Pour découvrir le secret de fabrication des boubous de basin des élégantes de Bamako, pour s’étonner de l’adrinka, une étoffe funéraire et sacrée que l’on trouve au Ghana et en Côte d’Ivoire ou encore comprendre la signification des symboles et des couleurs des tissages, un livre complet et superbe vient de sortir. C’est l’Afrique des textiles, somme de 10 ans de recherche et de trois années d’enquêtes de terrain de l’anthropologue Anne Grosfilley.
Des matières, des couleurs et des hommes… C’est L’Afrique des textiles d’Anne Grosfilley (éditions Edisud). Cette Française, docteur en anthropologie, membre de la société des Africanistes, a passé 10 ans penchée sur les étoffes du continent. Pendant trois ans, elle a mené des enquêtes de terrain, de villages en marchés, au Togo, au Burkina Faso, au Ghana, au Mali et en Côte d’Ivoire. Inutile de dire que bogolans, basins ou tissages n’ont plus de secrets pour elle. Et bonne nouvelle : elle a décidé de faire partager son savoir dans un superbe ouvrage très richement illustré.
« En Afrique, particulièrement dans les pays de l’Ouest, le tissu et le vêtement apparaissent comme des moyens d’expression culturelle, le mot ‘culture’ regroupant ici la tradition, les pratiques populaires et la vie urbaine », explique l’auteure. Qui poursuit : « Les textiles racontent la rencontre entre l’Afrique et l’Europe, entre les artisans et les industriels. » C’est dans cette optique qu’Anne Grosfilley a décidé d’ouvrir son livre avec le wax, le fameux tissu africain made in… Europe ! Le wax, qui évoque immédiatement les pagnes colorés africains, est un produit hollandais, élaboré il y a plus de 150 ans. « Comprendre le [wax], c’est découvrir comment un tissu venu de l’étranger, en l’occurrence ici d’Europe, a pu devenir un élément essentiel du paysage textile ouest-africain. C’est aussi voir comment l’histoire des relations entre l’Europe et l’Afrique, depuis la période coloniale, s’écrit à travers le tissu. »
L’adrinka, le tissu méconnu
La chercheuse aborde ensuite le tissage, « une activité révélatrice de profonds changements sur le plan technique, artistique et social ». Elle étudie les matériaux utilisés, comme la laine, le coton ou les fils industriels. Elle détaille les tissus et les motifs, expliquant les symboles graphiques et la signification des couleurs : le blanc est signe de paix, le rouge d’honnêteté, le jaune de fertilité et le bleu de pouvoir… Dans les tissages de type ashanti (Ghana), le motif « nsoroma » symbolise l’essence féminine de la vie et celui appelé « apremuo » traduit la résistance des Ashanti dans les guerres coloniales européennes. L’esthétique est toujours symbolique en Afrique !
Anne Grosfilley accompagne son texte d’interviews et de témoignages d’hommes et de femmes de terrain, ce qui rend l’ouvrage très vivant. On y apprend beaucoup sur la teinture, le bogolan, la sérigraphie, les relations entre l’industrie et l’artisanat. On y découvre aussi l’adinkra, un tissu funéraire méconnu, dont la fabrication et l’usage sont limités aux ethnies abron, agni et ashanti, du groupe akan de Côte d’Ivoire et du Ghana. « Le port de l’adrinka se rattache à un contexte funéraire. Il s’agit donc d’une étoffe circonstancielle qui touche au sacré, et non d’un tissu s’inscrivant dans un phénomène extensif de mode. (…) C’est par ailleurs la seule technique indigène d’impression : l’adrinka serait donc le seul tissu imprimé originaire de l’Afrique de l’Ouest. Outre cette originalité, l’adrinka se caractérise par la conjugaison de plusieurs techniques telles que l’impression, la teinture, le tissage ou la broderie. »
Paysage textile et humain
La dernière partie du livre est consacrée aux créateurs africains de haute couture qui permettent une redécouverte du patrimoine textile. L’Afrique des textiles est un panorama complet et chamarré qui, au-delà des étoffes, parle de ceux qui les fabriquent, les transforment et les portent. En somme, comment la petite histoire des tissus forme en fait la trame de la grande Histoire…
« En Afrique, le paysage textile est un paysage humain qui n’a rien à voir avec celui où les montagnes restent immobiles. Il ressemble à tous ces clichés photographiques, toutes ces visions gravées dans ma mémoire, d’hommes et de femmes exprimant leur culture à travers leur vêtement, représentant l’Afrique bien mieux que sa nature ou ses monuments historiques », explique Anne Grosfilley dans la conclusion. « Le paysage textile africain, c’est aussi à mes yeux tout ce qui compose l’ambiance d’un quartier ou d’une ville : les élégantes Bamakoises de Médina Coura en basin parfumés à l’encens, les femmes en pagne indigo des villages mossi, les fières Abidjanaises en complet wax, les adinkra des scènes de deuil d’Accra, les jeunes Maliens de Ségou en bogolan… »
Afrique des textiles d’Anne Grosfilley, éditions Edisud