Afrik.com s’est entretenu avec Mia Crnojevic-Cherrier, chargée de campagnes chez IFAW sur la récente destruction d’envergure de 1,8 tonne d’ivoire, à Reims, en France.
Le Fonds international pour la protection des animaux (IFAW) et l’Office français de la biodiversité (OFB) ont procédé à la destruction d’1,8 tonne d’ivoire. L’opération s’est déroulée, le 28 novembre, à Reims, en présence de Sarah El Haïry, secrétaire d’État française chargée de la biodiversité. Une destruction effectuée par concassage puis incinération. Cette opération vise à endiguer le commerce d’ivoire et à alerter sur un trafic responsable de la mort de milliers d’éléphants, chaque année. A ce sujet, Mia Crnojevic-Cherrier, chargée de campagnes chez IFAW, répond aux questions d’Afrik.com.
Entretien exclusif
1,8 tonne d’ivoire détruite, cela représente une grosse quantité. Quelle lecture faites-vous de cette opération de destruction ?
En effet, 1,8 tonne est une quantité très importante mais cela représente seulement un petit aperçu de la quantité d’ivoire présente sur le territoire français. Cela témoigne surtout de la nécessité de la mise en place d’un protocole pérenne à long terme, géré par l’État pour la prise en charge de ces objets.
Cela montre le besoin réel de la part des particuliers de trouver une solution responsable et qui a du sens pour la gestion de leurs objets en ivoire. La volonté de ces personnes est surtout que l’ivoire ne se retrouve plus jamais sur le marché commercial, car cela se ferait au détriment des populations d’éléphants encore vivantes aujourd’hui. En effet, cela aurait comme impact de stimuler la demande, raison pour laquelle des milliers d’éléphants continuent d’être braconnés, chaque année.
1,8 tonne, cela représente environ combien d’éléphants massacrés ? Un véritable gâchis n’est-ce pas ?
On évalue en moyenne à 10 kg d’ivoire par éléphant – donc cela représente 180 éléphants. Ces éléphants sont morts pour créer des objets de décoration dont personne n’a besoin. C’est un vrai gâchis.
Maintenant la question est de savoir quoi faire avec les objets encore en circulation. La destruction des objets est une action qui envoie un message fort : l’ivoire n’a de valeur intrinsèque que pour les éléphants. Un message clair pour dire stop au commerce, stop à la demande.
Compte tenu des nombreux massacres d’éléphants qui ont lieu actuellement, tout commerce de l’ivoire, même légal, constitue une menace pour ces pachydermes
Pour chaque kilo d’ivoire collecté par IFAW, nous nous engageons, avec notre partenaire Wild is Life, à planter un arbre indigène tel qu’un acacia ou un baobab afin de contribuer à la restauration de certains habitats des populations d’éléphants au Zimbabwe dont leur destruction compte parmi les principales causes de l’érosion de la biodiversité en cours. Cette action de plantation renforce la symbolique des dons d’ivoire des particuliers participant à l’opération.
L’incinération vise certainement à décourager les trafiquants. Est-ce efficace comme méthode d’autant qu’il y aura toujours de l’ivoire à incinérer ?
La destruction des objets, jusqu’à leur incinération, est une action importante qui envoie un message fort selon lequel l’ivoire n’a de valeur que pour les éléphants. Elle empêche également que cet ivoire soit réintroduit sur le marché. Car, l’existence même de marchés légaux de l’ivoire stimule la demande de ce produit et ainsi le braconnage.
Compte tenu des nombreux massacres d’éléphants qui ont lieu actuellement, tout commerce de l’ivoire, même légal, constitue une menace pour ces pachydermes. Des tonnes d’ivoire illicite sont saisies, chaque année, et le commerce légal de l’ivoire continue d’alimenter un marché qui peut servir de couverture pour blanchir de l’ivoire illicite. Il est crucial de fermer toutes les vannes d’approvisionnement de ces marchés pour la survie des éléphants.
Quelles sont les actions à poser pour stopper ces crimes contre les éléphants, généralement contre les animaux ?
Il faut travailler tout au long de la chaîne du commerce illicite, notamment dans les régions
- source : prévenir le braconnage avant qu’il ait lieu ;
- de transit : intercepter les spécimens pour augmenter les risques pour les trafiquants, car plus les produits sont interceptés, plus il y a une augmentation des frais (financiers, humains ou autre) pour les trafiquants pour arriver à leurs fins ;
- de destination : changer les mentalités et les comportements pour que les consommateurs arrêtent d’acheter ce type d’objets.
IFAW travaille tout au long de cette chaîne et sur toutes ces actions.
Un autre axe important est le travail de plaidoyer mené par les associations pour changer les politiques nationales, européennes et internationales dans le but de fermer les marchés existants, d’accroître les sanctions à l’encontre des trafiquants et de s’assurer de la bonne application de la loi. IFAW mène ce travail depuis de nombreuses années.
Quels sont, à votre avis, les pays de provenance de cet ivoire ?
Du côté des particuliers, il s’agit globalement de dons effectués par des héritiers dont les parents ou grands-parents ont acheté l’ivoire dans les années 50/60/70 dans les anciennes colonies françaises en Afrique.
Il ne revient donc pas qu’aux pays qui abritent ces animaux de lutter contre ce fléau. C’est un effort collectif et international qu’il faut fournir contre le trafic de l’ivoire
Pour les saisies effectuées par la douane française, c’est variable. Difficile d’évaluer la provenance des objets présentés, le 28 novembre, mais on note qu’en 2022, les services douaniers ont saisi 304 objets en ivoire pour près de 50 kg d’ivoire (148 kg en 2021). Au titre de cette même année, les principaux pays de provenance sont le Sénégal, le Bénin et la République Centrafricaine. La plateforme aéroportuaire de Roissy en constitue toujours le premier point d’entrée (en pourcentage des saisies), avec une prédominance des circuits de fraude Afrique-CDG-Asie observés.
Ne pensez-vous pas qu’il appartient aux différents États qui abritent ces animaux de prendre des mesures concrètes pour éradiquer ce fléau ?
Les différents pays concernés doivent effectivement mettre en place des moyens pour éradiquer ce fléau sur place. Cela commence par la mise en application de leur loi, en arrêtant et en sanctionnant, tout d’abord, les braconniers. Cependant, pour véritablement se débarrasser de cette menace sur les animaux, il ne faut pas s’arrêter aux braconniers mais aussi remonter toute la chaîne de trafic. D’où l’importance pour les forces de l’ordre de travailler au niveau international. La lutte contre le trafic international traverse les frontières car, ne l’oublions pas, les principaux consommateurs de ces objets habitent sur d’autres continents. Il ne revient donc pas qu’aux pays qui abritent ces animaux de lutter contre ce fléau. C’est un effort collectif et international qu’il faut fournir contre le trafic de l’ivoire.
Quelles sont les actions concrètes posées par IFAW pour protéger ces animaux ?
IFAW aide les éléphants :
- En soutenant les zones protégées où les éléphants et autres animaux sauvages peuvent se déplacer librement sans être menacés par le braconnage ;
- En développant son projet « Donnons de l’espace», visant à sécuriser les connexions entre les habitats critiques des éléphants en Afrique australe et orientale afin de maintenir des populations d’éléphants en bonne santé.
- En déplaçant, le cas échéant, des éléphants vers des oasis de sécurité, loin des zones où ils entrent en conflit avec les populations et où ils sont menacés par le braconnage ;
- En finançant des rangers dans les parcs des États de l’aire de répartition des éléphants ainsi que des équipements, et en assurant des ateliers de formation pour les agences de lutte contre la fraude ;
- En travaillant étroitement avec Interpol, l’agence de police internationale, qui s’attaque au commerce illicite d’ivoire ;
- En secourant des éléphants orphelins en Afrique et en Inde et en les relâchant dans la nature.
- En fermant tous les marchés existants d’ivoire et en étant le moteur pour détruire l’ivoire pour assécher le marché et montrer symboliquement que l’ivoire n’a de la valeur que pour les éléphants.
A ce rythme, ne va-t-on pas vers l’extinction de ces animaux à défense ?
Si nous ne changeons pas nos mentalités vis-à-vis de la nature, on risque effectivement de se diriger vers leur extinction. Dans le cas spécifique des éléphants, en termes de nombre braconnés par rapport aux années précédentes, on a raison d’espérer que cela aille dans le bon sens. Avec la fermeture des marchés du commerce d’ivoire, on voit une diminution des taux de braconnage. Néanmoins, il ne faut pas oublier que des milliers d’éléphants continuent d’être braconnés pour l’ivoire, tous les ans.
Nous devons ainsi rester vigilants et délivrer un message clair pour dire non au commerce et non à la demande.