De la pertinence des privatisations pour l’Afrique


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Globe terrestre
Globe terrestre représentant une partie de l'Afrique

On a tendance à beaucoup avoir peur et à fortement critiquer les libéralisations en Afrique. Ce genre de programme inquiète beaucoup les populations. Pourquoi ?

Dans son article, Eric Ng Ping Cheun, souligne que les libéralisations en Afrique sont menées dans des contextes inappropriés. Le capitalisme de copinage conduit l’Etat à faire passer une entreprise publique dans les mains d’un privé ami. L’impact positif attendu sur les populations ne se fait donc pas sentir. Et pourtant, quand on se penche sur la gestion des entreprises publiques, le peu d’exigence et d’engagement des dirigeants est inquiétant. Travaillant comme des fonctionnaires, ils n’ont d’ailleurs aucune incitation à bien faire. L’incitation est vraiment un moteur indispensable.

La privatisation n’a pas bonne presse en Afrique. Elle a été souvent contestée, voire remise en cause au regard de son bilan mitigé. Elle est souvent présentée comme une menace pour le développement et la création d’emplois. Toutefois, il ne faudrait pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Car si la mise en œuvre des privatisations en Afrique a été dévoyée en raison du non respect de certains préalables institutionnels (état de droit, liberté des prix, concurrence saine, etc.), ce n’est pas pour autant que les privatisations sont perverses en soi. Au contraire, bien mises en œuvre, elles seront sources de prospérité pour tous, et ce pour plusieurs raisons.

Propriété et entrepreneuriat

Lorsque les citoyens croient que le seul chemin vers l’enrichissement personnel est la fonction publique, la société finit par manquer d’innovation et les individus ne peuvent plus mobiliser leurs idées et leurs énergies créatives pour produire de la richesse. Les droits de propriété privée, en stimulant l’esprit d’entreprise, encouragent l’innovation, un aspect et un résultat primordial du processus entrepreneurial. La propriété publique, en inhibant l’esprit d’entreprise, décourage l’innovation.

Il n’est pas logique de soutenir l’esprit d’entreprise et de s’opposer à la privatisation en même temps. C’est parce que l’on ne peut agir en tant qu’entrepreneur que sur la base de ressources propres. Fondamentalement, l’esprit d’entreprise consiste à découvrir les bénéfices de purs arbitrages et à dépenser des ressources réelles pour créer de la valeur en répondant à des besoins encore insatisfaits. La découverte entrepreneuriale elle-même reflète la naissance d’un droit de propriété privée sur une chose.

En revanche, il n’y a pas de lien entre la propriété publique et l’esprit d’entreprise. Un aspect crucial de la propriété privée, la transférabilité, est absent dans le cas des biens publics et, par conséquent, l’entreprise publique échappe au contrôle du marché. Le manque de transférabilité de propriété supprime le mécanisme de discipline des propriétaires publics (l’Etat) qui se dédouanent de leur responsabilité en cas de pertes. La propriété non transférable est inefficace car entourée de peu d’incitations à faire bien. C’est bien cela le nœud gordien de la mauvaise gouvernance publique dans la mesure où les gestionnaires sont tentés de poursuivre des objectifs, contraires à l’intérêt général, sans en assumer directement les conséquences.

Risques et incitations

Lorsque la sphère politique s’ingère dans la sphère économique, on observe bien souvent des incitations perverses pour des dépenses de type « éléphants blancs », alors que les institutions du marché aident les acteurs privés à prendre des risques calculés. Comme les attitudes des gens à l’égard des risques varient, la propriété privée permet une réallocation des risques parmi les opérateurs. La propriété publique ne l’autorise pas en raison de l’appropriation obligatoire. Ainsi, selon l’économiste américain Alchian, un père fondateur de l’approche par les droits de propriété : « Sous la propriété publique, les coûts de toute décision ou choix sont moins supportés par le décideur que sous la propriété privée ».

En outre, le style de gestion diffère selon la nature de la propriété. Dans les entreprises publiques, non soumises à la concurrence, il n’y a pas de lien entre les recettes et les efforts déployés, et le prix des services fournis ne reflète pas leur véritable valeur. En conséquence, les gestionnaires publics ne peuvent que faire ce que Ludwig Von Mises appelle «gestion bureaucratique» par opposition à la «gestion de performance». Habituellement appelée classe de fonctionnaires, la bureaucratie est en fait une forme particulière de gestion qui ne recourt pas au calcul économique (coûts vs bénéfices). Par conséquent, ni l’exploitation des ressources ni celle de l’information ne peuvent être efficaces. Et c’est par nature que la gestion bureaucratique est corrompue.

Sans possibilité de réaliser des profits, il n’y a pas d’incitation à fournir du capital pour aucune entreprise. C’est pourquoi les entreprises publiques sont généralement sous-capitalisées et génèrent des gaspillages bureaucratiques. Un système de propriété privée, au contraire, peut déterminer si le capital est bien utilisé de manière à satisfaire les consommateurs. Les entreprises privatisées apportent un meilleur savoir-faire technique et un esprit de gestion moderne.

Biens publics et externalités

Les opposants à la privatisation évoquent les problématiques de biens publics et des externalités, en s’appuyant implicitement sur l’idéal de concurrence pure et parfaite. Par exemple dans le cas de collecte des ordures: étant donné que tous les utilisateurs potentiels tentent de jouer au « passager clandestin», l’offre privée de biens publics serait insuffisante («sous-optimal» dans la langue de l’économiste). Les externalités sont des transactions entre acheteurs et vendeurs qui génèrent des coûts et des avantages pour les tiers, et où les parties impliquées ne tiennent pas compte des effets externes de leurs choix sur les tiers («la société en général»).

L’offre des services qui génèrent des externalités positives (lorsque les avantages sociaux dépassent les coûts sociaux), comme l’éducation et la santé, serait sous-optimale via le marché. À l’inverse, les externalités négatives de la pollution créées par les transactions privées seraient surabondantes. Tout cela est mis sur le compte des défaillances du marché, d’où la nécessité de l’intervention du gouvernement pour les corriger, notamment via des taxes pour internaliser les externalités. Cependant, le comportement de « passager clandestin » peut ne pas être aussi omniprésent que présenté par les théoriciens des biens publics. Des mécanismes peuvent être conçus pour surmonter le problème du « passager clandestin » et amener les individus à révéler leurs véritables préférences pour un bien public. Le processus de découverte entrepreneuriale sans entrave par l’intervention de l’État peut internaliser les externalités mieux que les actions gouvernementales comparables, à condition que les droits de propriété soient clairement définis.

En septembre 1996, un politicien mauricien avait déclaré publiquement que « la privatisation ne devait pas être perçue comme une menace, mais comme une opportunité ». Une telle déclaration, proche du credo du secteur privé, émanait pourtant du ministre des Finances responsable de la planification économique! C’est la preuve que ce ne sont pas seulement les partisans du marché libre qui peuvent considérer la privatisation comme une opportunité plutôt qu’une menace.

Eric Ng Ping Cheun, auteur vient de « Economic Sense », Editions Le Printemps, 2017 (version très élaguée).

Article publié en collaboration avec Libre Afrique.

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