Trois écoles du rap français réunies lundi soir sur la scène du Bataclan, à Paris : Guizmo, Mokless et Despo Rutti. L’occasion pour les trois rappeurs d’interpréter les inédits de leur projet commun « Jamais 203 ». Chronique d’une soirée sur trois « planètes Rap ».
De la « banlieue street » à la « bobo street », le public des rappeurs Despo Rutti, Guizmo et Mokless étaient au rendez-vous au concert « Jamais 203 » (Jamais deux sans trois), lundi 24 juin au Bataclan, à Paris. Il est tout juste 20 heures. Les artistes se préparent encore en loge. Dans la salle, l’ambiance « fumette » est à son comble. Ce soir-là, le Bataclan regorge de « bédo ». Nous interpellons les organisateurs pour avoir accès à l’étage supérieur, histoire d’observer le concert tout en prenant des notes, mais aussi et surtout pour fuir le nuage de fumée qui stagne dans la salle inférieure. Surprise, les organisateurs n’ont pas prévu d’espace presse. Adieu la prise de notes sur Mac, l’envoie de photos et de commentaires en direct sur les réseaux sociaux…
Le tourneur, occupé à faire la loi à l’entrée de la salle, ne semble pas disponible pour répondre à notre demande. Nous n’insistons pas. Nous rappelons tout de même à ce monsieur que ce sont les organisateurs du concert qui ont contacté Afrik.com quelques heures à peine avant le show. Malgré l’invitation de dernière minute, nous avons accepté de nous y rendre, car soucieux de donner une visibilité aux artistes de l’hexagone issus des diasporas africaines. Tant pis, nous n’en ferons pas une maladie. Nous suivrons le concert en bas.
Retour dans la salle. Le point positif est cette clientèle éclectique. Diverses origines, générations et classes sociales cohabitent sans aucun problème. Du « lascar de quartier » au « bobo hip-hop » du 16e, chacun y trouve sa place. Le plus troublant, ce sont toutefois ces adolescents âgés d’à peine 14 ans, pas plus haut que trois pommes fumant des joints ! Peut-être ne sont-ils pas au courant que, contrairement aux clichés, la culture du « Kif » ne fait pas partie de la culture hip-hop ?
« Défoncer à bloc »
20H30, Guizmo entre en scène en mode « défoncer à bloc », l’un de ses titres. Quelle coïncidence… La foule amassée devant la scène suit le rythme. Guizmo est accompagné par un orchestre, dont un clarinettiste, un batteur, un guitariste et un synthétiste. Des paroles de rap posées sur un son funky aux variantes soul, avec une touche rock… Le résultat est surprenant. Le public est en tout cas conquis. A l’arrière de la salle, les « gars à l’ancienne » sont mitigés. Mais discrètement, des têtes bougent au rythme de la musique.
Au fil du concert, la salle s’enflamme et continue aussi de s’enfumer. « Est-ce qu’il y a des fumeurs dans la salle ? Est-ce qu’il y a des alcoolos dans la salle ? », lance Guizmo. La réponse est immédiate, un « Oui ! » massif émane du public. « Alors c’est alcool et bédo pour moi », réplique le rappeur. Soudain la cadence ralentie, Guizmo plane…
« Un monde qui ne tourne pas rond »
Le « Chinois fou » anime l’entracte. Un apprenti humoriste d’origine chinoise, surnommé le « Chinois fou » par Guizmo et le public. C’est au tour de Mokless d’apparaître sur scène. Pas d’orchestre. Mokless tient tout d’abord à faire passer son message accompagné seulement de ses « instrus » mixés par DJ Face aux platines. La voix est carrée, les textes engagés. Mokless parle d’immigration, de métissage et s’interroge sur « un monde qui ne tourne pas rond ». Le public suit. Nous nous laissons également emportés dans le monde de Mokless.
L’artiste à l’art et la manière de communiquer : « S’habituer à tout ? A la haine, à la discrimination, aux arrestations à la Sami Naceri… » Son cri de guerre trouve un écho. L’arène se remplit. Ses paroles semblent éveiller les esprits…
« Le poète du ghetto »
L’un des rappeurs du moment est inévitablement Despo Rutti. Visiblement très attendu, son entrée en scène explose le Bataclan. A peine est-il apparu, qu’un individu inaugure la traditionnelle montée en scène, « histoire de se faire voir ». Un vigile le fait descendre. Despo Rutti commence le show. L’ambiance atteint son apogée au moment où « la surprise » de l’artiste se profile. « La surprise », c’est Rim-K et AP du groupe 113. Mokobé manque à l’appel mais le duo 113 allume la salle. Les rimes s’enchaînent au rythme effréné de la guitare et de la batterie. Un véritable balai vocal s’opère en l’espace de cinq minutes.
Le « poète du ghetto », alias Despo Rutti, comme l’appelle Rim-K, reprend la scène en main et conclut son passage avec Guizmo et Mokless. Trois générations, trois écoles du rap français. Les « jamais 203 » (Jamais 2 sans 3) sont désormais réunis et ne forment plus qu’un pour offrir aux spectateurs un dernier moment de pur rap français. C’est aussi et surtout le moment de présenter leur projet commun.
Après quelques morceaux, Guizmo et Despo Rutti laissent placent à Mokless pour terminer le concert accompagné à son tour de l’orchestre. Mokless illumine de nouveau la scène.
Bien que Despo Rutti ait été l’artiste le plus attendu ce lundi soir, Mokless créa la surprise. Un véritable maître conteur s’est illustré au Bataclan. De l’avis de certains, Mokless a « survolé » le trio. Il est tard (23h00) mais son flow et ses paroles hypnotisent. Cela vaut le coup de laisser l’heure tourner et plonger de nouveau dans l’univers d’un aède du rap…