Comment pardonner à un criminel de guerre impuni ? C’est la question que pose Mahamat-Saleh Haroun dans Daratt, son dernier film. Le réalisateur tchadien, lui-même blessé lors d’une guerre civile dans son pays, explique à Afrik si son troisième long métrage l’a aidé à répondre à ses propres interrogations. Daratt, primé à la Mostra de Venise 2006, est visible actuellement sur les écrans français.
« Daratt ne traite pas de la guerre civile mais de ses conséquences. Ce qui m’intéresse, c’est le paysage après la tempête », explique le réalisateur tchadien Mahamat-Saleh Haroun à propos de son dernier film. Après que le gouvernement a annoncé l’amnistie pour les criminels d’une guerre civile passée, on y voit un grand-père donner un revolver à son petit-fils afin qu’il retrouve l’assassin de son père et le tue. Mahamat-Saleh Haroun a lui-même été blessé durant l’une des guerres civiles qui ensanglantent épisodiquement le Tchad depuis 1965. « Quelle attitude adopter face à l’impunité ? Se résigner ou se faire justice soi-même ? » se demande-t-il dans le dossier de presse du film, Prix spécial du jury au dernier Festival de Venise (2006=. « Et quand on a choisi cette dernière option, c’est quoi tuer un homme ? » A son tour, il répond aux questions d’Afrik.
Afrik : Réaliser Daratt vous-a-t-il permis d’apporter des réponses à vos questions sur le pardon et la vengeance ?
Mahamat-Saleh Haroun : Ce film lui-même semble être une réponse en ce sens que cela dépend de chacun. Cela passe par une prise de conscience individuelle qui permet de se situer dans un cercle infernal sans fin. Dès lors que l’on a réalisé cette prise de conscience, on peut mettre fin à ce cercle, à ce déterminisme.
Afrik : Car il ne s’agit pas seulement de la volonté d’une personne, mais du poids de l’histoire d’une famille sur elle…
Mahamat-Saleh Haroun : Il y a un lourd passé, une tragédie, on sent une sécheresse dans les sentiments des personnes touchées. Le passé préfigure un certain présent. Il s’agit de se construire un présent par le libre arbitre. Néanmoins, le film ne peut-être réduit à une demande à qui que ce soit de pardonner… Ce serait prétentieux et ce n’est pas son propos. Mais la haine est finalement quelque chose qui vous mine et c’est de cela dont il faut se débarrasser.
Afrik : Pensez-vous que la paix soit possible sans justice, suite à une amnistie ?
Mahamat-Saleh Haroun : Je ne pense pas que l’on puisse s’en relever. C’est pour cette raison que le film est sur la corde raide durant toute sa durée et qu’il peut balancer d’un côté ou de l’autre à tout moment. C’est Atim qui trouve une solution à son problème. Mais il n’est jamais dit que la violence inhérente à la guerre civile disparaît. Je ne pense pas qu’il soit possible d’arriver à pardonner comme cela, sans un endroit où libérer sa parole.
Afrik : Avez-vous discuté de ce sujet avec les acteurs, notamment Youssouf Djaoro, qui comme vous a vécu la guerre civile ?
Mahamat-Saleh Haroun : Youssouf Djaoro avait sa famille impliquée dans la guerre. On en discutait car il connaît des victimes, des personnes dont les proches ont été exécutés. C’est terrible. Tout ce passé a nourri le travail des acteurs. Sans dévaloriser ce travail, il leur suffisait de se baisser pour trouver un bout de mémoire de ce passé.
Afrik : Vous retournez souvent au Tchad où vous dîtes être constamment confronté à « l’après guerre ». En avril, vous avez été confronté à la guerre, à N’djamena, alors que vous débutiez le tournage. Est-ce décourageant ?
Mahamat-Saleh Haroun : Je n’ai pas été découragé. Plutôt en colère. Je me suis dit que si quelqu’un comme moi, qui essaye de donner des nouvelles vivantes du Tchad, baisse les bras face à ce monceau de crétinerie, le Tchad sera doublement mort.
Afrik : Avez-vous éprouvé un plaisir particulier à réaliser un film où les choses sont montrées et très peu dites ?
Mahamat-Saleh Haroun : Je pense qu’il y a un plaisir particulier car lorsqu’on enlève le dialogue, il reste le visuel. Et on se demande comment dire les choses à travers les corps, les espaces… On revient à un rapport sur la grammaire cinématographique clair. Oui, c’était jubilatoire.
Afrik : Daratt sera-t-il projeté devant le public tchadien ?
Mahamat-Saleh Haroun : Comme tous mes films, il est d’abord sorti au Tchad, en octobre dernier, dans des salles qu’on appelle des vidéoclubs. Quelques débats ont eu lieu. Les gens s’attendaient à un film classique de vengeance. J’ai été heureux car ils ont été interpellés par la fin plus que je ne l’aurai pensé.
Daratt est sorti en salle le mercredi 27 décembre
Avec Ali Bacha Barkai, Youssouf Djoro, Aziza Hisseine
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