Denis Sassou N’Guesso donne la priorité à la paix


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Le chef de l’Etat congolais et Président de l’Union Africaine Denis Sassou N’Guesso s’est prêté, ce jeudi matin à Paris, au jeu des questions réponses devant un parterre de journalistes invités pour l’occasion. Au menu : la Côte d’Ivoire, la crise au Darfour, l’affaire Hissen Habré, les « fonds vautours », la taxe sur les billets d’avion et l’inertie du Nepad.

Denis Sassou N’Guesso en sortie médiatique à Paris. C’est avec sa toute nouvelle casquette de Président de l’Union Africaine (UA) que le chef de l’Etat congolais a rencontré, ce jeudi matin à Paris, une quarantaine de journalistes invités au cours d’un petit-déjeuner de presse. Affichant la volonté d’éviter toute langue de bois, il a répondu avec sérénité aux nombreuses questions de la salle pendant près de 45 minutes. Toutes les grandes questions d’actualités lui ont ainsi été soumises, aux premiers rangs desquels, la crise ivoirienne et celle du Darfour (Soudan).

Confiant sur la Côte d’Ivoire

Commentant la rencontre inédite de Yamoussoukro (Côte d’Ivoire) entre les quatre principaux leaders politiques ivoiriens, Denis Sassou N’Guesso a estimé qu’elle constituait « une très bonne initiative et un bon message ». « Ils (Laurent Gbagbo, Henri Konan Bédié, Alassane Dramane Ouattara et Guillaume Soro, ndlr) ne se sont pas réunis pour rien. Ils ont pris des décisions importantes, comme celle d’élire un quatrième vice-président (représentant du FPI) au sein de la commission électorale indépendante (pour assurer un meilleur équilibre politique, ndlr), ce qui est un bon signe. Ils ont décidé d’actualiser les accords entre les états majors des Forces armées nationales de Côte d’Ivoire et des Forces nouvelles, ce qui permet d’aller progressivement vers un commandement intégré. Un bon signal pour aller vers le désarmement, la réinsertion et le recensement des électeurs pour les élections d’octobre. » Il a salué la mise en œuvre de cette feuille de route et a tenu à encourager le Premier ministre ivoirien, Charles Konan Banny, maître d’œuvre de cette réunion.

Si son homologue gabonais Omar Bongo Ondimba avait exprimé ses doutes quant à la tenue effective du scrutin d’octobre prochain en Côte d’Ivoire, le Président congolais considère, pour sa part, « qu’il ne faut pas dramatiser outre mesure les propos du Président Bongo ». « Il a exprimé une inquiétude. Il n’est pas interdit de s’inquiéter. A nous de montrer que cette inquiétude n’était pas fondée ». Il a également rappelé que, malgré les nombreuses critiques, le Président sud-africain Thabo Mbeki restait « toujours médiateur pour la Côte d’Ivoire (…) S’il existe des contradictions ce n’est pas une raison pour remettre en cause un mandat ». Il en veut pour preuve la présence du ministre sud-africain des Affaires étrangères à la dernière réunion du Groupe de travail international à Abidjan.

Transformer la mission de l’UA au Darfour en mission de l’ONU

Véritable épine dans le pied de la diplomatie africaine, la crise du Darfour a également fait l’objet de nombreuses questions des journalistes présents. Denis Sassou N’Guesso a reconnu que l’UA rencontrait de « sérieuses difficultés » et confié qu’il était en discussion avec les Nations Unies pour que la « mission de l’Union Africaine se transforme en mission des Nations Unies (ONU) ». Un constat d’échec et un discrédit pour l’Afrique ? Pas vraiment, pour le premier magistrat du Congo. « L’UA a, pour la première fois, réussi à déployer dans un pays africain un contingent de 7 000 hommes (…) Ce serait une erreur de balayer cette expérience d’un revers de la main. C’est dans cet esprit que nous discutons avec l’ONU. Nous avons montré des insuffisances logistiques et financières mais pas au niveau de notre capacité de commandement. Il faut juste voir comment la communauté internationale peut aider l’Afrique à régler ce problème, à trouver une formule pour aller de l’avant. »

« L’Afrique ne laissera pas cette tragédie se développer au Darfour », a précisé le Président de l’UA qui veut que le continent ne fuit pas ses responsabilités. « Nous avons, le 10 mars prochain, une réunion du Conseil de la paix et de la sécurité pour prendre position ». Quant à savoir si le Président soudanais Omar Al-Bachir, qui avait renoncé à la succession de son homologue nigérian Olusegun Obasanjo à la tête de l’UA, récupérerait effectivement ce fauteuil en 2007, Denis Sassou N’Guesso a préféré « ne pas jouer aux devinettes ».

Non à Hissen Habré devant la justice belge et le point sur les « fonds vautours »

Hissen Habré livré à la justice belge ? Sassou N’Guesso et l’UA disent non. « La presse doit savoir qu’on a déjà jugé en Afrique d’anciens Présidents, comme au Congo ou au Mali. L’Afrique n’a pas de leçon à recevoir d’ailleurs. C’est pourquoi les chefs d’Etat africains se sont opposés à l’extradition [de l’ancien Président tchadien]. Une décision prise au sommet de Khartoum. Il a par ailleurs été décidé de mettre en place un comité de juristes africains pour étudier la question et voir quelle décision prendre. Ce comité déposera ses conclusions au prochain sommet de l’UA en Gambie (Banjoul, 1er et 2 juillet 2006,ndlr). »

Récemment épinglé par l’Organisation non gouvernementale Global Witness qui l’accuse d’avoir caché ses revenus pétroliers, le Congo se défend et assume. « Nous n’avons pas caché l’argent du Congo, nous avons protégé», explique Denis Sassou N’Guesso, fustigeant ces « fonds vautours »[<*> Les fonds vautours sont des fonds d’investissements spécialisés qui rachètent les dettes d’entreprises en difficulté (donc à bas prix) afin d’en prendre le contrôle et de les restructurer. Cf livre [Finance d’entreprise, Pierre Vernimmen.]] qui pillent les ressources du pays. « Nous avons pris nos dispositions car il en va de la responsabilité du gouvernement. Acheter une créance à bas prix et l’imposer plus chère au Congo, j’appelle cela du vol, du pillage et du gangstérisme ». Est ainsi dénoncé le principe spéculatif de la pratique. « Avant de donner des leçons de moral, Global Witness devrait se poser la question de la moralité de ces fonds vautours » qui mettent à sac les ressources du pays.

Concrétiser le Nepad et l’initiative de la taxe sur les billets d’avion

La sempiternelle question de l’effectivité du Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (Nepad) n’a pas été épargnée au Président de l’UA. Tout en reconnaissant l’inertie du projet, il a affirmé la volonté de relancer l’initiative pour la rendre, sous son mandat, plus concrète. « Nous n’allons pas continuer à proclamer le Nepad comme un slogan (…) Je suis entré en contact avec quelques partenaires, notamment l’Union Européenne pour identifier et développer trois ou quatre projets prioritaires (…) pour œuvrer pour une vraie visibilité du Nepad et arrêter de faire du sur-place ». Les présidents des communautés économiques régionales seraient en concertation dans une nouvelle dynamique pour faire avancer le Nepad.

L’aide au continent se conçoit également à travers la solidarité internationale, comme en témoigne l’idée, lancée par la France et entérinée par 12 autres pays à travers le monde, d’appliquer une taxe sur les billets d’avion afin d’aider les pays pauvres. Et si ce ne sont essentiellement que des pays du Sud qui ont signé leur accord, Denis Sassou N’Guesso considère qu’il ne s’agit pas là d’un échec. L’échec serait plutôt celui des Nations Unies dans leurs différents plans contre la pauvreté. « Il faut passer la parole aux actes et le mécanisme français est innovant. Le Congo y adhère et nous allons faire en sorte que d’autres pays africains en fassent de même. Il faut aussi que l’effort vienne de nous, même s’il est symbolique. C’est déjà un premier pas.» Il a rappelé que ce n’était pas la seule initiative possible pour faire évoluer la situation des pays en voie de développement. Et de citer celle soutenues par un autre groupe de pays consistant à œuvrer pour la baisse du prix des médicaments.

Priorité à la paix

Si le Président de l’UA s’est montré, dans cette conférence de presse, bien à la hauteur de la tâche, il a toutefois été relativement léger sur la question de « l’urgence de la grippe aviaire ». Sans doute parce que l’Afrique est en plein branle-bas de combat. Au-delà de l’épineuse question sanitaire qui bouscule tous les calendriers, Denis Sassou N’Guesso affiche une priorité fondamentale à son action en tant que Président de l’UA : la paix. La paix qu’il considère comme un préalable impératif à un développement du continent.

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