Denis Sassou Nguesso et les symboles


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Le 6 juin dernier, c’est devant une foule en liesse, comme communiée dans un même élan, que Denis Sassou Nguesso s’était déclaré candidat à sa propre succession. Plusieurs opposants, et pas des moindres, ont rallié sa candidature.

Il flottait sur le boulevard des Armées un parfum de Grèce antique où, pour finaliser une transaction ou valider un serment, on recollait les fragments de poterie ou de pièces de monnaie. Le Symbolon, s’exclamaient-ils. Justement, « La symbolique répond aux défaillances de la représentation, écrit Lucien Sfez dans La politique symbolique. (…) Images enchantées. Qu’elles soient attirantes ou repoussantes. Elles ont toutes un même effet : recoller les morceaux pour en faire une totalité. » (Grandiose citation reprise par Patrick Tudoret dans La gloire et la cendre). C’est en effet une « image enchantée » qu’offrirent Denis Sassou Nguesso et ses ex-opposants. Ces derniers, tous ou presque, étaient aux premières loges. Mais que valent-ils vraiment ? Qui sont-ils ?

Il y a Joachim Yhombi Opango, un homme qui adore la vie, affable dans le privé. Il aurait pu choisir une autre carrière, car la politique ne lui réussit pas. C’est le symbole de la fragilité, « du baobab tombé sans vent ». A-t-il été réellement président de la République puis, quelques années plus tard, premier ministre ? Les historiens y répondront.
Il y a Charles Ganao, autre ancien premier ministre de l’outrecuidant et égocentrique Pascal Lissouba. C’est le symbole des « formules, des arguments à priori, de l’abstraction et de l’artificiel ». Il met une telle autorité dans ses propos qu’on le croirait détenteur de la Vérité. Un jour, il plancha à la Conférence économique du Pool. Dans une friandise de métaphores et de synecdoques, il rumina que pour sortir cette région de sa torpeur économique, Kolelas et Milongo devaient se réconcilier, comme s’ils étaient propriétaires du Pool. «… vous avez une paire de chaussures qui va déjà à vos pieds… », a-t-il au président.

Il y a Théophile Obenga, un intellectuel, peut-être, en mal de reconnaissance. C’est le symbole de l’intellectualisme africain. Et, quand on sait la virulence avec laquelle il critiquait Denis Sassou Nguesso, son ralliement est cousu de fil blanc. Un coup de Jarnac. Dans son épithalame, celui qui prône la Maat, compare désormais le président à un « twéré » – mot mbochi qui signifie réfléchi, sage, mesuré.
Résultat des courses : tous trois ne jouissent pas d’une audience épaisse dans le théâtre congolais de la politique.

Il y a Bokamba Yangouma, ancien syndicaliste, symbole fort de la contestation de Sassou 1, peu de temps avant la Conférence nationale ; mais aussi de la souris (entendez : trahison). Hélas, il a depuis épousé le verbe flasque. En fait, durant son exil, il a rencontré Dieu. Et il a demandé « pardon ». Aujourd’hui, il serait une sorte de Paul sur la route de Damas – son parti, peu à peu, s’est mué en Mouvement général des Chrétiens du Congo. Mais il est à craindre qu’il ne soit devenu une sommité de l’amalgame. Jésus Christ lui-même a établi une distance claire entre la politique et la religion : « Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. » Le mot « laïcité » est d’une grande noblesse au Congo.

Il y a Bernard Kolelas, le Moïse congolais. Homme de conviction, leader charismatique, symbole puissant de l’opposition au Stalinisme, hélas flapi par la longue marche vers la terre promise. En chemin, il s’est enlisé dans les marécages des jugements erronés. Il s’est rangé derrière Denis Sassou Nguesso, sans doute pour ne pas gêner la carrière politique de son fils, Parfait Kolelas, ministre de son état. Cependant, Bernard Kolelas demeure incontournable, tant il bénéficie encore d’une large audience.
Tous ces symboles locaux, forts ou moins forts, ont pour ainsi dire ressuscité Jules Renard : «… placer des éloges comme on place son argent, afin qu’ils nous soient rendus avec des intérêts… »

Il y a Nelson Mandela, symbole africain de lutte contre l’injustice. Lui n’a pas rallié la candidature du président sortant, du moins officiellement. Toutefois, dans son livre (lire encadré), dont l’avant-propos est du grand-homme et date de 1996, Denis Sassou Nguesso rapporte (Page 50) que Nelson Mandela lui avait dit : « Vous travaillez pour l’histoire, et c’est la seule chose qui compte. » Laquelle Histoire, un jour, rendra son jugement…

Le projet, premier symbole

Parler vrai pour l’Afrique (éditions Michel Laffon) est, surtout, un livre d’histoire politique africaine, doublé d’une réflexion sur le monde (pourquoi ne s’est-il pas présenté au poste de secrétaire général de l’ONU ?) Denis Sassou Nguesso analyse plus qu’il ne juge. Une once de franchise, parfois, le traverse – il ignore s’il est né en 1942 ou en 1943. On y apprend que Sékou Touré voulait débaptiser Brazzaville, et suggéra le nom de Ngouabiville ; etc.
Mais, sur certains points importants de son projet (11 pages seulement sur les 263), le président est moins loquace, et le journaliste aurait dû le relancer. Par ailleurs, des omissions. Exemple : il y a pléthore de ministres au Congo ! Ne pense-t-il pas que 15, tout au plus 20, suffisent, pour 4 millions d’habitants ?
Malgré tout, c’est un livre à lire, rien que pour agrandir l’âme ou pour connaître davantage l’homme. Le style est dépouillé, sans fioritures, parfois direct. Les chapitres, courts, sont agréablement structurés en quatre parties. Un livre d’une allure calme. Hélas, peu de Congolais le liront. Il coûte 20 euros, soit 13000 CFA, difficile d’imaginer un Congolais moyen débourser une telle somme. Et puis, vendre désormais un livre au Congo, relève du miracle. Les hommes politiques eux-mêmes se sont fâchés avec la lecture.

Les Congolais savent d’où ils viennent ; en revanche, ils ne savent pas où ils vont. Ils ont besoin d’une vision, d’une philosophie, d’un projet.
Il va sans dire que Denis Sassou Nguesso est un d’homme d’Etat, une forte personnalité. Entre autres, il a rétabli la sécurité au Congo ; à sa manière, il a apporté sa pierre à l’UA… Mais le Congo agonise ; une métastase le ronge. La Nouvelle Espérance constitue-t-elle une chimiothérapie salutaire ?

Exemple symbolique de cette maladie : sous Sassou1, le Congo avait un taux de scolarisation de presque cent pour cent – il le reconnaît dans son livre. Sous Sassou2, il est tombé à moins de cinquante pour cent. Certes, il y a eu, entre temps, Pascal Lissouba ! Mais la vacuité et la platitude du mandat du professeur ne sont pas un exutoire. Le fait est que beaucoup d’enfants de 10, 11, 12 ans, ne savent ni lire ni écrire. L’école publique se trouve enfouie dans un même cimetière que la santé. Plus honteux, le bâtiment qui abrite le ministère de l’Education nationale semble sortir du Moyen-Age. A côté de celui des Affaires étrangères, il n’y a pas photo. Rien d’étonnant : le président adore l’International – il suffit de lire son livre. « Si vous trouvez que l’éducation coûte cher, dixit Abraham Lincoln, essayez l’ignorance. »
Il promet que s’il est réélu, ce sera son dernier mandat. Dont acte. Mais, avant ce terme, la vie des Congolais doit changer. Maintenant ! Pas demain ni après-demain !

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