La raison principale de la réussite d’un homme seul dans l’Histoire est certes sa capacité à reconnaître « ce qui est devenu nécessaire en un temps donné », et d’agir avec « passion » dans ce sens, dit Hegel.
La passion étant ici une sorte de fanatisme froid. « Les grands Hommes de l’histoire », lit-on dans les Leçons sur la philosophie de l’histoire du monde, « sont ceux dont les fins particulières contiennent l’élément substantiel qu’est la volonté de l’esprit du monde. Ce contenu est leur véritable puissance. » Ils ne sont donc grands que dans la mesure où ils peuvent reconnaître plus sûrement et plus rapidement que d’autres la voie tracée par un entendement supérieur, grâce peut-être au hasard ou à des intérêts spéciaux.
Pour le célèbre philosophe allemand, un individu historique n’est grand que parce qu’il devient « l’administrateur d’un but qui constitue une étape dans l’évolution de l’esprit général ». Mais quels sont ces hommes qui sont animés de cette passion dont le déploiement impacte la vie d’un nombre aussi élevé de personnes, au sens politique du terme ? Que possèdent-ils, en particulier, qui leur permette d’entraîner – pour le meilleur ou pour le pire – autant de monde dans leur aventure ?
Ce sont des hommes de caractère, dit Charles de Gaulle alors conférencier à l’Ecole de Guerre à Paris, dans un texte qui deviendra en 1932 son plus profond livre. « Le Caractère, vertu des temps difficiles. Face à l’évènement, c’est à soi-même que recourt l’homme de caractère. Son mouvement est d’imposer à l’action sa marque, de la prendre à son compte, d’en faire son affaire. » L’homme de caractère, poursuit de Gaulle dans le Fil de l’épée, « a la passion de vouloir, la jalousie de décider ». Il ne réalise pas l’action tout seul. « Mais c’est du caractère que procède l’élément suprême, la part créatrice, le point divin, à savoir le fait d’entreprendre. » Ce n’est ni par accident ni par une générosité gratuite que ce personnage prend l’action à son compte. « La difficulté attire l’homme de caractère, car c’est en l’étreignant qu’il se réalise lui-même. » A l’expérience, on peut trouver derrière chaque grande œuvre humaine, la passion d’agir par soi-même d’un homme de caractère. Passionné, orgueilleux, d’une lucidité terrible sur les hommes, parfois dur voire brutal, il ne se soucie guère de plaire. L’homme de caractère est d’un esprit ferme et convaincu ; il ne se contente pas d’avoir des penchants, il a des convictions fortes. Tout ce qui a trait à sa personnalité, y compris ses défauts, a quelque chose de grandiose.
Lors d’une conférence sur le commandement militaire en novembre 1945, le général Montgomery avait apporté quelques éléments supplémentaires à la définition de cet homme d’exception. On trouve chez lui, « la volonté de dominer les hommes et les évènements, alliée à la force de caractère qui inspire confiance ». L’homme de caractère ne laisse rien ni personne le détourner de son but. Le pivot de sa réussite réside dans sa capacité à inspirer confiance aux autres. Mais cette qualité spirituelle peut servir le bien tout comme elle peut être au service du mal. D’où les hommes de commandement tirent-ils leur suprême foi en leur capacité ? Selon le futur Maréchal anglais, elle vient « de leur faculté de voir, sous sa forme la plus simple, le problème qui les intéresse ». L’homme de commandement se distingue, en effet, par sa supériorité dans l’art de simplifier, de dégager de la masse des détails les éléments clefs d’une difficulté. Montgomery relève quatre qualités nécessaires à la victoire chez le chef militaire, qu’on peut élargir à d’autres types de commandement : a/ Connaître la technique de la guerre ; b/ Etre capable de voir clairement les éléments essentiels du problème ; c/ Avoir le courage et la vigueur mentale ; d/ Avoir le jugement bien équilibré. Le grand soldat rappelle que « le caractère dominateur, et plus spécialement la volonté de dominer et de conduire ses semblables sont donnés à peu d’hommes ». Avant de préciser que l’art de la guerre est un art relativement simple. « Les qualités qui font un grand capitaine sont innées plutôt qu’acquises. » En plus de savoir clairement ce qu’il veut et de mettre tout en œuvre pour l’atteindre, l’homme de caractère sait faire partager à quiconque est sous ses ordres les bases de son plan. Ensuite, il s’appuie naturellement sur un commandement à la fois ferme et clair. Enfin, une autre qualité essentielle chez le chef, est qu’il se tient en dehors des questions de détail pour pouvoir discerner nettement les points essentiels de son problème. Il place une confiance entière à ses subordonnés pour l’exécution de son plan.
Quelquefois un signe annonce l’avènement de cet homme qui dispose d’une fermeté et d’un accord avec soi-même qui le place au-dessus du lot. Avant qu’on ne lui donne le prénom anglais Nelson à l’école, Mandela s’appelle Rolihlahla en xhosa : « Celui qui crée des problèmes » ! Il y en a qui font de leur mieux pour échapper à leur destin, sans forcément y parvenir. Jusqu’à 26ans, Winston Churchill mène une vie comparable aux aventures de Tintin. Elève médiocre, « très dissipé », « insupportable » selon ses enseignants, on ne lui connaît que deux centres d’intérêts l’alcool et les femmes mis à part : la politique et les armes. On sait ce qu’il fera des deux domaines ! Durant la 2nde Guerre mondiale, Churchill fut le seul guerrier parmi les politiciens, et le seul politicien parmi les guerriers. Ce qui lui permit de triompher d’Hitler.
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