La justice française lance des mandats d’arrêt contre le procureur de la République et le chef des services secrets djiboutiens. Ils sont soupçonnés de « subornation de témoin » dans l’enquête sur le meurtre du juge Bernard Borrel. Les deux personnalités djiboutiennes ont refusé d’obtempérer et risquent d’être renvoyées devant le tribunal correctionnel.
Mieux vaut tard que jamais. Onze ans après l’assassinat du juge français Bernard Borel, à Djibouti, la justice française a délivré deux mandats d’arrêt contre le procureur de la République et le chef des services secrets djiboutiens, Djama Souleiman et Hassan Saïd. La cour d’appel de Versailles a ordonné la diffusion de ces mandats, parce qu’elle soupçonne les deux hommes de « subornation de témoins » dans l’enquête sur le meurtre du juge.
Une satisfaction pour la famille du juge
Apprenant cette nouvelle, Me Olivier Morice, l’un des deux avocats de la famille Borrel, s’est félicité que, pour la première fois dans cette affaire, la justice française ait délivré des mandats d’arrêt. Il a déclaré que : « La justice passe maintenant à la vitesse supérieure. Les magistrats montrent qu’ils n’ont pas peur de rechercher la vérité, quitte à déplaire aux autorités politiques françaises et djiboutiennes. »
Cependant, Djama Souleiman et Hassan Saïd ont annoncé, lundi, qu’ils ne se présenteront pas devant la justice française. Par l’intermédiaire de leur avocat, Me Francis Szpiner, ils ont justifié leur position par le refus de la France « d’entretenir avec Djibouti une coopération judiciaire régulière ». Ce à quoi, Me Olivier Morice a répondu que « s’ils ne viennent pas, ils seront renvoyés devant le tribunal correctionnel et jugés. »
Parallèlement, le jeudi 28 septembre, au lendemain de la décision de la cour de Versailles, la juge d’instruction parisienne, Sophie Clément, a transmis au procureur de la République une demande de réquisition concernant la délivrance de deux autres mandats d’arrêt visant les principaux suspects de l’assassinat, Awalleh Guelleh et Hamouda Adouani. Elle espère pouvoir obtenir le prélèvement ADN des deux djiboutiens. Sur le short du magistrat décédé, ont été retrouvé des empreintes pouvant appartenir aux deux hommes.
Une affaire trouble
La veuve du juge, Elisabeth Borrel, estime que son mari a été tué pour empêcher que les découvertes qu’il avait faites ne fussent divulguées. Convaincue que son mari enquêtait sur des trafics d’armes et sur l’attentat du Café de Paris, survenu en 1990 à Djibouti et dans lequel l’actuel Président Ismaïl Omar Guelleh aurait été impliqué, elle croit depuis le début qu’il s’agit d’un crime politique.
Pourtant, lorsque le corps de Bernard Borrel avait été retrouvé le 19 octobre 1995, à demi calciné au bas d’une falaise à quelques 80 km de Djibouti, c’est l’hypothèse du suicide qui avait été retenue par la justice française. Mais après plusieurs changements de magistrats et des expertises, c’est celle de l’assassinat qui a été retenue.
Le témoignage d’un ancien officier de la garde présidentielle de Djibouti, Mohammed Saleh Aloumekani, se trouve au centre des deux procédures menées à Paris et Versailles. Il a affirmé avoir surpris le jour ou lendemain de l’assassinat du juge, dans le jardin du palais présidentiel de Djibouti, une conversation entre six hommes, dont Ismaël Omar Guelleh, alors chef de cabinet du Président Gouled Aptidon, Hassan Saïd, chef des services de sécurité, et les deux suspects Awalleh Guelleh et Hamouda Hassan Adouani. Selon ses déclarations, les interlocuteurs d’Ismaël Omar Guelleh seraient venus lui rendre compte de « l’élimination du juge fouineur » et de la disparition des traces du crime.
Le procureur de Djibouti est soupçonné d’avoir tenté de faire pression sur M. Aloumekani pour qu’il revienne sur son témoignage et le chef des services secret d’être intervenu pour que le capitaine Iftin, chef de la garde présidentielle de Djibouti en 1995, rédige une attestation discréditant le témoin. La justice française exige aujourd’hui de les entendre.
Depuis plus de 10 ans, le dossier Borrel pèse sur les relations entre la France et le Djibouti, où d’importantes bases militaires françaises sont installées. La justice française entend venir à bout de l’affaire Borrel en dépit des tensions diplomatiques que cette action pourrait entraîner. Reste à savoir si la justice djiboutienne est prête à coopérer.