Stigmatisée, caricaturée, fabriquée de toute pièce par les médias, la banlieue est sous le feu des projecteurs en France à chaque fois qu’elle brûle. En réponse à ce traitement médiatique très éloigné de la réalité, des médias alternatifs issus des quartiers populaires proposent un regard neuf sur la banlieue et ses habitants avec une meilleure connaissance des enjeux et du terrain. L’association Presse et Cité a organisé le 3ème forum Médias-Banlieue, le 10 décembre au Parc de la Villette, pour promouvoir leur potentiel.
Loin des voitures qui brûlent et de la violence, l’ambiance est détendue. Des poignées de mains chaleureuses, des éclats de rire, associations, journalistes, artistes, confrontent leurs idées autour de petits fours. Comment les médias des quartiers peuvent-ils donner d’autres méthodes de travail aux médias traditionnels? C’est sur ce thème que le forum a été lancé. Au programme, projection de films, plusieurs tables rondes sur la crise des médias et ses conséquences dans les quartiers, et un spectacle de danse et de chants pour clôturer le tout.
La banlieue fabriquée par les médias
Le traitement médiatique des émeutes de 2005 à Clichy Sous Bois a laissé un goût amer à nombre d’habitants des quartiers. Faute de connaissance de la banlieue, la plupart des médias avaient réalisé des reportages suscitant la peur. Pour éviter la recrudescence de ce scénario, des médias alternatifs se sont formés pour travailler au cœur des quartiers. Le Bondy Blog, dirigé par Nordine Nabili, incarne cette tendance. Le site est aujourd’hui une référence incontournable.
Ladji Real, du haut de ses 1m90, se bat contre « la fabrication d’une banlieue par les médias qui n’existe pas ». En réponse au reportage diffusée sur Arte, La cite du mâle , qui aborde les relations difficiles entres les femmes et les hommes dans les quartiers, il a produit un contre reportage qu’il nomme La cité du mal ou la banlieue fabriquée par les médias. « La cité du mâle, diffusée sur Arte, avait été déprogrammée car les protagonistes s’étaient plaints d’être manipulés par la journaliste. Moi je suis reparti sur les lieux du tournage pour effectuer une contre-enquête en donnant du sens à tout cela avec l’analyse d’experts et de sociologues qui explique pourquoi le traitement médiatique de la banlieue est biaisée. Avec ces images à la télé, il est normal que les gens aient peur d’embaucher dans les quartiers. On ne fait pas un reportage pour piéger les gens. Des personnes ont perdu leur boulot, une mère de famille vit dans la peur de perdre la garde de ses enfants. Certains ont été en garde à vue, d’autres ont été jugés. Quoiqu’on en pense, La cité du mâle a eu une forte influence sur la vie de beaucoup de personne.
Axiom, un rappeur français d’origine algérienne de 35 ans, préfère utiliser le terme de «quartier populaire » plutôt que « banlieue », qui est d’après lui trop vague et doit être banni par les médias. Il faut créer, selon lui, « une politique d’ouverture vers les populations des quartiers populaires. Le véritable enjeu est là ».
Créer des passerelles entre médias et quartiers
Erwan Ruty, journaliste et directeur de l’Agence de presse des quartiers Ressources Urbaines, pense « qu’il doit y avoir plus de rencontres entre les médias, les quartiers et les associations ». D’après lui, «une partie de la presse a peur de la banlieue et ce n’est pas la solution. Pour que les choses changent, les médias doivent accepter de discuter avec les habitants des quartiers et s’ouvrir à des milieux sociaux divers pour plus de pluralité. Il faut des spécialistes de la banlieue qui soient capable de passer des coups de fils aux associations des quartiers pour être bien informés des réalités qui existent. L’idée ce n’est pas qu’il ait une rubrique banlieue, mais une rubrique politique, sociale, culturelle sport, de la banlieue, pour ne pas parler d’elle uniquement en termes de violence ».
Les médias ont pris conscience de leur part de responsabilité sur l’image négative que renvoie la banlieue. L’objectif désormais est d’élaborer de nouvelles méthodes de travail qui permettent une collaboration entre médias des quartiers et médias traditionnels. L’amorce d’un dialogue est en marche, même si la réconciliation entre médias et banlieue reste fragile.
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