Constitués en groupes d’activistes politiques opposés au pouvoir du président de la République démocratique du Congo (RDC), Joseph Kabila, de nombreux Congolais vivant en Europe veulent réinstaurer les bonnes mœurs chez leurs compatriotes. Ils ont pour noms « Bana Congo », « Patriotes combattants » ou encore « Bakolo Congo ». Pour ce faire, ils ont pris pour cible des chanteurs doublement accusés de faire allégeance au pouvoir de Kinshasa et d’attentat à la pudeur, à travers leur production musicale. Werrason, Papa Wemba et récemment Fally Ipupa ont vu leurs concerts annulés en France et en Belgique, suite aux pressions et manifestations.
Certains sites communautaires comme Starducongo avaient prévenu : le concert de Fally Ipupa du 12 mars au Zénith de Paris sera un « match » entre l’artiste et ses adversaires, des activistes congolais qu’on retrouve sur Internet sous les appellations de « Bana Congo », de « patriotes combattants » et de « Bakolo Congo ». Depuis le début de l’année, ceux-ci empêchent certains chanteurs originaires de la RDC de se produire sur les scènes européennes. Fally Ipupa n’a pas fait le poids face à eux. Alors que Meganet, le producteur du spectacle tablait sur une salle comble après que le chanteur eût attiré 5500 spectateurs dans le même lieu un an plutôt, Fally Ipupa et son orchestre se sont retrouvés devant moins de 50 personnes. La prestation qui était censée se dérouler de minuit à l’aube, a donc tourné court. Sans la moindre altercation. De sorte que même les policiers et les maîtres chiens postés autour de la salle en prévision d’éventuels débordements n’ont pas eu à intervenir. « Au lieu dit Château Rouge, comme dans tous les quartiers où se regroupent les Congolais, les activistes ont usé de la dissuasion. Ils ont menacé de représailles quiconque se rendra au Zénith et ça a bien marché », explique dépité un cadre de la société Meganet.
Fally Ipupa n’est pas le seul artiste à s’être vu interdire de spectacle ces dernières semaines, sur fond de débordements sur le théâtre européen des soubresauts de la politique congolaise. Avant lui, ses compatriotes Werrason, surnommé « roi de la forêt » et leader du groupe Wenge Musica, et Papa Wemba ont vu deux dates annulées. Dans les mêmes conditions.
Le 19 février alors qu’ils s’apprêtaient à se produire à guichets fermés à l’Elysée Montmartre de Paris, Werrason et Papa Wemba ont vu débouler les « combattants ». Sortant d’une manifestation politique entamée un peu plus tôt dans la capitale française, ceux-ci ont fait irruption dans la salle, obligeant la police à annuler le spectacle, pour cause d’insécurité. Rebelote le 5 mars, cette fois-ci à Bruxelles, la capitale belge. Selon le site Yacongo, la police belge a dû exfiltré le « roi de la forêt » du lieu du concert, la salle Concert Noble de Bruxelles, pour lui éviter un lynchage.
Dépravation des mœurs et opposition politique
Les activistes à l’origine de ces incidents se définissent comme des opposants au régime de Kinshasa, vivant en Europe. Ils disent avoir deux principaux griefs à l’encontre des chanteurs dont ils perturbent les concerts : la dépravation des mœurs et leur soutien au président Joseph Kabila. « Compte tenu de la situation au pays, on ne pouvait pas rester les bras croisés, face à ces musiciens. Les actions qui sont menées visent à dénoncer ce qui se passe sur place au pays et l’immoralité dont ils sont devenus les chantres », indique Nicole Moutolo, affiliée aux « Bana Congo ». Journaliste proche du mouvement et animateur du site AfriqueRedaction, Roger Bongos est plus explicite.
« Le mouvement a démarré sur un certain nombre de constats. En premier lieu, les musiciens comme Werrason, Fally Ipupa, JB Mpiana ou Koffi Olomidé chantent de la pornographie à outrance, à longueur de textes. Les paroles sont si explicites qu’il est tout simplement impossible d’écouter leur musique en famille avec les enfants. Et dans leurs clips, on voit toujours des filles dénudées, exhibant leurs corps dans des mouvements extrêmement obscènes». Et de poursuivre : « Ces gens-là corrompent les jeunes Congolais, même ceux qui sont nés en Europe. Chaque fois qu’ils viennent se produire en spectacle, il y a des jeunes, filles et garçons, qui se rendent dans les magasins pour voler des vêtements de marque. Ils les donnent aux chanteurs ou les revendent pour leur en reverser le produit. En retour, les artistes les remercie en leur faisant des dédicaces ou libanga». Roger Bongos assure avoir recueilli les témoignages de plusieurs parents d’adolescents qui ont dû se rendre maintes fois dans les commissariats pour répondre de leur progéniture mineure interpellée pour vol. « En second lieu, ces artistes font des dédicaces à la gloire du pouvoir de Kinshasa qui en retour les finance, alors que la situation des droits de l’homme est déplorable au pays ».
L’opposant Gaspard Lonsi Koko, président de l’Union du Congo (UDC), qui a annoncé sa candidature pour la présidentielle de cette année, ne dit pas autre chose. « Il ya des chanteurs comme Lokua Kanza, Ray Lema et Kanda Bongo Man qui font une musique noble, véritablement représentative de la chanson congolaise. Et puis il y a ceux à qui on reproche d’abrutir les populations. De nombreux parents ont perdu toute autorité sur leurs enfants et se satisfont des actions menées contre ces musiciens ». Cependant, Lonsi Koko fait une distinction entre les opposants politiques et les « jeunes », qui empêchent les artistes de se produire. « Les artistes ont le droit, en tant qu’individus, de soutenir l’homme politique de leur choix. Werrason et Fally Ipupa ont sans doute été victimes d’une coïncidence malheureuse », soutient-il. Il explique : « En organisant les manifestations du 19 février et du 12 mars, nous voulions seulement dénoncer les violations des droits de l’homme et attirer l’attention de l’opinion internationale sur la situation politique en RDC. Nous ne savions pas que des artistes envisageaient de se produire aux mêmes dates. Le 12 mars par exemple, il y avait une visite prévue en France du président rwandais Paul Kagamé et nous souhaitions manifester à cette occasion, parce qu’il est partie prenante de la crise congolaise. Après la manifestation, les jeunes Congolais ont décidé d’aller empêcher les concerts. »
Pertes financières importantes
Les artistes sont peu diserts sur la réplique qu’ils entendent apporter aux activistes. Contacté par Afrik.com, Werrason a fait savoir par l’un de ses proches qu’il ne souhaitait pas en parler pour l’instant. «Le Roi de la forêt se prépare à mettre sur le marché un dvd dans lequel il réagira face aux accusations qui sont portées contre lui », laisse-t-il entendre.
Chez les producteurs de spectacles, les pertes financières dues aux annulations contraintes de concerts ne laissent pas indifférent. Badive, l’homme d’affaires qui avait promu le concert avorté de Werrason et Papa Wemba a chiffré ses pertes à plus de 80 000 euros. « Je ne suis pas politicien. Je suis un producteur d’événements. Je suis un commerçant et je n’ai rien à voir avec les politiciens. Qui alors va me rembourser les sous que j’ai dû dépenser pour l’organisation de cette activité ? », s’est-il plaint sur Starducongo. Il a dit avoir pris la décision de ne plus produire d’artistes musiciens Congolais. Idem chez Meganet. « Nous ne communiquons pas sur les pertes causées par la perturbation du dernier concert de Fally Ipupa. Mais c’est facile à calculer, si l’on considère que la dernière fois il avait fait plus de 5500 entrées. Nous ne produirons plus un artiste congolais tant que cette situation ne sera pas réparée. On ne pourra par exemple pas faire Werrason qui était prévu au printemps », laisse entendre un cadre commercial de la société. Interrogé sur une éventuelle action judiciaire, il écarte cette possibilité, faute de coupable identifié. « Au niveau de la loi, nous ne pouvons rien faire. Qui voulez-vous qu’on poursuive ? », demande-t-il.
Sur Internet, les fans des artistes attaqués organisent la contre-offensive. Dans une vidéo postée sur le site Congobilili, Ceux-ci attribuent l’action des « Bana Congo » et autres à une expression de jalousie. « Congolais, réveillez-vous dans le bon sens, nous avons vu l’exemple tunisien, en aucun jour ils ne se sont attaqués à leurs artistes pourtant attachés au pouvoir. La jalousie personnelle de certaines personnes mal intentionnées s’applique à cette bataille », peut-on lire dans la légende de cette vidéo.
Insuffisant, cependant, pour mettre un terme au mouvement. Celui-ci pourrait même s’étendre dans les églises évangéliques congolaises qui pullulent dans les pays européens. « Kinshasa cherche à prendre pied dans la diaspora congolaise parce que c’est elle qui finance l’opposition. Nous savons par ailleurs que près de 90% des pasteurs de nos églises reçoivent de l’argent du pouvoir congolais. Il n’est donc pas exclu que la contestation s’étende bientôt dans les lieux de culte », explique Lonsi Koko. Le bras de fer n’est pas près de s’arrêter.