle » ?
Jose A Pérez-Tapias : Il s’agit de reconnaître que l’expulsion massive des Maures d’Espagne (environ 300.000) entre 1609, année du décret de Philippe III, et 1614 a été une grande injustice. Et reconnaître cette injustice reste toujours nécessaire quatre siècles après. En outres, les descendants de ces Morisques nous interpellent au sujet de la tragédie vécue par leurs ancêtres et attendent de nous, au moins, un geste de réconciliation. L’Espagne actuelle a un « devoir de mémoire » que nous menons maintenant envers ces gens comme nous l’avions fait envers les descendants des juifs sépharades expulsés d’Espagne en 1492.
Afrik.com : La proposition plaide pour le renforcement des « liens économiques, sociaux et culturels avec les populations du Maghreb et d’Afrique Subsaharienne descendantes des Morisques.» Comment cela peut-il se faire ?
Jose A Pérez-Tapias : La proposition appelle effectivement le gouvernement à renforcer ces liens. Le devoir de mémoire historique envers les Morisques expulsés nous incite également à regarder vers le futur. C’est pour cela que cette proposition insiste sur la nécessité d’établir des liens avec leurs descendants, ou les renforcer s’ils existent. Il ne faut pas omettre que dans ces communautés de descendants des Maures, non seulement la mémoire de cette tragédie dont leurs ancêtres ont souffert reste encore vive, mais il existe aussi des pratiques culturelles et un patrimoine linguistique qui témoignent des liens avec la réalité espagnole, liens sur lesquels il nous faut intensément travailler. En fait, il existe des jumelages entre les populations de part et d’autre du Détroit. Il s’agit d’accroître la coopération culturelle, les relations commerciales et institutionnelles en s’appuyant sur les institutions et gouvernements où vivent les communautés issues des Morisques d’autrefois. Cette proposition est une réponse à l’initiative de l’Alliance des Civilisations (organisation de l’Onu créée à l’initiative des gouvernements espagnol et turc en 2005) sur laquelle insiste le gouvernement espagnol, en harmonie avec des projets comme l’Union méditerranéenne.
Afrik.com : Le texte prévoit-il des indemnisations ?
Jose A Pérez-Tapias : Dans la proposition qui a été approuvée au Congrès des députés (chambre basse), il n’est pas question de compensation économique, ni d’indemnisation personnelle d’aucune sorte. La question est hors de propos, d’ailleurs personne n’a rien demandé de la sorte. Malheureusement, quelques malentendus se sont répandus en Espagne à ce sujet.
Afrik.com : Le projet est vivement critiqué en Espagne. Pensez-vous que le moment soit propice, dans ce contexte de crise économique, pour une telle proposition ?
Jose A Pérez-Tapias : L’année 2009 correspond au quatrième centenaire à l’expulsion des Morisques. Il y a eu, tout au long de cette année, des activités de toutes sortes (expositions, conférences, documentaires, etc.), dans lesquelles s’est impliqué un grand nombre d’institutions sociales, économiques et politiques. Le gouvernement espagnol, à travers la Sociedad Estatal de Conmemoraciones Culturales y de la Casa Árabe (Société d’Etat des Commémorations Culturelles et de la Maison Arabe), qui est rattachée au ministère des Affaires étrangères et de la Coopération, a donné une impulsion à ces activités commémoratives qui ont eu un écho remarquable dans la société espagnole. Avec l’initiative parlementaire du PSOE nous avons voulu donner une expression politique au terme de cette année, pour que ces évènements ne soient pas oubliés. Ce souvenir nous fait prendre conscience que ce qu’il s’est passé durant cette histoire, une histoire pleine d’expulsions, ne doit plus se reproduire. Cette proposition a été bien accueillie par beaucoup, et critiqué par d’autres. Dire qu’elle est inopportune en période de crise économique est quelque chose qui ne tient pas la route. Une proposition de ce type ne diminue pas d’un iota les efforts déployés par le gouvernement et le Groupe parlementaire socialiste pour faire face à la crise à laquelle nous sommes confrontés. Les critiques faites à cette proposition cachent d’autres choses : l’insensibilité aux exclusions sur lesquelles s’est construit notre passé, les préjugés contre les arabes qui subsistent dans de nombreux cas, et le rejet de cette mémoire.
Afrik.com : En 2006, le président de la Junta islamica (principale instance représentative des musulmans en Espagne), Mansur escudero, avait entamé des démarches pour que l’État accorde la nationalité espagnole aux descendants de ces Morisques ? Etes-vous d’accord avec cette idée ?
Jose A Pérez-Tapias : Les descendants des Maures sont citoyens de leurs Etats respectifs. Les objectifs de reconnaissance historique et le renforcement des liens n’impliquent pas les questions juridiques, comme celles relatives à la nationalité. L’important maintenant est de rapprocher les peuples et de rendre les relations plus fluides entre les Etats.
Afrik.com : Le roi Juan Carlos avait adressé au président israélien des excuses pour l’expulsion des Juifs en 1492. Doit-il Faire de même pour les Morisques avec le Maroc ou l’Algérie ?
Jose A Pérez-Tapias : J’ai déjà rappelé les actions qui ont été menées en 1992 vis-à-vis des
descendants des Juifs séfarades. C’est vrai que les deux événements, qui sont similaires, réclament une certaine symétrie dans les réponses. Mais dans le cas des Juifs, bien que tous ne soient pas citoyens de l’État d’Israël, il y a un lien plus direct entre eux et cet Etat, ce qui n’est pas vrai dans le cas des descendants des Morisques, puisqu’ils vivent éparpillés dans divers Etats. La reconnaissance politique et morale peut être faite de différentes manières. Et le gouvernement devra trouver celles qui sont les plus appropriées.