Le président soudanais Omar el-Béchir a confirmé, dimanche, qu’il acceptait « sans aucune condition » le déploiement d’une force militaire internationale au Darfour. Pour Leslie Lefkow, porte-parole et chercheuse pour la division Afrique de l’organisation de défense des droits de l’Homme, Human Rights Watch, il n’y aura pas matière à satisfaction tant que cette force ne sera pas opérationnelle au Darfour.
L’annonce avait été faite la semaine dernière par l’Union africaine. Elle vient d’être confirmée par le président soudanais en personne, Omar el-Béchir. Ce sont ainsi entre 16 000 et 19 000 soldats de la paix qui seront déployés dans la province du Darfour, située dans l’ouest du Soudan, dans le cadre d’une force internationale. Hybride, elle sera composée de soldats de l’Union africaine et de Casques Bleus des Nations Unies. La communauté internationale fait pression depuis plusieurs mois pour obtenir cette concession des autorités soudanaises. Le conflit au Darfour a déjà fait plus de 200 000 victimes et 2,5 millions de réfugiés dont certains ont trouvé asile dans l’est du Tchad. Une région que la crise du Darfour a déjà contaminée. Le déploiement de cette force internationale ne devrait a priori pas se faire avant 2008, mais le mandat actuel de la force de l’Union africaine, composée de 7 000 hommes, dont elle prend le relais expire le 30 juin prochain.
Afrik.com : Omar el-Béchir est pour le déploiement sans conditions d’une force internationale au Darfour. Cette annonce constitue-t-elle une bonne nouvelle ?
Leslie Lefkow : Tant que rien ne sera fait sur le terrain, nous ne pourrons pas considérer qu’il y a eu du progrès. Certes, il s’agit là d’un grand pas en avant. Cependant, nous sommes familiers des revirements de dernière minute du gouvernement soudanais. Tant que ce déploiement ne sera pas effectif et que la situation, en termes d’atteintes aux droits de l’homme, de protection des civils et de garantie de la sécurité, n’aura pas changé sur le terrain, nous nous garderons de crier victoire.
Afrik.com : Votre avis sur le pont aérien français est-il aussi réservé ?
Leslie Lefkow: Un corridor humanitaire n’est pas une mauvaise idée en soi puisqu’il permet d’apporter de l’aide à des populations qui en ont un besoin vital. Malheureusement, il n’apporte pas de solution aux problèmes fondamentaux, à savoir ceux que j’évoquais tantôt.
Afrik.com : Pensez-vous que les ONG qui quittent le Darfour, comme Oxfam, reviendront si la force internationale est déployée ?
Leslie Lefkow : Sa présence sur le terrain, éventuellement dans les six prochains mois à venir, sera une étape majeure. Mais encore une fois, ce n’est pas la panacée et cela ne devra en aucun cas signifier que le travail est terminé. Beaucoup reste encore à faire par les politiciens, comme continuer à faire pression sur les autorités soudanaises. Les corridors humanitaires, le déploiement d’une force internationale sont des étapes vers une solution de sortie de crise qui se cristallise autour de la question des atteintes aux droits de l’homme qui doivent cesser au Soudan.
Afrik.com : Pour des raisons que l’on imagine aussi bien culturelles que géopolitiques, le conflit au Darfour contamine l’est du Tchad. Peut-on dire qu’il y a une volonté délibérée des Janjawids d’étendre le conflit au Tchad ?
Leslie Lefkow : Leur présence au Tchad ne peut-être en aucun cas le fruit du hasard. Des attaques sont perpétrées, depuis le Tchad, au Darfour depuis des années. De même que des attaques de milices s’intensifient au Tchad. « Janjawid » devient par conséquent un terme flou pour désigner ceux qui perpétuent des attaques au Darfour ou dans l’est du Tchad. Il y a une multitude de groupes armés qui opèrent dans ces régions. Ce qui me semble le plus important, c’est le dénominateur commun de toutes ces actions : la motivation. La principale étant de piller les civils attaqués. Nous le constatons aussi bien au Soudan qu’au Tchad. Les incursions des militaires sont motivées par des raisons économiques et les fortes tensions ethniques qui subsistent dans la région. Il est question, entre autres, pour eux de s’approprier des vivres et autres moyens de subsistance. Dans beaucoup de cas, il s’agit de récupérer la terre qu’ils ne peuvent posséder autrement. Des raisons politiques expliquent aussi ces attaques du fait des alliances que les différents mouvements ont établi sur plusieurs fronts. C’est une combinaison de facteurs qui est à l’origine de ces attaques qui mettent en péril la vie des populations civiles.
Afrik.com : Le Tchad examine aussi, sur proposition du ministre français des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, la possibilité d’un déploiement d’une force internationale dans l’est de son territoire. Qu’en pensez-vous ?
Leslie Lefkow : Le déploiement d’une force internationale dans l’est du Tchad est un gage supplémentaire dans le sens de la protection des civils. Mais encore une fois, au risque de me répéter, cela ne suffit pas.
Afrik.com : En dépit des nombreuses informations que l’on reçoit, il est toujours difficile de se faire une idée sur la crise au Darfour. Une certitude pourtant : elle ne tient pas à la question religieuse. Pour vous qui travaillez sur le terrain, comment pourrait-on résumer ce conflit ?
Leslie Lefkow : Les causes du conflit au Darfour sont assez complexes à exposer. Il n’y en a pas une seule. Malheureusement, le conflit a été par trop simplifié : il a été souvent réduit à un conflit entre « Africains » et « Arabes ». La crise au Darfour est avant tout politique. La province est en conflit ouvert avec le gouvernement central de Khartoum, comme ce fut le cas pendant plus de 20 ans dans le Sud Soudan. Le Darfour est un endroit où se côtoient des groupes aux motivations diverses. Pour Khartoum, il s’agit d’en finir militairement avec les rebelles, ce qui n’est pas celle des Janjawids que les autorités soudanaises ont recruté pour les aider à atteindre cet objectif. Ils sont issus, certes d’une minorité arabe de la région, mais en même temps, il y a d’autres minorités arabes qui ne prennent pas part au conflit. Vous avez effectivement des groupes minoritaires qui n’ont pas accès à la terre, aux services, qui vivent dans une situation économique des plus précaires et qui n’ont quasiment pas de pouvoir politique. Pour ceux-là, la proposition de Khartoum de les enrôler a été très alléchante parce qu’elle leur offrait de nouvelles perspectives parce qu’ils étaient marginalisés sur le plan socio-économique et politique.
Afrik.com : Les autorités soudanaises, qui ne sont pas favorables à sa tenue, ont indiqué à Bernard Kouchner qu’elles ne participeraient pas à la réunion de Paris. Que vous inspire cette réaction ?
Leslie Lefkow : Ce refus n’est pas surprenant dans la mesure où le gouvernement soudanais s’évertue à nier l’ampleur des atteintes aux droits de l’homme qui sont perpétrées au Darfour. La dernière chose qu’ils souhaitent, c’est de voir se tenir une autre conférence sur le Darfour qui focaliserait l’attention du grand public et des médias sur cette province qu’ils veulent que le monde oublie.