Un point sur la situation politique en Mauritanie. A deux mois de l’élection présidentielle et suite à la vague d’arrestations qui a suivi le putsch manqué du 8 juin, l’avocat des droits de l’Homme Brahim Ould Ebety répond à Afrik.
Brahim Ould Ebety est avocat. Ancien détenu d’opinion en 1998, il fait partie de ceux qui défendent les personnes suspectées d’avoir organisé la tentative de coup d’Etat du 8 juin dernier. Hommes, femmes, civils, militaires, extrémistes islamistes, militants de l’opposition… Ils ont été arrêtés et emprisonnés de façon arbitraire. Première victoire pour le collectif des avocats : tous les civils ont été relâchés le 25 août. Les charges continuent malgré tout de peser sur eux. Alors que le Président mauritanien Maaouiya Ould Taya a quitté Nouakchott jeudi matin pour une visite privée de quelques jours en France, Brahim Ould Ebety revient, dans les locaux de la FIDH (Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme), à Paris, sur cette vague d’arrestations. Il analyse aussi la situation politique de son pays, à la veille des prochaines élections prévues le 7 novembre.
Afrik : Le putsch raté du 8 juin a donné lieu à une véritable chasse à l’homme…
Brahim Ould Ebety : Le cycle infernal des arrestations revient régulièrement. Depuis que Ould Taya est au pouvoir, chaque année connaît son lot d’arrestations et de procès. Cette fois-ci, la vague qui a suivi la tentative de putsch était une campagne marketing à destination de Monsieur Bush. Visant à présenter la Mauritanie comme un pays islamique dans lequel on peut arrêter des imams dans leurs mosquées et dans lequel la lutte contre le terrorisme est une priorité. Personne n’a cru à cette campagne, pas même l’ambassadeur américain à Nouakchott qui a déclaré qu’il n’y avait pas de terroristes sur le sol mauritanien. Le gouvernement a perdu la face.
Afrik : Combien de personnes le gouvernement a-t-il libéré au mois d’août ?
Brahim Ould Ebety : 41 personnes ont été relâchées. Trois bénéficient actuellement de l’asile politique en Belgique, mais d’autres sont sous le coup de mandats d’arrêt ou sont recherchées sans mandat ni raison ! La libération signifie-t-elle la fin des poursuites ? Ceux qui sont en Belgique peuvent-ils revenir ? Nous sommes plusieurs avocats à avoir demandé un non-lieu pour l’ensemble des personnes poursuivies. Les juges n’ont toujours pas donné suite à notre requête. Nous en avons donc conclu que ce n’était pas encore le moment pour eux de réapparaître… C’est pourquoi nous maintenons la pression sur le gouvernement. Il faut que la police politique mauritanienne cesse de jouer avec la liberté des personnes.
Afrik : Que souhaitez-vous pour les prochaines présidentielles ?
Brahim Ould Ebety : Il est essentiel de favoriser l’alternance. Plusieurs candidats se sont déjà déclarés et certains ont décidé de s’unir, notamment autour de la personne de Mohamed Khouna Ould Haidallah, l’ancien chef d’état-major renversé par Taya en 1984. Ils ont décidé d’adopter un code de bonne conduite entre eux car ils ont compris que le véritable danger en Mauritanie, c’est le régime actuel. Les candidatures doivent être définitivement déposées le 7 octobre. Jusqu’à cette date, tout est possible : une candidature unique pour l’opposition, un accord sur des désistements réciproques. Pour ma part, je souhaite une action concertée dans la perspective de protéger et de défendre les droits de l’Homme. Il est important de travailler contre la fraude : établir les listes électorales, distribuer des cartes d’identité, garantir des règles de transparence.
Afrik : En parlant de transparence, une Commission électorale indépendante a-t-elle été mise en place ?
Brahim Ould Ebety : Il n’y a pas de Ceni en Mauritanie. Les opérations électorales sont exécutées par le ministre de l’Intérieur, membre du directoire du Parti républicain démocratique et social, le parti au pouvoir… Le PRDS a désigné des directeurs de campagne dans tous les départements. Le ministre, lui-même, était directeur de campagne d’un candidat dans une région importante. Ce qui a soulevé un tollé et finalement, il a été remplacé. Ni le PRDS, ni le Président, candidat à sa propre réélection, ne sont animés par un minimum de règles de transparence. Le Président a envoyé un communiqué annonçant sa candidature avec le sceau de l’Etat !
Afrik : Et du côté de la venue d’observateurs internationaux ?
Brahim Ould Ebety : Il n’y a pas eu de réponse du gouvernement. Pour se rendre totalement compte de la situation et avoir un impact sur le terrain, les observateurs internationaux doivent être présents plusieurs semaines avant le scrutin pour suivre la préparation et le déroulement des opérations. Sinon, ça ne sert à rien.
Afrik : Avez-vous entendu parler d’une toute nouvelle organisation politique appelée Les Chevaliers du changement créée de l’extérieur ?
Brahim Ould Ebety : Les deux hommes derrière cette organisation seraient les cerveaux de la tentative de putsch de juin qui ont fui la Mauritanie. Ils ont créé leur propre front. Ils réclament de la transparence et appellent les militaires à se joindre à eux pour changer les choses politiquement. J’ai entendu dire qu’ils soutiendraient Haidallah.
Afrik : Quel est le poids des Mauritaniens de l’extérieur dans cette élection ?
Brahim Ould Ebety : Comme le gouvernement ne peut pas surveiller les votes qui se déroulent en dehors du pays, les Mauritaniens résidant à l’étranger n’ont pas le droit de voter, ce qui est une violation de leurs droits. Pour autant, les Mauritaniens de l’étranger ont un impact important, dans leurs pays d’accueil, sur l’opinion internationale et en Mauritanie même. Car ce sont souvent des gens jeunes, intelligents et éclairés, à la tête de sites Internet très consultés au pays.
Afrik : Vous serez de retour en Mauritanie le 10 septembre prochain, quels dossiers vous attendent ?
Brahim Ould Ebety : Celui des islamistes, qui n’est toujours pas réglé. Celui des auteurs présumés du coup d’Etat qui croupissent en prison depuis le 9 juin alors que la garde à vue ne doit pas dépasser 30 jours. Sans compter qu’ils n’ont toujours pas été présentés devant le juge. Enfin, la dernière chose sera de préserver l’indépendance de l’ordre national des avocats. Le gouvernement tente de nous imposer un bâtonnier. Ce que nous refusons catégoriquement. Nous nous battons pour que le Barreau de Mauritanie continue d’assister et de défendre tous les persécutés, et ils sont nombreux….
Afrik : On sent que depuis le putsch manqué, la France tente de se rapprocher de la Mauritanie. Qu’en pensez-vous ?
Brahim Ould Ebety : L’important pour la France, qui connaît bien la Mauritanie, c’est de maintenir ses relations avec elle. Je pense que le message de la France est simple : faire comprendre que l’intérêt de la Mauritanie n’est pas d’aller vers les Etats-Unis mais de rester dans son environnement naturel : l’Afrique, le Maghreb et l’Europe.