Dans « Daratt », le cinéaste tchadien Mahamat-Saleh Haroun pose la question de la cohabitation après une guerre civile dont les criminels sont absous. Comment le jeune Atim va-t-il grandir et construire son pays alors que le devoir de vengeance est tout ce qu’il a hérité de son grand-père ? Le film, primé au Festival de Venise, sort le 27 décembre dans les salles françaises.
Un jeune homme dévale les rues étroites de son village aux murs de terre, sous un soleil de plomb, vers son grand-père qui le hèle depuis plusieurs minutes. Arrivé dans la cour familiale, il allume le poste radio pour écouter une nouvelle attendue comme « un message divin », selon la formule du réalisateur Mahamat-Saleh Haroun. Une voix annonce l’amnistie générale pour tous les criminels de la guerre civile au Tchad. A cet instant, alors que la justice des hommes est défaillante, rien ne peut plus interrompre le cycle de la vengeance aux yeux du grand-père, aveugle. Atim reçoit de ses mains un pistolet afin qu’il réalise son destin et tue l’assassin de son père, qui vit à N’djamena.
Il est filmé dans un 4X4 en direction de la capitale, sur une route interminable qui coupe le désert d’est en ouest. L’image fait penser à la percée de colonne rebelle qui a atteint N’djamena le 18 avril dernier. Mahamat-Saleh Haroun y débutait à peine son tournage.
Comme des animaux en cage
Le court échange d’Atim avec son grand-père, comme ceux du jeune homme avec Nassara, l’assassin de son père, qu’il retrouve rapidement à N’djamena, son mis en scène avec une économie de paroles maximale. Dans le premier cas, le procédé met l’accent sur le caractère mécanique de la vendetta enclenchée. Dans le second, elle laisse les deux protagonistes principaux du film se faire face dans un huis clos étouffant.
Nassara est devenu boulanger et sa femme attend un enfant. Il garde de la guerre une blessure au cou qui l’empêche de s’exprimer autrement qu’avec un amplificateur de son. Musulman pratiquant, il demande à Dieu le pardon qu’il ne parvient pas à réclamer aux hommes. Un jour, il accepte d’engager Atim, qui se présente pourtant à lui dans une position de défiance extrême, sans mot dire. Dès lors, la cour de Nassara devient le théâtre de leur confrontation. Toujours dans le non dit, les deux hommes s’affrontent du regard, se toisent, se frôlent et se sentent comme des fauves en cage. Poussée à la limite, leur étrange cohabitation ne rompt pas.
Elle est uniquement allégée par la présence de la souriante épouse de Nassara, une jeune et charmante femme objet d’un mariage organisé. Peut-être cette coexistence est-elle également rendue possible par la volonté du jeune Atim de comprendre, voire d’entendre des mots de pardon de la part de l’assassin de son père ? C’est en tout cas pour cela que Mahamat-Samel Haroun, touché dans sa chair par la guerre civile qui sévit depuis 1965 au Tchad, a réalisé ce film. Daratt, qui signifie saison sèche, a reçu le prix spécial du jury au Festival de Venise 2006. C’est le troisième long-métrage du réalisateur tchadien.
Daratt sort en salle le mercredi 27 décembre
Avec Ali Bacha Barkai, Youssouf Djoro, Aziza Hisseine
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