David Ollie Levi, héros des rues


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Le parcours de David Ollie Levi est peu commun. Le jeune congolais a créé en 2004 une association pour venir en aide aux enfants des rues. Son objectif : les réinsérer dans la société pour améliorer leurs conditions de vie. David a lui-même vécu dans la rue lorsqu’il était enfant. D’ailleurs, son bureau est aussi sa maison. Il se définit comme un sans domicile fixe. Un mode de vie qu’il a choisi et assume totalement. David Ollie Levi est l’un des lauréats du prix Harubuntu 2012.

Les cheveux rasés de près. Une chemise bleu clair assortie d’une veste bleue marine. Difficile de croire que l’homme au regard fier est sans domicile fixe. « Mon bureau est ma maison et cela me va très bien ». En effet, lorsque David n’est pas dans son bureau, on le croise rarement dans un endroit définit, tant il est mobile. La mobilité est une deuxième nature chez le jeune congolais de Kinshasa aux gestes vifs et précis.

Lorsque David s’exprime, il donne l’impression d’avoir 40 ans. En réalité, il n’en a que 24. C’est la première chose qui surprend chez lui quand on le voit pour la première fois. Il ne fait pourtant pas plus vieux que son âge. Le poids des responsabilités ? Sans doute. Sa voix est grave et posé. Il a le verbe haut. Le jeune homme est très mûr pour son jeune âge. De la maturité. Il en faut beaucoup pour gérer l’association pour l’encadrement des jeunes et enfants de la rue du Congo, qu’il préside. Et c’est avec beaucoup d’assurance et de passion qu’il raconte comment il a donné naissance à ce projet. Il a créé son organisation à l’âge de 15 ans pour venir en aide aux enfants des rues. Lui-même est un des leurs. « J’étais dans le même cas qu’eux. Mais très vite j’ai voulu changer les choses. Un jour je me suis dit pourquoi ne pas créer une structure qui permettrait à tous les enfants des rues de s’en sortir et d’avoir une vie meilleure. C’est comme cela que le projet a émergé ».

Espoir

David en a fait du chemin. Son projet a mûri. « Grâce à l’aide de nombreuses personnes, notamment des étrangers, l’association a grandi. Nous sommes désormais pris au sérieux ». Le jeune homme et son équipe arpentent sans cesse les rues de Kinshasa à la rencontre d’enfants démunis. Sans toit. Abandonnés par leurs familles. Ces derniers sont livrés à eux-mêmes et confrontés à la rudesse de la rue. « Notre objectif est de les encadrer. Nous les assistons lorsqu’ils ont des problèmes avec la police, organisons leur réinsertion au sein de la société. Nous les initions même à la poésie. Nous travaillons en milieu ouvert. C’est-à-dire que nous allons directement à leur rencontre », explique-t-il. Mais l’objectif avant tout insiste David est « de leur permettre d’apprendre un métier pour qu’ils puissent un jour se prendre seuls en charge avec leurs propres moyens ». Grâce à son action, plusieurs enfants des rues ont pu devenir des cadres moyens dans le pays. « Je souhaite que ceux qui ont réussi à sortir de la rue puissent donner l’exemple aux autres en leur assurant qu’ils peuvent y arriver aussi ! D’ailleurs ont fait régulièrement appel à eux au sein de l’association », dit David.

Les actions de l’association ne s’arrêtent pas là. Elle organise régulièrement des forums pour sensibiliser sur la situation des enfants des rues. « Les enfants y assistent aussi pour parler de leurs difficultés ». Elle tente aussi de réconcilier les enfants avec leurs familles. « On réussit à réintégrer certains au sein de leurs familles. Mais cela ne marche pas toujours. Surtout lorsqu’ils se rendent comptent qu’ils peuvent gagner plus d’argent en étant dans la rue qu’en restant au sein de leurs proches souvent très pauvres. Ils se mettent alors à leur voler. Et une fois que le poteau rose est découvert ils sont de nouveau rejetés et contraints de retourner vivre dans la rue », explique David. L’approche qu’il a avec les enfants des rues est spécifique. Il loue sans cesse son efficacité : « L’approche que nous avons est différente de celle des autres pour résoudre le problème. Notre association compte 24.000 membres et la majorité sont d’anciens enfants des rues. Donc nous connaissons leurs attentes ».

Une enfance douloureuse

David comprend parfaitement le calvaire que vivent les enfants des rues. Et connaît mieux que quiconque leurs difficultés. Comme la leur, son histoire est douloureuse. Lui aussi a été rejeté très tôt par sa famille. Il n’a que six ans lorsqu’il se retrouve dans la rue. Turbulent. Plein d’énergie. Il ne tient pas en place. Ses parents divorcent. Il vit avec son père qui se remarie. Ses ennuis commencent très vite. Sa belle-mère l’accuse de sorcellerie. Puis de viol sur sa petite sœur de deux ans. Pour le punir, on le roue de coups. On l’envoie ensuite chez son oncle paternel. « Chez lui, c’était encore pire. J’étais battu tous les jours, sans relâche. Ma grand-mère vendait des beignets et j’en volais parfois. Tous ces comportements qu’ils estimaient bizarres les font croire que je suis un enfant sorcier », raconte-t-il. « Un jour, ils m’ont tellement frappé que je décide de dire que je suis sorcier pour m’en sortir ». La suite ? « Ils m’ont envoyé à l’église pour un exorcisme. Le prêtre m’a fait avaler du sel, de l’huile d’olive, me réveillait pour des prières en pleine nuit. Bref le calvaire. » Puis l’exorcisme prend fin. Le prêtre ordonne alors qu’on vienne le chercher. « Mais personne n’est venu me chercher. Personne ne voulait de moi. » De son côté, sa mère se remarie aussi mais affirme à tous qu’elle n’a pas de fils. Ces mots blessent le jeune garçon. Aujourd’hui encore, la plaie est ouverte. « J’ai beaucoup de rancœur vis-à-vis de d’elle à cause de ses propos. Je souffre du manque d’amour que je n’ai pas eu dans mon enfance».

Passé trois mois à l’église sans voir ses proches, David comprend qu’il est seul. Livré à lui-même, le jeune garçon vagabonde dans les rues de Kinshasa. Ils y rencontrent d’autres enfants, comme lui, rejetés par leurs familles. Un groupe d’entre eux l’adoptent. « J’allais faire l’aumône pour le plus vieux du groupe avec qui je partageais les gains ». Très vite, ceux qui l’ont recueilli comprennent que David est différent. Il s’exprime correctement et avec intelligence. Le jeune David voyage aussi beaucoup. « Parfois j’allais jusqu’à Brazzaville. Et les gens que je rencontrais sur ma route m’aidaient. Je m’exprimais tellement bien que tous me croyaient lorsque que je leurs racontais que mes parents étaient décédés. Que j’avais nulle part ou aller ect… C’est en inventant ces histoires que j’ai pu m’en sortir. » Toutes ces épreuves ont forgé le jeune homme. « Il faut avoir vécu des douleurs pour pouvoir aider et aimer », dit-il. Aujourd’hui, il est révolté « par le sérieux problème des enfants des rues en République démocratique du Congo (RDC). Que des enfants dorment dans la rue dès l’âge de deux mois, c’est insupportable ! C’est révoltant ! »

Violence, sexe, chanvre et sida

En République démocratique du Congo (RDC), les enfants des rues sont au nombre de 60.000. Agés de 0 à 17 ans, la majorité ont été chassés par leurs familles qui les ont accusés de sorcellerie. D’autres se retrouvent dans la rue en raison du divorce de leurs parents qu’ils n’auraient pas supporté. Parfois, ils sont rejetés par leurs proches parce que ces derniers n’ont pas les moyens de les prendre en charge. Pour David, « les principaux problèmes auxquels ils sont confrontés sont le fait, déjà, qu’ils n’aient pas de toit pour se loger. » Beaucoup consomment du chanvre pour oublier leurs souffrances. Difficile de vivre dans la rue et de ne pas en consommer. « Moi-même j’en ai déjà pris. Les jeunes filles, elles, se prostituent pour survivre. Elles tombent parfois enceinte et sont contraintes d’accoucher dans la rue et d’y élever leur bébé. Le sida est aussi un fléau qui mène beaucoup d’entre eux au cimetière. »

Sans compter la violence. La rue aussi n’échappe pas à la loi du plus fort. Différents groupes de jeunes des rues munis de machettes se livrent régulièrement à des affrontements sans merci. « Ce sont des guerres de territoires, constate David. Chacun protège sa zone. Les enfants des rues dorment un peu la journée mais pas la nuit car c’est eux qui surveillent les parkings, les boites de nuits, pour se faire un peu d’argent. Il y a forcément des rivalités. » Là aussi, le jeune homme intervient régulièrement en médiateur auprès des leaders de ces groupes rivaux. « Je les résonne et tentent d’apaiser leurs esprits ». Des conflits qu’il résout la nuit. « Ils m’arrivent souvent de ne pas dormir pendant 24h00 d’affilé ! Mais en ayant pas d’endroit fixe ou dormir, je peux mener librement mes activités ».

David est fier de la vie qu’il mène. Même si elle lui demande beaucoup d’énergie. « Vous savez, de nos jours, on construit plus de maisons que de ponts ! Le capitalisme a pris le dessus malheureusement. Les gens se perdent là dedans. Ils perdent même leur identité », déplore-t-il. « Moi je n’ai peut-être pas de maison, mais je suis un homme comblé. Je vis chaque jour pleinement ma vie ! », conclut le héros des rues.

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