Il domine la vie politique congolaise depuis trente ans. De la tête et des épaules. Tous les hommes politiques congolais se déterminent par rapport à lui. Pour ou contre. De janvier 2009 à janvier 2010, pas moins de deux cents articles, tous médias confondus, lui ont été consacrés. Mais le connaît-on vraiment ?
C’est son dernier mandat ! Il l’a dit, écrit. Il ne reviendra pas sur cette décision. Autrement, ce serait le comble du slalom politique. Et, surtout, du mépris du Congo. Mais on n’en est pas là. Pourquoi ne pas faire confiance à l’homme du « Chemin d’avenir » pour sa parole ? Pour paraphraser Hegel, nous ne vivons pas pour le futur, nous vivons pour qu’il nous reste un passé. Dans six ans, lorsque Denis Sassou Nguesso aura quitté le pouvoir, quel passé restera-t-il de sa longue vie politique? La réponse appartiendra aux historiens. Les biographes, les commentateurs ou les spécialistes du comportement, eux, se pencheront sur la personnalité de celui qui aura marqué le Congo. Hélas! La tâche ne s’annoncera pas facile.
Personne au Congo, pas même son propre entourage, ne connaît vraiment l’homme du « Chemin d’avenir ». Denis Sassou Nguesso n’a pas encore donné la clé de la chambre de sa personnalité. Congo Site Portail, au lendemain de la parution du Parler vrai pour l’Afrique, écrivait que Denis Sassou Nguesso se dévoile dans son livre. Du n’importe quoi ! Aucun chapitre, dans ce livre, ne livre quelque secret que ce soit sur la personnalité de l’auteur. Il reconnaît à peine qu’il ne sait pas s’il est né en 1942 ou en 1943. C’est dire la difficulté à laquelle seront confrontés les biographes. Denis Sassou Nguesso est une énigme. Et » l’énigme n’est pas une question à laquelle on postule qu’il y n’aura pas de réponse. C’est une question qui ne doit pas avoir de réponse « . Aussi, tout livre qui prétendra détenir une réponse à l’énigme Sassou sera mensonger.
L’homme emportera avec lui sa personnalité et plusieurs secrets politiques du Congo. Qui connaît l’espace et le temps de la mort de Marien Ngouabi, d’Emile Biayenda et d’autres sommités congolaises disparues mystérieusement ? Personne. Lui, peut-être, le sait, dans la mesure où il a toujours été le patron du Congo…
Sans doute faudra-t-il lui poser cette question des milliers de fois ! Mais, d’ores et déjà, l’exercice semble voué à l’échec, tant l’homme se livre peu sur cette page sombre de l’histoire du Congo. Sa non-loquacité constitue aussi sa force, sa puissance… Elle relève de la stratégie qui a toujours été la sienne. Un homme politique, en effet, doit demeurer insaisissable, impénétrable. Surprenant aussi. Etre là où personne ne l’attend. Désormais, Denis Sassou Nguesso chérit l’écologie, l’environnement. Quand on sait les critiques de certaines ONG sur » le saccage de la forêt congolaise « , sa nouvelle tasse thé paraît inattendue. Autres questions : a-t-il des amis? A-t-il des ennemis? La séduction à tout va est sa botte secrète. Mais ses » conquêtes contingentes » le connaissent-elles? Il ne suffit pas de boire un verre ou de jouer à une partie de tennis avec lui pour devenir son ami. Non, l’homme n’est pas facilement accessible.
Mazarin ou Machiavel ?
Sans entrer dans une tentative d’analyse de la personnalité de Denis Sassou Nguesso, il serait plus proche de Mazarin que de Machiavel. C’est la quatrième de couverture de Bréviaire des politiciens qui éclaire sur les deux hommes Italiens : » Pour ce qui est des préceptes de gouvernement, on peut faire confiance à l’homme qui, sachant gagner les bonnes grâces des puissants, a su éliminer ses ennemis, accéder à la première place et la conserver, pendant deux règnes, jusqu’à sa mort. On trouvera donc en ce Bréviaire – suite de maximes et de prescriptions qui jalonnent l’action de l’homme public – une » leçon pragmatique » qui peut, aujourd’hui encore, constituer le vade-mecum de tout homme de pouvoir. » Vous y trouverez, écrit Umberto Eco, plein de gens que vous connaissez pour les avoir vus à la télé ou rencontrés en entreprise. »
Contrairement à Machiavel, Mazarin n’est pas un théoricien. Lui importe avant tout l’efficacité. Il ne s’encombre ni de morale, ni, il faut bien le dire, d’équité. » Nous avons là, poursuit Umberto Eco, un modèle de stratégie « démocratique » – à l’âge de l’absolutisme ! Mazarin nous donne une splendide image de l’obtention du pouvoir grâce à la pure et simple manipulation du consensus. » Et, à étudier Denis Sassou Nguesso, il semble qu’il mazarine, sans y songer. Peut-être a-t-il lu aussi le Brévaire des politiciens, l’original, celui de Mazarin lui-même. Car, pour reprendre les cinq préceptes de Mazarin, Denis Sassou Nguesso simule ; il dissimule ; il ne fait confiance à personne ; il dit du bien de tout le monde ; il prévoit avant d’agir. Il fait d’autant moins confiance à personne qu’il s’entoure toujours de ceux qu’il manipule à l’envi. Rarement, il dit du mal des gens, même de ses détracteurs. Du moins en public.
Comme il simule, il prévoit avant d’agir. Il l’a montré au moment de déclarer sa candidature à sa propre succession. Ce jour-là, le Boulevard des armées était plein à craquer. C’est qu’il voulait, pour cette grand-messe, une image de rassemblement. Alors, ses ex-opposants étaient sur la photo. Et cela devait se passer au milieu d’une foule immense, comme communiée dans un même élan. Aussi, des moyens énormes avaient été déployés pour mobiliser tout ce monde et donner un sens à cette simulation de rassemblement. Mieux encore, il avait tout fait pour que chaque région lui offre une enveloppe, pour sa campagne présidentielle.
Peu importait l’origine de ces millions – chacun le sait –, seule comptait l’efficacité de l’image. Sur ce point, c’était réussi ! Pas de place pour l’improvisation, l’impréparation ! Insaisissable Denis Sassou Nguesso ! Mazarin non plus ne donna pas la clé de la chambre de sa personnalité.