Elles viennent pour la plupart d’Afrique. Certaines n’ont pas quinze ans lorsqu’elles arrivent en France. Là, elles travaillent comme bonnes à tout faire chez des couples qui les font trimer, parfois sept jours sur sept, pour rien ou presque. Selon le Comité contre l’esclavage moderne, elles seraient plusieurs milliers dans ce cas en France. Mais ce nouvel esclavage domestique est d’autant plus difficile à évaluer -et a fortiori à combattre- qu’il s’exerce à l’abri des regards, dans le huis-clos des maisons.
« Au moment de la création de l’association en 1994, personne ne se doutait de l’ampleur du phénomène, se souvient Marc Béziat, secrétaire général du Comité contre l’esclavage moderne. Au départ, quelques cas ont été signalés, essentiellement dans la communauté malgache, et puis avec les commémorations du 150ème anniversaire de l’abolition de l’esclavage en 1998, on a eu une cascade de témoignages. Au total, jusqu’à présent, nous avons reçu plus de 200 signalements. Mais on estime que le nombre de victimes doit se situer entre trois et cinq mille en France ».
Les victimes, ce sont pour la plupart des jeunes femmes – des cas concernant des garçons existent, ils sont cependant rares -, qui viennent essentiellement d’Afrique, et plus précisément d’Afrique de l’Ouest pour près de la moitié d’entre elles. Une fois arrivées en France, le scénario est pour toutes à peu près le même : leurs papiers d’identité confisqués, elles sont séquestrées, astreintes à un travail incessant. Ménage, courses, cuisine, enfants, les tâches s’enchaînent, fréquemment entre 15 et 18 heures par jour, sans repos ni vacances, sans rémunération non plus, ou alors dérisoire.
Leurs conditions de vie sont cauchemardesques : beaucoup dorment à même le sol, et Marc Béziat rapporte « des cas de jeunes victimes enfermées dans des caves, d’autres obligées de se laver dans les toilettes ». À cela s’ajoutent les insultes, voire les coups, et même dans certains cas, les viols. Sans aucune issue possible pour les jeunes femmes : les liens familiaux sont la plupart du temps rompus par les employeurs, qui interdisent ou filtrent coups de téléphone et courriers. Dans un isolement total, souvent analphabètes, et ignorant leurs droits, les victimes n’osent fuir, craignant la prison ou l’expulsion. Il faut alors l’intervention d’un témoin pour les faire sortir de leur enfer.
S’il n’existe pas de profil type concernant les employeurs, plusieurs cas de figure se dessinent toutefois. Certains sont ainsi d’anciens expatriés, « des Français nostalgiques du train de vie qu’ils avaient en Afrique et qui font venir leur bonne en France » raconte Céline Manceau, coordinatrice du Comité. Et puis, il y a les compatriotes, parfois protégés – dans plus d’un quart des cas – par une immunité diplomatique qui rend les poursuites particulièrement délicates. Un certain nombre exportent en fait des pratiques liées aux coutumes des pays d’origine. C’est le cas notamment des Malgaches dont la société reste marquée par un esprit de castes toujours vivace et dans laquelle « persistent des situations de dominants-dominés qui sont reproduites en France » explique Marc Béziat. Reproduites et aggravées de par l’isolement de « l’employée » dans un pays étranger.
À Paris, des rabatteurs louent les services d’enfants
Reste le phénomène le plus inquiétant qui se développe à partir de l’Afrique de l’Ouest : la mise en place au fil des années d’un véritable trafic d’enfants. Là aussi, à l’origine se trouve une tradition : celle du placement des enfants, une coutume très ancrée dans tous les pays de la région (Côte d’Ivoire, Bénin, Mali, Ghana, Togo, Nigéria, Burkina Faso, Cameroun, Gabon) consistant à confier son enfant à un membre plus aisé de la famille ou de la communauté afin de lui donner une chance de promotion sociale.
Mais alors qu’il avait initialement une valeur éducative, « ce système s’est perverti depuis plus d’une dizaine d’années, affirme Marc Béziat qui s’est rendu plusieurs fois au Bénin pour des missions d’enquête sur ce problème, il s’est d’abord monétarisé, puis sont apparus des intermédiaires qui vont chercher les enfants dans les villages pour les conduire jusqu’aux pays d’accueil. Là, ils les remettent à des employeurs et perçoivent de l’argent sur leur travail. Localement, ce trafic a pris une ampleur phénoménale et il s’étend maintenant vers l’Europe et particulièrement la France, dans des proportions beaucoup plus infimes cependant ».
Céline Manceau confirme l’existence à Paris même de rabatteurs qui « livrent » des petites bonnes, dont les plus jeunes ont entre 11 et 12 ans, et louent leurs services au mois aux couples intéressés. Dans les cas suivis par le CCEM, 77% des mineurs sont originaires d’Afrique de l’Ouest et 84% des victimes ont moins de 15 ans à leur arrivée en France. Or c’est souvent envers les plus jeunes que les employeurs commettent les actes les plus violents. Plusieurs cas devraient d’ailleurs prochainement faire l’objet de procès en Assises.
Depuis le début de son action, le Comité a obtenu quatre condamnations d’employeurs en pénal avec des peines de prison ferme dans certains cas, six devant les Prud’hommes. Mais les poursuites judiciaires se heurtent à de nombreux obstacles : prescriptions, immunités diplomatiques, manque de témoins ou crainte des anciennes victimes permettent à un certain nombre d’employeurs de s’en tirer à bon compte. D’autant plus que la notion d’esclavage est absente du code pénal français…
Par Catherine Le Palud