« Noiraud » et « bronzé », tels sont les mots employés par un journaliste de France Inter, Christian Bindner, pour décrire les prévenus dans l’affaire Sohane, du nom de la jeune fille morte brûlée vive dans une banlieue parisienne en 2002. Termes qui ont suscité de vives réactions tant dans la communauté afro qu’au sein même de la radio …
Par Fabienne Pinel
« Ils sont deux dans une cage de verre : un petit noiraud aux cheveux très courts, la tête obstinément baissée, la mine compassée et un grand bronzé, au torse bodybuildé moulé dans un tee-shirt turquoise qui met en valeur ses biscotos. » Un compte-rendu d’audience du procès de l’affaire Sohane, sur la radio France Inter, qui crée la polémique. Propos racistes ou discriminatoires ? Sur cette question, même les associations de lutte contre le racisme sont bien en peine de répondre. « Noiraud ou bronzé ne sont pas nécessairement des termes racistes, tout dépend du ton employé… », répond-t-on initialement à la communication de S.O.S Racisme, qui n’avait pas eu vent de l’affaire. Mise au courant par Afrik.com, l’association répond ensuite qu’il est « difficile de déterminer le caractère raciste de ce reportage car le journaliste est très descriptif. Certes, les mots employés sont maladroits, mais nous devons prendre l’avis du service juridique avant de les considérer comme insultants… »
« Inutile de préciser la couleur de la peau »
S.O.S Racisme précise qu’il est extrêmement difficile de caractériser des propos racistes : « Malgré des centaines de plaintes de l’association pour diffamations ou propos racistes, les tribunaux restent très frileux dans leurs condamnations, sauf en cas d’injures. » Pourtant, l’association a une position claire : « Nous considérons qu’il est très souvent inutile de préciser la couleur de peau des individus impliqués dans des faits divers. Les professionnels de l’information ont des responsabilités et nous devons régulièrement faire des rappels à l’ordre. »
Même son de cloche pour Fodey Sylla, ancien président de S.O.S Racisme, aujourd’hui membre du Conseil économique et social et responsable du conseil scientifique du Cran (Conseil représentatif des associations noires). « Si l’on s’en tient à la définition du dictionnaire, le mot ‘Noiraud’ n’est pas péjoratif. Ce qui est surprenant c’est qu’on utilise ce terme alors que la langue française est si riche. On aurait pu dire un jeune Français, ou un jeune issu de l’immigration. Je souhaiterais à l’avenir qu’on décrive les personnes par leur appartenance à une nationalité ou à une origine culturelle avant de les caractériser par la couleur de leur peau », estime-t-il.
Christian Bindner campe sur ses positions
Du côté de France Inter, la direction oppose un « No comment !» qui s’exonère de toute responsabilité… En revanche, Christian Bindner, l’auteur desdits propos, a tenu à répondre dans un document interne à destination de ceux, qui au sein de la radio, s’étaient plaint du caractère discriminatoire de sa description.
Dans cette lettre, qu’il a autorisé Afrik.com à publier, il cherche à justifier ses choix. « (…) Certains d’entre vous ont été choqués, me dit-on, par l’un de mes comptes rendus d’audience, vendredi dernier à 13h (…) Papier ‘photo’ classique des premiers moments d’un procès, où je décrivais les deux accusés en ces termes : ‘ un petit noiraud aux cheveux très courts et à la mine compassée, et un grand bronzé au torse bodybuildé’… Je vous pose la question : auriez vous été aussi choqués si j’avais parlé d’un blondinet, ou d’une rousse incendiaire ? Aurait-il fallu que je retouche ‘ la photo ‘ pour être dans le politiquement correct ? Les mots ont un sens, et le dictionnaire nous renseigne sur le sujet. Noiraud ne signifie ni noir ni négro, et noiraud n’est pas non plus ‘ moricaud ‘, terme péjoratif. Et ‘ bronzé’ n’est pas ‘basané’. J’ai ouvert le Petit Robert : ‘Noiraud : très foncé de peau, de poil, dans la race blanche’. Le Jamal Derrar de mon procès, c’est exactement ça. Le mot juste. L’autre, Tony Rocca, fils d’italien, a tout d’un maître nageur du Club Med, bronzé oui, et biscoteaux saillants. J’ai employé les mots justes et, je ne vous l’apprends pas, les mots sont notre matière première, notre farine et notre levain à nous journalistes.
Faut-il renoncer au mot juste parce qu’on vit dans une époque où, sur certains sujets, il ne faut surtout pas choquer ? Faut-il continuer à confondre les mots et les sentiments ? Faut-il succomber sans cesse à la tyrannie des connotations (connotation : sens particulier d’un mot qui vient s’ajouter au sens ordinaire selon la situation ou le contexte) ? Je vais plus loin : faut-il parler de ‘non-voyant’ pour ne pas dire ‘aveugle’, de ‘préposé’ parce que ‘facteur’ serait infâmant, de « technicienne de surface » etc. Va-t-on continuer à faire une radio qui ronronne, ou va-t-on appeler un chat un chat ? Et pourtant… le fait que vous ayez été plusieurs à avoir sursauté (et je n’ai pas encore consulté les mails des auditeurs !) me semble significatif : mes amis, nous sommes conditionnés, formatés, enfermés dans un langage aseptisé au goût désormais si commun.
Moi-même, toujours vendredi, j’ai renoncé à dire que ce procès s’était donné un jury de ‘gaulois’… (tous les jeunes beurs ont été récusés par le ministère public… et les jeunes femmes par la défense)… Donc je n’ai pas dit ‘gaulois’, pour ne pas choquer… comme quoi !… » Dès lors, reste une question : pourquoi refuser de choquer des « gaulois » et ne faire aucun cas du ressentiment des communautés issues d’Afrique, victimes si souvent de discriminations ?