L’artiste marocaine Latifa Echakhch, qui vit et travaille en France, présente l’exposition Désert ce mois-ci à Paris. L’événement présente une installation d’objets détournés de leur signification d’origine pour mettre à mal les symboles et les traditions marocaines et françaises. « Désert » se teinte aussi d’une réflexion sur l’engagement politique.
Par Valentine Lescot
Désert. Voilà le style d’art contemporain qui pousse plus au questionnement qu’à la simple contemplation esthétique. Kézako, ces 250 kg de semoule de couscous renversés sur le sol formant un désert de sable, ces verres à thé brisés en morceaux étalés sur un carré de tissu, ces pains de sucre posés à terre comme des munitions géantes ou des phallus en érection, cette vidéo montrant des balayeurs après une manifestation parisienne, ces costumes de révolutionnaire, d’avocat ou de mort, ce ruban rouge, cette trotteuse… le tout exposé dans une même pièce sans liens apparents ?
C’est le petit ballot d’héritage marocain de l’artiste Latifa Echakhch, née en 1974 à El Khnansa, combiné à des œuvres liées à l’identité française dans une exposition-installation présentée par l’association Le Showroom[[<1>L’association a été créée par trois jeunes femmes qui se sont rencontrées lors de leurs études à l’Institut d’art de Paris IV. Le Showroom organise des expositions trois fois par an afin de soutenir la production artistique contemporaine.]]
: Désert. On pense tout de suite au Sahara. Mais en fait il ne s’agit pas du tout de cela. « Ici, le désert représente le lieu vidé de ses occupants pour nous laisser la place », explique Latifa Echakhch, diplômée de l’Ecole nationale des Beaux-Arts de Lyon en 2002. Le « lieu » d’exposition est un local de plusieurs pièces situé dans un vieil immeuble parisien du Marais et qui habituellement expose des vêtements de jeunes créateurs de mode. « J’utilise souvent l’endroit ou des gens m’invitent à exposer pour trouver des pistes de travail. Je suis donc partie de l’idée du costume pour jouer avec les allégories », ajoute la jeune femme.
Une exposition politique
Le travail artistique de Latifa Echakhch se caractérise par le détournement de symboles afin de poser la question de l’identité. Quoi de plus normal, voir banal, pour cette Maghrébine, arrivée petite fille en France dans le flux de l’immigration ? L’artiste balance entre culture marocaine et culture française, mais cherche aussi à montrer son « état politique » : « A travers cette exposition, j’ai voulu toucher l’idée de la modernité, c’est-à-dire le moment où les hommes ont voulu changer le monde pour qu’il soit meilleur ». D’où le concept des costumes : la révolution représente l’espoir dans le progrès, la justice la défense des droits de l’Homme et la mort le défi du temps. Dans la vidéo, les balayeurs nettoient toute trace de protestation. Les symboles de l’hospitalité marocaine sont détruits, comme une invitation à se défaire des habitudes culturelles et à s’élever. Dans l’exposition, le public peut ainsi marcher sur les graines de couscous qui recouvrent le sol. « Chez moi, la semoule est laissée à sécher sur les terrasses. On ne peut évidemment pas mettre les pieds dessus, c’est comme dans un espace sacré », explique Latifa. Elle se dit très touchée par l’actualité du monde et se demande parfois si « l’art est vraiment le meilleur moyen pour exprimer ses idées politiques ».
Mais que pense « la famille » de ses choix professionnels et artistiques ? « Mes parents, qui sont d’origine très modeste, auraient préféré que je sois médecin, car pour eux être artiste n’est pas un métier. Mon père m’avait dit : ‘tant qu’à être au chômage, autant faire ce qu’il te plait’. Et ma famille marocaine me pose plus de questions sur la France que sur ce que je fais de ma vie » », raconte Latifa Echakhch qui aimerait un jour exposer dans son pays natal. En attendant, l’artiste a déjà présenté ses oeuvres en France mais aussi en Belgique, en Hollande, en Thaïlande et en Slovénie.
Exposition Latifa Echakhch jusqu’au 15 mai
Le showroom
6, rue de Braque
75003 Paris
Escalier B 3ème étage
Du mardi au samedi de 14 heures à 19 heures