L’Union africaine est prête à passer la main à l’ONU dans le conflit du Darfour, mais pas avant septembre. Sa mission au Soudan connaît des difficultés logistiques et financières, mais l’institution compte garder la main au niveau diplomatique, et espère aboutir à un accord de paix avant cette échéance. Khartoum, qui avait mis en garde les Nations Unies contre toute tentative « d’ingérence », a salué la décision.
Le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine, réuni le 10 mars dernier à Addis-Abeba sur la question du Darfour, a coupé la poire en deux sans l’épépiner. Il a décidé de prolonger son mandat jusqu’à septembre et « d’apporter son soutien de principe à un transfert de la Mission de l’Union africaine au Soudan (Amis) à une mission des Nations Unies » après cette date. Un nouveau délai pour Khartoum, qui a salué la décision, et avait crié plus fort que jamais, la semaine passée, manifestations populaires à l’appui, que le Soudan serait le tombeau de toute force onusienne qui y poserait le pied. La décision souligne que l’Onu ne pourra pas envoyer de forces de paix au Darfour sans l’accord du gouvernement soudanais, selon Abou Zaid al-Hassan, ambassadeur du Soudan en Ethiopie et représentant permanent à l’UA, interrogé par Xinhua. Mais rien ne dit que Khartoum, juge et parti dans le conflit, qui joue sur la fibre panafricaine en affirmant son refus de l’ingérence, acceptera jamais une telle force.
C’est également un délai pour l’Union africaine, qui ne souhaite pas voir sa première mission armée sur le continent assimilée à un échec. Le délai technique pour passer la main à l’ONU avait d’ailleurs été estimé à neuf mois par Alpha Oumar Konaré, le président de la Commission africaine. Durant les six mois prochains, l’UA souhaite parvenir à la « stabilisation de la situation sécuritaire et à] la conclusion d’un accord de paix pour le Darfour (…) avant la fin avril 2006, et améliorer les relations entre le Tchad et le Soudan », indique le communiqué final. Les deux pays, qui s’accusent mutuellement de soutenir des dissidents à leur frontière commune, ont signé un [accord de paix le 8 février dernier à Tripoli. Mais N’Djamena a accusé Khartoum de l’avoir violé la semaine passée.
Une force conséquente, expérimentée et un mandat élargi
Outre les besoins mensuels, très précisément chiffrés à « 22 857 719 dollars américains », vendredi, par Alpha Oumar Konaré, l’UA a hérité pour sa première intervention sur le continent d’un terrain difficile, grand comme la France, pour 7 000 hommes déployés. Elle a récemment éprouvé de grandes difficultés logistiques, en raison de la détérioration de la situation sécuritaire. Autre problème, son mandat est limité à l’observation et à la protection des observateurs internationaux. Brian Steidle, un jeune Marines américain qui a collaboré de septembre 2004 à février 2005 à une mission d’observation de l’UA, au Darfour, explique qu’il rusait avec ses collègues en s’installant dans des villages, accompagnés d’une cinquantaine de militaires chargés de les protéger, dissuadant ainsi les milices janjawid et les troupes gouvernementales de toute agression.
Mais ces astuces sont bien insuffisantes pour protéger les milliers de Soudanais quotidiennement tués, violés et déplacés. De nombreux observateurs, encore favorables il y a quelques mois à un maintien de la force africaine soutenue logistiquement et financièrement par la communauté internationale, ont opté pour une reprise en main, sur le terrain, par l’Onu. « Si ce sont des militaires de pays comme la France, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne… c’est à dire bien armés et entraînés, une force de 25 000 hommes peut suffire. Mais si ce sont des soldats de pays en développement moins équipés et formés, ce devra être plus », juge Brian Steidle, qui continue à penser que l’UA devrait rester influente dans la future force de paix.
Le travail des ONG ralentit
Le cessez-le-feu signé le 8 avril 2004 entre les belligérants est sans cesse violé par les milices janjawids, les troupes gouvernementales, qui les appuient, et les forces rebelles, qui en viennent depuis peu à s’affronter. Les ONG ont de plus en plus de mal à travailler, certaines ayant même enregistré des pertes humaines. Le Haut commissariat aux Réfugiés (HCR) a annoncé jeudi dernier qu’en raison de cette forte insécurité, il a dû réduire son budget de 44% (de 33 à 18,5 millions de dollars), après avoir diminué ses équipes en janvier dernier.
« Khartoum résiste systématiquement à chaque initiative lancée afin de protéger les populations du Darfour », regrette Paul Simo, directeur stratégique pour l’Afrique à Human Rights Watch. « Le Soudan, poursuit l’ONG américaine, s’est employé à semer des embûches sur le parcours des soldats de la force de l’Union africaine, ce que des responsables haut gradés ont publiquement dénoncé. Le gouvernement soudanais a ainsi retardé la livraison de 105 transporteurs blindés, refusé le réapprovisionnement en carburant aux avions de l’Union africaine et peint les véhicules gouvernementaux en blanc afin de les faire passer pour des véhicules de l’Union africaine, mettant ainsi en danger les soldats de l’Union africaine ».
Selon les Nations Unies, le conflit au Darfour continue d’affecter 3,5 millions de personnes, dont 1,8 ont été déplacés et 200 000 sont réfugiés au Tchad voisin. Les estimations, parfois divergentes, font état d’environ 300 000 morts.