De passage à Paris pour son spectacle, la chorégraphe Robyn Orlin ne déroge pas à sa réputation de femme en colère. On la surnomme » l’irritation constante « .
On la surnomme » l’irritation constante « . De passage à Paris pour son spectacle Daddy I’ve seen this piece six times before and I still don’t know why they’re hurting each other*, la chorégraphe Robyn Orlin ne déroge pas à sa réputation de femme en colère. Contre un système passéiste où il vaut mieux être blanc et pratiquer la danse classique. Explications sur son travail, son engagement, et ses désillusions.
afrik : Votre pièce se veut résolument drôle et subversive. Un décor de hangar, des moyens rudimentaires. Comment est née cette pièce ?
Robyn Orlin : Dans des conditions très difficiles ! Je n’avais pas d’argent, pas de local. C’est cette situation même qui a nourri mon thème : montrer une troupe de danseurs noirs et blancs qui n’arrivent pas à s’entendre sur un projet commun malgré tous leurs efforts.
Je voulais dénoncer les tensions raciales entre les Noirs et les Blancs en Afrique du Sud, que peu de gens veulent reconnaître et dépasser.
afrik : Vos comédiens parodient, entre autres, le Lac des Cygnes. Une danseuse noire en tutu blanc va même jusqu’à se recouvrir de farine, au milieu d’assiettes en plastique rouge disposées sur le sol. Quels messages politique et esthétique sous-tendent vos oeuvres ?
R.O. : La discrimination, sous toutes ses formes, et notamment cette grande xénophobie des Sud-africains à l’égard d’autres Africains venus de pays voisins pour travailler à Johannesburg. Les assiettes rouges sont celles des vendeurs ambulants de fruits et légumes. Ensuite, il faut cesser de distinguer une esthétique occidentale d’une autre tiers-mondiste. En Afrique du Sud, pratiquement tous les financements vont vers des formations de ballet classique composées de Blancs. Je suis furieuse lorsque je vois toutes ces petites filles noires de Soweto qui rêvent de devenir des cygnes blancs.
Voilà tout l’héritage de l’impérialisme culturel post-colonial. La danse classique est un » éléphant blanc » qu’il faut démanteler. Une directrice très raciste d’un grand ballet sud-africain préfère faire venir de jeunes russes plutôt que de prendre des Noirs. Que l’ANC laisse faire cela est intolérable. Personne n’a été préparé à la mixité. Tout mon travail est en réaction à cela, à cette frustration.
afrik : Vous parlez de mixité. Existe-t-il aujourd’hui une identité sud-africaine ?
R .O. : Oui, mais elle est encore très fracturée, très abîmée par des années de racisme et de haine. Mais l’identité doit et devra se construire. Sinon, le pays ne survivra pas. C’est un processus très lent mais qui va évoluer dans les cinq prochaines années. Voilà pourquoi je place la mixité au coeur de mon travail. Je mélange Noirs, Blancs, hommes et femmes de tous âges. Je veux rendre la danse accessible à tous, casser l’aura de la scène, depuis la loge jusqu’au public. En utilisant notamment des lampes mobiles qui suivent les interprètes à la manière d’une caméra.
afrik : Comment est apprécié votre travail en Afrique du Sud, après vingt ans de carrière ?
R.O. : Je suis respectée, reconnue mais pas très aimée dans les milieux de la danse. En tant que Blanche, on me reproche de ne plus danser depuis trois ans. Je suis très critiquée parce que je n’ai pas de revendication nationaliste. Je ne veux pas réduire mes créations à l’Afrique du Sud et ses problèmes mais les élargir au reste du monde. J’ai une vision un peu marxiste de l’art. »
* Papa, j’ai déjà vu cette pièce six fois et je ne comprends toujours pas pourquoi ils se battent .
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