Les lesbiennes, gays, bisexuels ou encore transsexuels (LGBT) afro-caribéens se heurtent au quotidien à de multiples difficultés. Craignant d’être rejetées par leurs familles ou de subir des violences, beaucoup sont contraints de vivre cachés. Entretien avec David Auerbach Chiffrin, porte-parole de la Fédération Total Respect, qui leur vient en aide pour améliorer leurs conditions de vie.
Afrik.com : Votre association prête main forte aux personnes LGBT africaines et ultramarines. Quelles sont concrètement vos actions pour leur venir en aide ?
David Auerbach Chiffrin : La Fédération Total Respect, qui comprend 14 associations membres, a été créée en 2005 dans le but de soutenir, accompagner et représenter les personnes LGBT de couleur. Elle comprend également 2 115 membres personnes physiques ; en revanche, nous n’avons qu’une vingtaine de bénévoles, ce qui est très peu par rapport à ce nombre. Nous aidons certaines personnes à trouver des papiers, d’autres à s’en sortir lorsqu’elles se heurtent à des difficultés sur leur lieu de travail, mais nous n’accompagnons pas un grand nombre de personnes. Déjà, nous avons peu de moyens. Ensuite, elles sont peu nombreuses à venir nous voir pour nous confier leurs difficultés : elles ont souvent peur de rencontrer des personnes qui les connaissent au sein de l’association ou qu’un membre ne respecte pas les mesures – pourtant draconiennes – de confidentialité. L’essentiel de notre travail est donc de mener un plaidoyer qui puisse toucher bien au-delà du public avec lequel nous sommes en contact direct.
Afrik.com :Comment expliquez-vous le fait qu’il y ait si peu de bénévoles par rapport au nombre d’adhérents ?
David Auerbach Chiffrin : Tout simplement parce que nous représentons des minorités très peu disposées à être visibles. Beaucoup vivent cachés, notamment pour fuir le regard de leur famille, parce qu’ils ont honte, mais aussi parce qu’ils ont peur d’être rejetés par leurs proches ou d’être victimes de violences. Il y a des personnes LGBT qui assument leur orientation sexuelle, mais d’autres ont intériorisé le discours homophobe ou préfèrent vivre cachées pour se protéger. Certaines ont quitté leur terre ou leur île d’origine pour se réfugier en France, en ayant toutes les raisons de penser que leur vie était menacée, car elles représentent, à leur corps défendant, l’honneur de leur famille et que cette dernière veille à ce que cet honneur ne soit pas bafoué. Dans les communautés africaines et ultramarines, la famille occupe une place centrale, incontournable : par conséquent, il y a très peu de ruptures familiales, contrairement aux communautés d’origine européenne. En Europe, si vous êtes en conflit avec votre famille, vous pouvez vous en aller, c’est dans l’imaginaire collectif. Ce n’est pas le cas en Afrique ou dans les outre-mers français, et cela crée des situations individuelles qui paraissent inextricables aux personnes concernées. On nous raconte des cas de suicide en Afrique. Par exemple, un président d’une association de jeunes en Afrique se serait jeté du haut d’un immeuble à cause de la pression sociale, parce qu’il n’arrivait pas à envisager d’avenir possible à sa vie, alors même que personne n’était encore au courant de son homosexualité. Au Cameroun ou au Tchad, il y a un vieux proverbe qui dit que « celui tue un homosexuel ira au paradis tandis que celui qui abrite un homosexuel dans sa maison sera maudit ».
Afrik.com : On le sait, les personnes LGBT africaines ou ultramarines se heurtent à de multiples difficultés au quotidien. Quelles sont les plus pénibles à vivre pour eux selon vous ?
David Auerbach Chiffrin : La plus grande difficulté à laquelle elles se heurtent, c’est l’obligation de discrétion. Pour la plupart, lorsque les familles sont mises au courant de leur orientation sexuelle, cela se passe très mal. Certaines sont mariées ou l’ont été et ont laissé des enfants dans leur pays d’origine : elles ne veulent donc pas que « cela » se sache, elles ont peur que leurs enfants soient stigmatisés. Je peux donner l’exemple de ce Malgache qui a rencontré un autre de ses compatriotes à Paris : il s’est rendu compte que ce dernier était gay aussi ; ils ont décidé d’organiser un repas où plusieurs personnes ont été conviées, mais ensuite un convive a révélé leur homosexualité à un autre, qui l’a dit à un autre et ainsi de suite… Cela s’est su à Madagascar, ce qui a provoqué un drame familial. C’est pour éviter de telles mésaventures que beaucoup de personnes issues de la diaspora ne veulent absolument pas être identifiées, c’est parfois une véritable terreur. C’est une source de malheur pour elles, puisqu’elles aimeraient vivre libres, sans se cacher… comme tout le monde !
Afrik.com : En France, cette pression familiale est moins pesante, non ?
David Auerbach Chiffrin : Les personnes LGBT africaines et ultramarines cumulent plusieurs facteurs de discrimination liés à leur couleur de peau, mais aussi à leur orientation sexuelle. Leurs difficultés débutent souvent à l’adolescence, période où l’orientation sexuelle ainsi que l’orientation professionnelle se déterminent. Lorsque le « coming out » (révélation de l’orientation sexuelle) se passe mal avec la famille, vous pouvez être mis à la rue alors que vous êtes en train de finir ou de déterminer vos études : cela influe directement sur les cinquante années de votre vie professionnelle ! Les personnes LGBT africaines et ultramarines sont confrontées à tout cela. Qui plus est, en France, la communauté africaine et ultramarine vit dans une précarité notable par rapport à la population générale : la majorité vit en banlieue dans des zones défavorisées. Les personnes LGBT de couleur vivent évidemment les mêmes difficultés, mais avec une double discrimination, liée à leur orientation sexuelle. Par ailleurs, même au sein de la communauté LGBT, elles subissent un regard post-colonial, c’est-à-dire qu’elles y sont érotisées pour leurs performances sexuelles réelles ou supposées, mais que leur culture et leurs conditions de vie n’y sont pas prises en compte : elles n’y sont pas vraiment respectées.
Afrik.com : Quelles solutions permettraient selon vous de changer le regard sur les personnes LGBT africaines et ultramarines ?
David Auerbach Chiffrin : Il faudrait que des personnalités de couleur s’engagent publiquement contre les homophobies ou reconnaissent publiquement leur homosexualité. Par exemple, Jacob Desvarieux, qui est une star mondiale, a pris position pour le mariage pour tous : c’était très noble et très courageux de sa part. Le basketteur noir de la NBA, John Collins, un exemple pour beaucoup de jeunes Afro-américains, vient également d’annoncer publiquement son homosexualité, ce qui est une première dans le milieu du basket.
Afrik.com : Vous avez milité en faveur du mariage pour tous. Maintenant que la loi a été promulguée, êtes-vous soulagé ?
David Auerbach Chiffrin : Heureusement, la loi est passée ! Notre but est d’éliminer tous les verrous qui discriminent les personnes LGBT. L’homophobie se fonde sur plusieurs normes : sociales, légales ou morales. Les normes légales sont beaucoup plus faciles à éliminer : il suffit d’un vote. La loi Taubira va faciliter le quotidien des personnes LGBT africaines et ultramarines et leur étendre plusieurs avantages sociaux, mais il reste encore beaucoup d’avancées à conquérir en matière d’égalité, notamment sur la question de la procréation médicalement assistée (PMA).