Delphine II, l’avènement d’une pipelette


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Delphine II

Delphine Nyobé n’a pas la langue dans sa poche. Poétesse urbaine, la Guadeloupéo-camerounaise de 28 ans développe l’art et la manière de donner vie à ses pensées. Devenue Delphine II, la slammeuse parisienne présente « Chuis la seule ou quoi ?! », un One woman show d’un genre nouveau entre slam et comédie. Interview.

Propos recueillis par Anna-Alix Koffi

La poésie démocratisée. Le slam est un moyen d’expression artistique qui a résolument le vent en poupe en France. Modèle du genre, Delphine II présente « Chuis la seule ou quoi ?! », le premier One woman show mélangeant slam et comédie. Originaire de la Guadeloupe et du Cameroun, Delphine Nyobé, 28 ans, est née à Paris (18ème). Titulaire d’une Maîtrise de sciences du langage obtenue à la Sorbonne, elle a ensuite passé le concours de l’IUFM (instituts universitaires de formation des maîtres) avant de se consacrer au slam et à la scène.

Afrik.com : Delphine II… vous venez d’un dynastie de slammeurs ?

Delphine II :
(rires) Non, c’est le nom de mon père ! Nyobé II, l’Etat Civil m’a spoliée d’une partie de mon patronyme alors je le reprends à la scène !

Afrik.com : Votre éloquence est-elle naturelle ?

Delphine II :
Pas vraiment. C’est difficile à croire quand on voit à quel point je suis bavarde aujourd’hui, mais j’étais proche de l’autisme, à l’étape de l’acquisition du langage. Je n’arrivais pas à communiquer, alors j’ai développé une sorte de langage avec ma sœur aînée qui était la seule à pouvoir me comprendre. J’ai suivi une rééducation avec un orthophoniste entre 5 et 8 ans. Cela m’a beaucoup marquée. J’ai ensuite voulu devenir moi-même orthophoniste. Comme pour fermer le cercle. J’ai donc eu une Maîtrise de sciences de langage à la Sorbonne Nouvelle, mais je n’ai pas passé le concours.

Afrik.com : Une vraie scientifique de la parole, un atout pour le slam, comme pour la comédie. Une sorte de thérapie ?

Delphine II :
On peut dire que le slam et la comédie sont une revanche sur les problèmes d’élocution que j’ai connu enfant. Une revanche parce qu’on prend plaisir à dire ses idées et à être écoutée. J’ai pris plusieurs chemins avant d’y arriver. J’ai découvert le slam en 2001 avec le film « Slam » avec Saul Williams (slammeur américain internationalement connu, ndlr). Ça a été une véritable claque. J’ai découvert des scènes de slam à Paris dont celle du collectif 129 H. J’ai vu ces gens qui se mettaient à nu. J’ai été contaminée et j’ai très vite posé mes textes. Quand quelque chose me passionne, j’essaie de le faire du mieux que je peux. Au départ c’était comme des bulles d’air qui me permettaient de casser la routine du boulot (cadre commerciale nldr). Ensuite j’ai été licenciée économique, ce fut une période assez difficile, c’est le slam qui m’a remis le pied à l’étrier. C’est est apparu comme une alternative. J’ai alors fait beaucoup de théâtre avec le dramaturge antillais Luc Saint Eloi. On a monté une troupe qui s’appelait « Chant d’encre », dont le spectacle était sur le génocide du Rwanda. C’était une belle expérience d’écrire une pièce à plusieurs mains. J’ai ensuite suivi des cours à l’école de one man show du Théâtre de la main d’or à Paris, l’école de Dieudonné. En commençant à gagner mes premiers tournois de slam et à avoir des retours enthousiasmants, je me suis dit pourquoi ne pas proposer un produit fini qui mélangerait le slam et le théâtre. Et ce produit j’ai tenu à le travailler à un niveau suffisant pour pouvoir en vivre, quitte à prendre tous les risques possibles. C’est ce que j’ai fait.

Afrik.com : Vous êtes passée par le théâtre de la Main d’or, partagez-vous les idées de Dieudonné, propriétaire des lieux ?

Delphine II :
Je dissocie vraiment le comédien de l’homme politique qui se met en scène. Je n’ai rien à dire par rapport à l’homme politique, parce que ça ne m’intéresse pas. Il a ses idées, qui ne sont pas forcément les miennes. Il a le droit de s’exprimer, mais je pense que dans ce métier là, il est très important d’être précis et de savoir quelle casquette on porte à quel moment. Côté professionnel, Dieudonné est pour moi le meilleur comédien en One man show depuis Coluche. J’ai suivi ses cours par rapport à ce qu’il donnait dans ses spectacles et à par rapport à son écriture très acide, qui me fait penser à la manière dont j’écris. C’est l’homme qui m’a donné envie de passer sur scène.

Afrik.com : Y a-t-il une différence d’écriture entre le slam et la comédie ?

Delphine II :
Quand j’ai commencé à slamer j’écrivais avec beaucoup d’humour certains slams, mais comme j’ai appris à écrire au format sketchs je garde cela pour la partie théâtre. Je cherche aujourd’hui dans mon slam à trouver un rythme, quelque chose que je puisse après mettre en musique, car il n’est pas exclu que je sorte quelque chose avec une bande son ou un musicien. Dans mon One woman show qui slam j’ai voulu mélanger ces deux domaines que j’adore à savoir le slam et la comédie. A l’école du théâtre de la Main d’or on nous a expliqué qu’il n’existait pas, actuellement, que ce soit chez les hommes ou chez les femmes, de comédiens slameurs. J’avais ces deux choses en moi et je me suis dit que ça pouvait être intéressant de monter un spectacle homogène avec des deux axes. C’est un peu une alternative à tout ce qui peut se faire à l’heure actuelle.

Afrik.com : Qu’est ce que vous écrivez au niveau du slam ?

Delphine II :
Je m’inspire des thèmes de ma vie quotidienne. Je ne veux pas particulièrement défendre la cause des Noirs, mais je parle de ma condition de femme qui est effectivement noire. Les choses sont parfois dites avec rage, mais moi j’essai juste de faire un constat.

Afrik.com : Quel est votre texte le plus fort ?

Delphine II :
Le texte le plus fort que l’on connaisse de moi s’appelle « Coups leurres » et aborde le thème de l’égalité. Il a été créé en 2003 dans le cadre d’un spectacle qui s’appelait Slam opéra. C’est un texte qui est en règle général très apprécié des Noirs mais qui peut susciter la polémique. Notamment avec les Blancs qui ne sont pas à l’aise avec l’autre. Ce texte c’est mes tripes, je l’ai inclus dans mon spectacle après un sketch sur mes cheveux.

Afrik.com : Quelles sont vos attaches avec l’Afrique ?

Delphine II :
Elles sont multiples et d’autant plus passionnées que je n’y suis encore jamais allée. C’est un projet auquel je tiens, ça fait partie des dernières blessures qu’il faut je cautérise et rapidement. Je n’envisage pas de faire un enfant tant je n’y aurais pas mis les pieds. Pour accoucher, il faut que ce pied virtuel que je me suis construit par mes connaissances devienne concret. J’ai l’impression que mon enfant ne sera pas entier sinon. J’ai une connaissance virtuelle de l’Afrique mais je n’en ai pas une image d’Epinal, je sais que je peux me prendre une gigantesque claque, surtout au Cameroun. Certaines personnes en sont revenues émerveillées, d’autres dégoûtées parce qu’elles trouvaient le pays trop corrompu. Moi je prends ce retour au pays plus comme un pèlerinage, comme un travail sur moi que comme un voyage de villégiature. Je me suis documentée toute seule pour connaître mon histoire. Ce n’est pas avec « Nos ancêtres les Gaulois » que j’ai appris gamine que j’allais la connaître. Ma plus grande fierté est d’avoir eu un nom africain (Nyobé). Je me suis déjà frottée à mes amis Antillais sur cette question (Rires). Ma mère a gardé ce nom après son divorce. Guadeloupéenne, elle s’appelle Docteur parce que mon arrière grand-mère était au service du docteur du coin. Quand on lit Le 4è siècle de Glissant[[*Edouard Glissant, Le Quatrième siècle, Gallimard, 1997]] et qu’on voit comment ils ont donné les noms aux anciens esclaves…. On comprend pourquoi Malcom X a pété les plombs ! Je suis fière de mes origines africaines pour ça.

Afrik.com : Pour en venir au One woman show, « Chuis la seule ou quoi ? » pourquoi ce titre ?

Delphine II :
Chuis la seule ou quoi à avoir des idées pareilles ? (rires) Ce sont tous les personnages qui me sortent de la tête. En fonction des retours des premiers sketchs souvent. Il y a, par exemple, pas mal de questions sur mes cheveux qui peuvent paraître bizarre pour ceux qui ne savent pas que les cheveux de Noirs sont comme ça au naturel. Même les Noirs me demandent « qu’est ce que tu leur fais ? ». Rien justement, je suis l’une des seules à ne rien leur faire. Chuis la seule ou quoi à vouloir cette coupe là, à avoir cette vision sur les relations hommes femmes…

Afrik.com : Comment avez-vous écrit votre spectacle ?

Delphine II :
Je l’ai construit autour des rapports hommes femmes, sur l’amour et un sous thème sur ces émissions racoleuses où la personne est déjà au bout du rouleau et ils la finissent pratiquement en direct (rires). J’ai essayé de regrouper tout et il y des niveaux de compréhension en fonction du vécu de chacun. J’ai une vision assez optimiste de l’amour. Je pense que nous nous enfermons beaucoup trop avec nos idées reçues. Je pense que ça bloque à travers la religion et l’éducation. Il y a plein de blocages qu’on nous inculque comme ça. Surtout pour les nanas, c’est très dur pour nous. Je ne veux surtout pas juger ou me poser en censeur, je veux dire mes vérités, les gens adhèrent ou n’adhèrent pas. L’avantage de ce spectacle, pour la partie comique, c’est de dire mes idées avec le rire et le décalage. Pour la partie slam, c’est beaucoup plus brut, beaucoup plus incisif. Je pense que c’est cohérent. Je travaille avec un musicien : Frédéric Alice Orphéus. Il a fait une monstrueuse école de jazz aux Etats-Unis avec Herbie Hanckok comme professeur. Il joue de la guitare, du violon alto, ça ajoute de la douceur. Puisque je suis un peu acide, Frédéric a cette petite touche qui donne un spectacle cohérent et poétique surtout. Faire un simple assemblage de sketches, ce n’était pas mon délire.

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