Quoiqu’en pensent militaires, médias, et décideurs, le Mali n’est pas cette « terra incognita » des portulans d’antan, de peuplades étranges et d’animaux mystérieux:espaces, pouvoirs et protagonistes du conflit s’inscrivent dans une riche et complexe Histoire qu’il serait bon de connaître et de prendre en compte, plutôt que de devoir la subir.
Ainsi de l’islamisation venant du désert, des cycles de conquête et de corruption, de cette ligne de fracture Ouest Est qui sépare encore des peuples nomades ou conquérants, des sédentaires du Sud.
Ibn Khakdun, au XIV ème siècle fondait la politologie arabo-musulmane sur les cycles politico- religieux ressourçant , à partir du désert ou des montagnes, les dynasties ou Etats corrompus là où l’asabiyya- ce vivre ensemble- s’effondrait dans l’anarchie et le chaos.
Le glorieux Empire du Mali, aux espaces mouvants et aux dynasties successives a bien été quant à lui exposé à une islamisation de longue durée descendant du Nord marocain vers le Sud du Sahara- mouvement de longue durée portant, au-delà de la religion, des formes et des symboles politiques.
Certes le Mali actuel ne correspond pas territorialement à ces entités médiévales, mais un nationalisme fervent prend en compte ces symboles et ce passé: telle est la force d’un Signifiant, notamment contre tout envahisseur extérieur !
Les catégories bushiennes de la « guerre contre le terrorisme » et des Etats faillis semble particulièrement inadaptées pour analyser le Sahel et ses guerres nomades de longue durée. Ne faut il pas, même si c’est pour les combattre, comprendre les valeurs religieuses des mouvements islamistes, au lieu de les réduire à la violence pure? Parallèlement on peut estimer compréhensibles les revendications touaregs, pan sahéliennes, de construction d’un foyer national par delà les frontières coloniales – sans les résumer au sympathique mythe des « hommes bleus » ni croire pouvoir les instrumentaliser contre les « islamistes d’Al Qaida » ?
Car il ne faut pas se cacher, ni les massacres commis par les combattants touaregs comme celui d’Aguelhok par le MNLA, ni ceux qui risquent d être commis par les forces maliennes, ou des soudards CEDEAO contre les civils de ce peuple à la fois victime et combatif, autrefois dominant et maintenant traqué !
Si tous les spécialistes, notamment les anthropologues, connaissent bien la « segmentarité » touareg et arabe, il n’est pas sûr que militaires et politiques la prennent en compte: ces rivalités et retournements d’alliances, ces fusions et fissions permanents des clans, mouvements et partis, mieux connus, auraient ainsi permis de dissiper l’illusion des « bons rebelles » du MNLA et d’ANSAR Dine, lors des négociations d Ouagadougou, opposés aux « mauvais » du MUJAO et d’AQMI! Leur union inattendue (sous la conduite d’Ilyad Ghali, le leader d’Ansar dine!) pour foncer vers Mopti et Bamako ont permis de dissiper bien des illusions culturalistes, et de monter que quelques milliers d’hommes en mouvement ont fait voler en éclat la stratégie française de combat indirect, misant sur des « supplétifs » maliens et africains pour reconquérir l’Azawad !
Ne fait on pas la même erreur sur la conception malienne du pouvoir, l’imposition d’un président fantoche investi de l’extérieur, la possibilité d’investir militairement un pays sans mandat précis ni but de guerre déterminé, ni objectif politique défini? L’époque des « mandats » de la SDN est pourtant révolue, et au-delà du coup d’arrêt de la descente des colonnes islamistes vers Bamako, n’est ce pas le blocage d’un « réduit islamique » qui serait utile à l’Etat malien plutôt qu’une Reconquête illusoire et sanglante du Nord ?
Illusion d’ailleurs de ne voir que des « islamistes » au Nord, alors que l’islamisation de la société malienne en un phénomène de longue durée, combattant la laïcité d’un Etat malien hélas discrédité par la corruption , le népotisme et des élections contestées. Il n’est que de voir la puissance de Mohammed Dicko, dirigeant du Haut conseil islamique à Bamako, qui a fait échouer un texte parlementaire sur le statut de la famille, pour combattre des illusions politico militaires courantes !
Avec un pouvoir en partie double à Bamako- le capitaine Sanogo et le président Traoré , qui prétend on renforcer, alors même qu’une intervention occidentale et africaine, certes salvatrice dans l’instant, affaiblit à terme ce qu’il reste de l’Etat malien ?
Assises ou conférences nationales, élections et gouvernement d’Union nationale avec des leaders de l’opposition civile sont peut être plus prioritaires qu’une incertaine et délicate reconquête du Nord- qui risque d’étendre une nouvelle guerre nomade à tout le Sahel.
Par Michel Galy