Certains responsables politiques et militants associatifs s’inquiètent de la signature, mardi, d’un accord d’indemnisation sur les déchets toxiques entre la Côte d’Ivoire et Trafigura. Ils regrettent notamment que le Premier ministre et les victimes de l’affaire n’aient pas été consultés et que le droit de traduire en justice la compagnie hollandaise semble remis en cause.
La signature d’un accord sur les déchets toxiques, mardi, entre la Côte d’Ivoire et la multinationale hollandaise Trafigura, n’est pas du goût de tous. Des politiciens et des défenseurs des droits de l’homme dénoncent un texte qu’ils estiment signé dans la précipitation et en catimini. « Nous n’avons pas été associés ni de près, ni de loin aux négociations ayant abouti au dit accord », a expliqué, selon la presse locale, Safiatou Ba N’Daw, la coordinatrice du Plan national de lutte contre les déchets toxiques et présidente de la cellule opérationnelle de crise, mise en place par le Premier ministre Charles Konan Banny.
Ni vu, ni connu
Ce dernier n’aurait d’ailleurs pas été au courant de la transaction et serait « furieux », selon un de proches, interrogé par l’AFP. D’autant que, le lendemain de la signature de l’accord, trois responsables de Trafigura, dont deux Français, ont été libérés de la prison d’Abidjan où ils étaient enfermés depuis cinq mois dans le cadre du déversement des déchets. Une libération qui sape la décision du chef du gouvernement de faire de ce dossier un « symbole de la fin de l’impunité en Côte d’Ivoire ».
Charles Konan Banny voit ainsi dans cette affaire son autorité foulée au pied une nouvelle fois, après la réintégration, le 15 décembre, de personnels qu’il avait suspendu mi-septembre pour leur implication dans le scandale. Au sein de l’appareil politique, le ministère des Finances, le conseil des ministres et le conseil de gouvernement n’ont pas non plus été mis dans la confidence.
Si dans les hautes sphères le secret semble avoir été bien gardé, c’est encore plus vrai au niveau des associations de victimes des déchets toxiques. « Les victimes n’ont pas été contactées alors que ce sont les premières concernées », dénonce le secrétaire général du Mouvement ivoirien des droits de l’homme, Baba Diaby, que nous avons joint par téléphone. Etonnant, car le gouvernement a déclaré qu’il allait en partie consacrer une partie des 150 millions d’euros empochés à leur indemnisation.
Qu’adviendra-t-il des poursuites des victimes ?
Etonnant et troublant car, contre cette somme, l’Etat ivoirien renonce à toutes les poursuites contre Trafigura, alors qu’une enquête est en cours et que des victimes ont déjà saisi la justice de leur pays. Est-ce à dire que la signature du « contrat de la honte », comme certains le surnomment, rend leur action en justice caduque ? « L’Etat bénéficie certes d’un mandat général de représentation des populations sur le plan international, mais cela ne l’autorise pas à se substituer aux victimes pour mettre fin aux actions judiciaires », a expliqué Patrick N’Gouan, président de la Ligue ivoirienne des droits de l’homme, interrogé par l’AFP. « Les victimes peuvent continuer à poursuivre Trafigura, mais l’Etat ivoirien ne le fera pas », complète Baba Diaby. Au cas où elles n’en auraient plus la possibilité, l’accord serait anti-constitutionnel puisque l’article 20 de la constitution stipulant que « toute personne a droit à un libre et égal accès à la justice ».
Si les autorités ont promis de ne pas poursuivre Trafigura, la justice aura-t-elle les mains libres pour donner suite aux dossiers constitués ? « C’est notre inquiétude, confie Baba Diaby. Il y a une véritable immixtion de l’Etat dans le judiciaire, mais nous avons saisi plusieurs instances internationales, dont la Fédération internationale des droits de l’homme, qui se chargeront de porter l’affaire devant la justice internationale si la justice ivoirienne fait défaut. » Pour sa part, dans un communiqué publié lundi, le Rassemblement des républicains de l’opposant et ex-premier ministre Alassane Ouattara « condamne une fois de plus l’intrusion du chef de l’Etat (Laurent Gbagbo) dans l’instruction de ce dossier et considère cet accord comme un nouvel acte de mépris pour les victimes ».
Reste qu’à l’heure où la Côte d’Ivoire a libéré des responsables présumés du déversements des déchets, les Pays-Bas ont arrêté, jeudi, deux employés du port d’Amsterdam. Selon l’agence néerlandaise ANP et le site Internet du quotidien De Volkskrant, ils sont soupçonnés d’avoir dérogé au protocole sur le transfert de déchets toxiques.