Le pétrole du Delta du Niger profite à l’Etat nigérian et aux compagnies pétrolières. Moins ou pas du tout aux peuples de cette région du sud-est nigérian. En 15 ans, le mouvement de protestation contre les dommages écologiques causés par l’industrie pétrolière et l’absence de partage des richesses se sont durcis. L’Etat nigérian a réprimé dans les années 90 le Mouvement pour la survie du peuple ogoni (Mosop) de Ken Saro-Wiwa. Il déclare aujourd’hui la guerre aux guerriers du Mouvement pour l’émancipation du Delta du Niger (Mend).
« Shell et les Ogoni peuvent-ils s’entendre ? », s’interrogeait, en août 2005, un article publié dans le magazine Amnistie de l’ONG Amnesty International. Quinze ans après l’exécution sommaire de l’écrivain et militaire écologique Ken Saro-Wiwa et huit de ses compagnons du Mouvement pour la survie du peuple ogoni (Mosop), la question se pose toujours mais autrement. «Les compagnies pétrolières peuvent-elles s’entendre avec les peuples du Delta du Niger ?» D’autant que les relations entre les autochtones du delta du Niger, d’où provient la majorité de la production pétrolière nigériane, et la compagnie anglo-néerlandaise demeurent dans l’impasse. D’une part, parce que devait s’ouvrir ce mercredi, aux Etats-Unis, le procès de la multinationale mais il a été reporté sine die. Elle est accusée d’avoir pris une part active dans l’élimination des militants du Mosop avec la complicité du gouvernement fédéral nigérian. D’autre part, l’armée mène depuis plus de deux semaines une véritable offensive contre les groupes rebelles qui pullulent dans la région, principalement ceux du Mouvement pour l’émancipation du Delta du Niger (Mend).
Des rapports de plus en plus violents
La force conjointe police-armée (JTF), présente dans le delta depuis 2003, riposte ainsi à la déclaration de guerre du Mend. Un nouvel épisode de sa guerre contre le pétrole lancée en septembre 2008 et nommée « Ouragan Barbarossa ». Relancée en janvier 2009 après quelques semaines de cessez-le-feu et rebaptisée « Ouragan Obama », l’opération a repris de plus belle le 14 mai dernier. Selon le Congrès national des Ijaw (Inc), qui représente la plus importante minorité ethnique du delta, au moins 1000 personnes ont été tuées et des milliers d’autres déplacées depuis le début des combats, rapporte Panapress. Des informations démenties par l’armée alors que le principal parti d’opposition nigérian, Action Congress (AC), a appelé la semaine dernière les belligérants à de « la retenue » afin de préserver les populations civiles. Le Mend accuse d’ailleurs le gouvernement fédéral de perpétrer un « génocide » dans le delta.
Le « successeur » du pacifique Mosop, qui dit défendre les intérêts des populations du delta et réclame une meilleure répartition des richesses pétrolières, préfère les méthodes coup de poing. Destructions de sites et enlèvements d’employés des groupes pétroliers se sont multipliés depuis 2006 à l’initiative du Mend. Les violences dans la région du delta du Niger sont à l’origine de la baisse de la production pétrolière nigériane. D’après l’Agence Internationale de l’Energie (AIE), elle est passée de 2,6 millions de barils par jour en 2006 à 1,76 aujourd’hui.
Des manifestations pacifistes…
Les troubles persistent dans le Delta du Niger depuis le début des années 90. Le Mosop, qui voit alors le jour à l’initiative de l’écrivain Ken Saro-Wiwa, est l’expression du ras-le-bol des Ogoni, l’une des ethnies du delta, face à l’exploitation de leurs ressources et à la destruction de leur environnement. Le delta du Niger produit la majorité du pétrole nigérian avec près de 2,4 millions de barils/jour. Mais ces populations comptent parmi les plus pauvres du Nigeria. Le revenu moyen des habitants du delta serait nettement inférieur à celui de la moyenne nationale, le taux de chômage naviguerait entre 75 et 95%, note un rapport présenté, en novembre 2008, au Sénat américain par Nnimmo Bassey, le directeur exécutif de l’ONG nigériane Environmental Rights Action (ERA) – Friends of the Earth Nigeria (FoEN). L’industrie pétrolière ne produit guère d’emplois locaux puisqu’elle fait le plus souvent appel à des expatriés. De même, l’expérience de vie serait de 40 ans, contre 46,7 ans pour le pays. On retrouve principalement dans cette région costale du Sud-Est du Nigeria, qui s’étend sur environ 70 000 km², près de 12 millions d’habitants (sur 148 millions de Nigérians) qui appartiennent aux minorités ethniques Ijaw, Ilaje, Urhobo, Ibibio ou encore Itsekiri. Ces dernières « sont historiquement marginalisées dans la vie politique et économique nigériane ». L’émergence d’une gouvernance locale forte est d’ailleurs rendue impossible par les milices, financées par les politiciens locaux, qui se combattent entre elles ou s’en prennent à des intérêts pétroliers dans « l’indifférence » d’Abuja. Les autorités nigérianes semblent préférer la solution militaire au dialogue. La première alternative a été l’option privilégiée par le régime militaire de Sani Abacha dans le conflit entre Shell et les Ogoni.
Royal Dutch/Shell est le plus important producteur de pétrole au Nigeria, suivi par les compagnies américaines, ExxonMobil et Chevron, puis viennent le Français Total et l’Italien Agip. La révolte ogoni des années 90 a surtout mis en difficulté le pétrolier anglo-néerlandais. Elle sera fortement réprimée à partir de 1993. Cette répression atteindra son point d’orgue avec l’exécution des neuf militants du Mosop.
…à la «guerre totale»
Au début des années 90, le Mosop présente au régime militaire de Sani Abacha son manifeste des droits de l’homme ogoni (Ogoni Bill of Rights). En 1992, le mouvement réclame l’arrêt des dégradations environnementales et des compensations financières pour les dommages déjà causés par l’exploitation du pétrole –fuites sur les pipelines, émanation de gaz toxiques, pollution des sols et des nappes phréatiques – à trois compagnies. En réponse, le gouvernement fédéral décrète que toute manifestation sur les sites pétroliers sera passible de la peine de mort. Le 4 janvier 1993, date du « Ogoni day », le leader du Mosop déclare que Shell n’est pas le bienvenu en Ogoniland. En avril, des milliers de personnes protestent sur le site de Willbros, un sous-traitant de la multinationale. La manifestation est violemment réprimée par l’armée. Bilan : un mort. Les incursions en pays ogoni se multiplient alors. Dans le village de Kaa, en août 1993, l’armée tuera au moins 35 personnes. La même année, le pétrolier anglo-néerlandais arrête sa production après un nouvel affrontement avec les villageois de Korokoro. En mai 1994, l’écrivain Ken Saro-Wiwa et quinze autres membres du Mosop sont interpellés pour avoir assassiné des leaders ogoni. Une soixantaine de villages, accusés de soutenir le Mosop, deviennent la cible des forces de sécurité nigérianes. La campagne causera une cinquantaine de morts et donnera lieu à plusieurs centaines d’arrestations. Le procès bâclé de Saro-Wiwa, 54 ans, et de ses co-accusés en novembre 1995 aboutira à leur exécution. Le mouvement ogoni a inspiré d’autres minorités, notamment les Ijaw. Cependant, il a aussi donné naissance à une mouvance protestataire plus violente incarnée par le Mend, le plus important mouvement rebelle de la région.
En 2008, le nouveau gouvernement de Umaru Yar’Adua n’a pas réussi à les convaincre de faire la paix. Maintenant, il riposte à la « guerre totale » déclarée par le Mend. Une démonstration de force dont le but est de sauver les intérêts pétroliers du Nigeria et des pétroliers. Tout comme Shell, Chevron fait appel aux forces de sécurité nigérianes pour protéger ses installations. D’après le rapport présenté par ERA aux sénateurs américains, la firme américaine verserait même une rémunération à certains d’entre eux en plus des salaires versés par l’Etat. Shell également. La compagnie l’a reconnu en 1996. Un après l’exécution de Ken Saro-Wiwa.
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