Une femme enceinte devant les tribunaux pour avoir transmis le VIH/sida à son bébé lors de la grossesse, l’accouchement ou l’allaitement. En Afrique, et dans d’autres parties du monde, ce scénario est possible depuis que des pays ont voté un texte criminalisant la transmission du virus. Un texte dont plusieurs aspects risquent de renforcer la vulnérabilité des femmes face au sida.
Septembre 2004, à N’Djamena, la capitale du Tchad. Au terme d’un atelier de la section VIH/sida d’Action pour la région de l’Afrique de l’Ouest, une loi-type sur le virus est adoptée. Elle vise entre autres à prévenir les nouveaux cas, sensibiliser les populations et protéger les droits des personnes vivant avec le VIH (PVVIH). Un volet répressif prévoit également la pénalisation de la transmission volontaire du VIH.
Cette batterie de mesures doit dissuader les comportements à risque propageant l’épidémie de sida, qui touchait quelque 22 millions de personnes en 2007 en Afrique noire, selon les estimations du Programme commun des Nations Unies sur le VIH/sida (Onusida). Plusieurs associations de femmes africaines avaient réclamé un tel arsenal, notamment pour punir ceux qui les avaient contaminées sciemment.
« Faux tests de dépistage »
« Certains vont jusqu’à se procurer des tests de dépistage faussement négatifs. Par exemple, je me souviens qu’un homme avait un peu séjourné en Côte d’Ivoire, avant de rentrer au Burkina Faso. Il a fait un faux test et, quelques temps après, il est mort du sida et avait contaminé sa femme… », raconte Diarata Ouedraogo, présidente de Burkinaction, une association de prise en charge des orphelins du sida et des femmes infectées et affectées par le VIH.
« Je reconnais qu’au début de la pandémie il y a eu beaucoup de comportements outrageants, renchérit Simon Kaboré, coordonnateur au Burkina Faso du Réseau accès aux médicaments essentiels (Rame). Il est arrivé que des hommes infectés convainquent des filles de coucher avec eux sans préservatif contre de l’argent. Il y avait aussi le cas de ces couples où l’homme se découvrait infecté et refusait de porter le préservatif… »
La transmission mère-enfant à la barre
Aujourd’hui, les lois pénalisant la transmission ou/et l’exposition d’autrui au VIH/sida existent en Europe, en Australie, en Asie et aux Etats-Unis. Au Sud du Sahara, une vingtaine d’Etats ont voté une législation allant dans ce sens. Mais la formulation souvent imprécise des textes en fait des armes à double tranchant, surtout en ce qui concerne les femmes, particulièrement frappées par la maladie.
En effet, exceptée celle du Togo, toutes les lois des pays africains – et celles d’autres Etats hors du continent – peuvent s’appliquer pour pénaliser la transmission du VIH de la mère à l’enfant. En conséquence, une femme séropositive qui transmettrait le virus à son enfant au cours de la grossesse, l’accouchement ou l’allaitement pourrait être poursuivie en justice. La Sierra-Leone va même plus loin et condamne spécifiquement la transmission mère-enfant, remettant ainsi en cause le droit des femmes séropositives à procréer.
Les femmes plus au fait de leur statut VIH
Or, « le risque de transmission du virus de la mère à l’enfant peut être significativement réduit si la mère reçoit un traitement antirétroviral. (…) Par ailleurs, les données indiquent que lorsque les femmes enceintes sont conseillées sur les avantages de la thérapie antirétrovirale, elles acceptent presque toutes d’être testées et de recevoir un traitement en cas de besoin », souligne Fatima Maiga, spécialiste de la question VIH/sida et Jeunes au bureau sous-régional sénégalais du Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA).
Les lois criminalisant la transmission ou/et l’exposition exigent parfois que la personne séropositive révèle son infection à son partenaire. Là encore, les femmes sont en position de faiblesse. Elles « sont plus susceptibles d’être dépistées et donc d’être mises au courant de leur statut VIH, que ce soit par des examens gynécologiques de routine ou des soins anténataux : cela présente en soi un risque qu’un nombre disproportionné de femmes soient poursuivies pour la transmission du VIH », indique « Verdict sur un virus », une brochure co-rédigée par trois organisations de lutte contre le sida.
Le mythe du premier contaminé
En outre, « bien souvent, le premier à annoncer sa séropositivité est perçu comme celui qui a amené le VIH dans la famille, même si cette personne n’a pas été la première contaminée. L’annonce au conjoint est donc particulièrement difficile et on peu difficilement sanctionner pénalement une personne sans prendre en compte la difficulté et la peur des effets probables de l’annonce sur sa vie personnelle », commente Stéphanie Tchiombiano, chef de mission de la section nigérienne de Solidarité thérapeutique et initiatives contre le sida.
Car au Niger, comme dans d’autres pays africains ayant une loi pénalisant la transmission, les épouses qui avouent leur séropositivité s’exposent dans certains cas à la répudiation. Aussi, « pour beaucoup de femmes, notamment les plus jeunes, il est souvent difficile, voire impossible, de négocier le port du préservatif, de refuser d’avoir des rapports sexuels, ou de dévoiler leur statut sans encourir des violences physiques ou émotionnelles », souligne Fatima Maiga, mettant en cause « certaines normes culturelles et inégalités entre les sexes ».
Les traditions en question
« Du fait de l’absence de droits relatifs à leurs biens pendant le mariage et lors d’un divorce, des femmes se retrouvent parfois contraintes à rester dans des relations abusives, précise le document « Verdict sur un virus ». Certaines lois coutumières donnent leur aval à des pratiques traditionnelles, comme le mariage précoce, la polygamie (…), l’héritage des veuves (où la famille de l’époux décédé « hérite » de la veuve, ce qui souvent sous-entend des relations sexuelles) et de nettoyage de veuves (où les veuves doivent être sexuellement nettoyées de leur mari) : quelles qu’elles soient, toutes ont des implications claires tant sur la contraction que sur la transmission du VIH par les femmes et les filles. »
Fatima Maiga plaide donc que « les femmes ont besoin de mesures efficaces pour les protéger elles ainsi que leurs enfants de la violence et des discriminations liées à leur statut sérologique ». Faute de quoi, les femmes vont tourner le dos au dépistage, préférant, par sécurité, ignorer leur statut sérologique. Une menace qui pourrait remettre en question les résultats encore fragiles obtenus dans la lutte contre le sida.
Photo : Habibou Bangré