Les bailleurs de fonds espèrent que la spiruline, une algue bleu-vert, riche en protéines, qualifiée de « merveilleuse source de nourriture pour l’avenir » il y a 45 ans par l’Association internationale de microbiologie, tiendra sa promesse d’ici à ce que le projet de culture financé par l’Union européenne (UE) au Tchad, et doté d’un budget de 1,7 million de dollars, se termine, en décembre 2010.
« C’est ce qu’on a trouvé de plus proche de l’aliment miracle », a déclaré Mahamat Sorto, responsable du projet au sein de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Pour les organisations humanitaires, il pourrait s’agir d’une solution peu coûteuse à la malnutrition dans le monde.
Dans les pays riches, les magasins de produits diététiques promeuvent la consommation de spiruline en tant que complément énergétique, mais celle-ci est consommée depuis plusieurs siècles dans diverses régions du monde.
La teneur de cette plante en matière protéique atteint jusque 70 pour cent de son poids sec, selon les analyses chimiques de l’Institut français du pétrole, de laboratoires de recherche universitaires malaisiens et bangladais, et de la Siam Algae company, un groupe commercial thaïlandais.
En 2008, la FAO a publié un exposé de principe sur la spiruline aux allures de brochure publicitaire ; la spiruline y était présentée comme « un produit digeste riche en protéines (teneur : 60 pour cent) et en bêta-carotène, en vitamine B12, en fer, en minéraux, en oligoéléments, et en acide gras essentiel y-linolenic, un acide rare [également connu sous le nom d’acide gamma-linolénique (AGL), ou omega-6] ».
Selon la FAO, la culture de spiruline a en outre « une empreinte écologique réduite » car elle demande peu d’eau ; la spiruline peut également être produite dans des conditions de salinité qui détruiraient d’autres cultures ; enfin, il n’existe aucun « problème évident d’ordre culturel ou religieux, lié à sa consommation ».
Cette plante n’a qu’un inconvénient : dans le nord de Kanem, au Tchad, Hereta Taher, productrice de spiruline, a expliqué à IRIN que certaines personnes trouvaient son goût déplaisant. « Elle peut sembler amère au début, mais on s’y habitue ».
Mais alors, pourquoi les étals des marchés ne regorgent-ils pas de spiruline ? Pourquoi la spiruline n’est-elle pas distribuée dans les centres de thérapie nutritionnelle en lieu et place de Plumpy’nut ? Pourquoi ne sert-elle pas à nourrir les populations pendant la saison des semailles, une fois que les réserves alimentaires de la récolte précédente ont été épuisées ?
« Un manque d’intérêt politique », a dit Alessandro Manini, secrétaire général de la « Convention pour l’usage des micro-algues alimentaires, programme institutionnel intergouvernemental pour la spiruline », un groupe italien qui promeut l’usage de la spiruline pour lutter contre la malnutrition.
Ce groupe a été créé en vertu de deux accords internationaux reconnus dans le recueil des traités onusiens, et rejette les commentaires des sceptiques qui remettent en question la viabilité de la spiruline en tant que solution d’intervention d’urgence à grande échelle en situation de crise nutritionnelle. « Les [critiques] des nutritionnistes sont essentiellement fondées sur des publications d’évaluation par les pairs et non sur un savoir-faire pratique ou sur des démonstrations de terrain » », a dit M. Manini.
Le bilan de sept études sur les effets des compléments de spiruline chez les enfants atteints de malnutrition, réalisé par les chercheurs de l’hôpital national de Niamey, capitale du Niger, a été publié en décembre 2008 dans la Revue d’épidémiologie et de santé publique, une publication médicale française.
Selon les conclusions de ce bilan, bien que la spiruline ait des effets positifs sur le poids des enfants, ces études sont peu concluantes d’un point de vue méthodologique et portaient sur un nombre de sujets trop limité. Les auteurs ont appelé à procéder à un « essai clinique contrôlé en double aveugle » – dans le cadre duquel ni les patients, ni les chercheurs ne savent quels patients reçoivent de la spiruline – portant sur un plus grand nombre de sujets, et suivi d’une période de suivi plus longue.
Au Tchad
« C’est un miracle », s’est enthousiasmé Ousmane Issa Mara, chef du village de Barkadressou, dans le nord de la région de Kanem, en désignant du doigt l’oasis non irriguée où pousse typiquement la spiruline. « Elle vous donne de l’énergie. Après avoir mangé des gâteaux à la spiruline, notre sous-préfet n’a plus souffert de problèmes de santé. Elle redonne de l’appétit aux enfants qui n’en ont plus ». Barkadressou est un des 14 sites de culture de spiruline financés par l’UE près du lac Tchad et dans la région de Kanem.
Près d’un enfant sur cinq mesurés par taille, par poids et par circonférence du bras, en novembre 2009, par Action contre la faim, une organisation non gouvernementale (ONG) qui opère dans la région, souffrait de malnutrition aiguë. Selon Djari Ngamai, gouverneur de la région, le nord de Kanem, situé à 300 kilomètres au nord de Mao, la capitale régionale, connaît le climat le plus aride de cette zone.
« C’est lamentable de voir à quel point cette région est sèche et désertique. Elle est limitrophe des régions du BET [Borkou, Ennedi, Tibesti], au nord, et connaît les mêmes conditions et les même difficultés agricoles ».
Dans l’ensemble du pays, 1 581 femmes participent au projet de culture de spiruline de l’UE, et des centaines de femmes de Barkadressou empaquètent des gâteaux secs à la spiruline pour les vendre aux habitants qui font jusque six heures de voiture, depuis la capitale de la région, pour les leur acheter.
M. Mara, le chef du village, a expliqué à IRIN que Barkadressou avait besoin d’une pompe à moteur pour améliorer l’irrigation de ses cultures : en 2009, la sécheresse avait en effet interrompu la production artisanale locale de spiruline. Chaque famille vend jusque 100 kilos de spiruline pendant la récolte annuelle, et ces revenus sont essentiels.
La production
La Chine et l’Inde comptent parmi les premiers producteurs commerciaux de spiruline, la production ayant doublé en Chine pour passer de 19 000 tonnes en 2003 à 41 570 en 2004, selon la FAO.
Le manque de statistiques sur la production mondiale de spiruline laisse à penser que cette plante « ne fait pas encore l’objet de la considération sérieuse qu’elle mérite en tant que culture potentiellement essentielle dans les zones côtières et alcalines où l’agriculture traditionnelle est en difficulté », pouvait-on lire dans l’exposé de principe publié par la FAO.
M. Manini, secrétaire général de la convention pour la spiruline, a indiqué à IRIN que la production commerciale de l’algue représentait l’essentiel du marché, très peu de spiruline étant produit à des fins humanitaires.
La FAO a recommandé que les gouvernements et les organisations humanitaires réévaluent l’usage de la spiruline en situation d’urgence, en particulier « une fois que d’autres formes d’aide alimentaire ne sont plus acheminées ».
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