
La déchéance de nationalité française connaît une recrudescence inédite, touchant principalement les personnes d’origine maghrébine, et plus particulièrement les Franco-Marocains. En 2024, 41 personnes ont été déchues de leur nationalité, un record depuis la mise en place de cette mesure. Une tendance qui s’inscrit dans un durcissement législatif entamé après les attentats de 2015 en France.
La France a lancé une vaste procédure de déchéance de nationalité. La majorité des individus concernés par cette procédure sont des binationaux originaires d’Algérie, du Maroc ou de Tunisie. Parmi eux, les Marocains sont particulièrement nombreux, ce qui illustre une application inégalitaire de cette mesure. Le cas de Karim Kinali, un Franco-Marocain déchu de sa nationalité en 2023 pour avoir projeté un attentat en 2015, en est l’exemple le plus marquant. Né à El Jadida, il a été condamné à sept ans de prison en 2019.
Déchéance initialement pensée pour des cas de terrorisme avéré
La loi française, via l’article 25 du Code civil, permet de retirer la nationalité française à toute personne naturalisée ayant commis des crimes graves, notamment des actes de terrorisme. Elle ne s’applique qu’aux binationaux, car la France ne peut rendre une personne apatride. Cela explique pourquoi les populations issues de l’immigration, qui conservent souvent leur nationalité d’origine, sont les plus concernées.
Si la déchéance est initialement pensée pour des cas de terrorisme avéré, elle tend aujourd’hui à s’élargir à des terrains plus politiques. En mars 2024, plusieurs membres du gouvernement français ont évoqué la possibilité de retirer la nationalité française à Rima Hassan, eurodéputée de La France Insoumise, pour avoir tenu des propos jugés comme une apologie du terrorisme. Or, aucune condamnation pénale ne visait alors l’élue, ce qui soulevait des inquiétudes sur l’instrumentalisation politique de cette mesure.
Le précédent néerlandais : les Marocains également visés
La France n’est pas la seule à recourir à cette pratique. Les Pays-Bas ont également déchu de leur nationalité plusieurs binationaux néerlando-marocains, accusés d’avoir rejoint Daech ou d’autres groupes extrémistes. Entre 2017 et 2018, six personnes (quatre hommes et deux femmes) ont perdu leur nationalité néerlandaise.
Dans certains cas, cette décision s’est fondée uniquement sur des rapports des services de renseignement. Leur nationalité marocaine a empêché qu’ils deviennent apatrides, comme en France. Fait intéressant, certains de ces déchus ont été réintégrés dans la nationalité néerlandaise, car les groupes qu’ils avaient rejoints n’étaient pas officiellement classés comme terroristes au moment de leur départ pour la Syrie.
La jurisprudence européenne et les limites du dispositif
En France, plusieurs cas ont été portés devant la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH). En 2020, elle a rejeté la requête de cinq binationaux, dont quatre Franco-Marocains, condamnés en 2007 pour leur lien avec le Groupe islamique combattant marocain, responsable des attentats de Casablanca en 2003. Ces hommes, devenus Français entre 1991 et 2001, avaient été déchus de leur nationalité en 2015.
La CEDH a estimé que leur droit à la vie familiale n’était pas violé, puisqu’ils restaient autorisés à vivre en France avec des récépissés de séjour. Toutefois, leur situation demeure précaire, leur statut étant juridiquement fragilisé. Leurs avocats avaient dénoncé une décision injuste pour des hommes « modèles d’intégration », insistant sur le fait que leurs enfants sont scolarisés et leurs familles insérées dans la société française.
Une mesure critiquée mais persistante
Malgré les critiques sur sa portée discriminatoire et son potentiel usage politique, la déchéance de nationalité reste un outil privilégié par l’État français dans sa lutte contre le terrorisme. En 2024, 19 des 41 personnes déchues l’ont été après des condamnations pour terrorisme. Loin de faiblir, cette pratique semble se renforcer, avec une surreprésentation manifeste des ressortissants marocains, souvent naturalisés, et donc juridiquement vulnérables à cette sanction extrême.
La question de la justice et de l’égalité devant la loi reste posée, alors que la France, comme d’autres démocraties européennes, continue de jongler entre sécurité nationale et respect des droits fondamentaux.