Danse congolaise : le Blanc qui « démontre » depuis 20 ans


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Yaya Loketo
Yaya Loketo

Maître ès danse, Yaya Loketo, de son vrai nom Alain Lévy, a gagné plus d’un concours de danse congolaise en France et au Congo. Danseur blanc parmi les Noirs, il ne s’explique pas ses surprenantes aptitudes, si ce n’est qu’il a intégré naturellement les rythmes congolais sur lesquels il a commencé à évoluer en 1984. Pour ne plus s’arrêter depuis. Avec, Banzambé, sa troupe de danse, et son spectacle masqué-démasqué, il fait mouche à chaque prestation. Effet de surprise garanti pour un public médusé et conquis. Interview, avec en bonus un extrait vidéo à visionner.

Soukouss, ndombolo, kwassa kwassa, tchaku libondas, souléma, toukouniamatatapolo, caneton alaisement… Les danses congolaises n’ont aucun secret pour Yaya Loketo, Alain Lévy de son état civil. Comme le laisse présumer son nom, ce dernier est tout ce qui a de plus blanc. Ce qui ne l’a pas empêché de remporter pendant 20 ans des concours de danse à Paris et à Brazzaville. Des aptitudes venues de nulle part, qu’il développe aujourd’hui au sein de sa troupe de danse, Banzambé, et d’un spectacle où il évolue d’abord masqué, pour tomber le masque en plein show et créer la surprise. « Hé, Dieu ! C’est un Blanc qui danse comme ça ! ». Hé bien oui. Et n’allez pas lui dire que les « Noirs ont le rythme dans la peau », il trouve la remarque « raciste et stupide ». Car la danse est avant tout culturelle. Symbole « de fraternité et de partage », Afrik a rencontré pour vous ce savoureux et singulier personnage.

Afrik.com : Comment avez-vous découvert la danse congolaise ?

Alain Lévy : De manière très simple. J’ai rencontré un ami congolais, qui s’appelle André Toka, en 1978 alors que j’étais en classe de première. Il m’a emmené dans des soirées africaines à Paris et plus particulièrement congolaises, puisqu’il est de Brazzaville. Il m’a présenté son frère qui n’est autre que Djo Balard (célèbre personnalité africaine, une des grandes figures du phénomène de la Sape, ndlr). En rencontrant ce dernier, qui est devenu un ami, j’ai été amené à connaître le milieu du show biz africain dans les années 80. Et c’est comme ça que j’ai découvert un peu plus encore l’univers de la musique et de la danse congolaises.

Afrik.com : Comment avez-vous fait vos premiers pas ?

Alain Lévy : Ça c’est passé de manière tout à fait surprenante. Mes amis m’ont amené danser pour la première fois en 1984, au Grand Rex (un des hauts lieux congolais de Paris dans les années 80, ndlr). Mais je suis resté assis pour regarder les gens et écouter la sonorité qui m’avait beaucoup plu. Ne sachant pas du tout danser, je me suis mis en retrait pour découvrir ce que c’était. Nous sommes retournés danser trois semaines après avec Djo, à un mariage. Et là, je me suis levé et j’ai commencé à reproduire ce que j’avais vu. On a alors constaté que j’étais complètement dans le rythme congolais, que j’avais intégré en moi les pas allant avec la sonorité. À la surprise générale du public, et de moi-même, parce que je ne suis pas danseur, pas sportif, pas musicien. Vu l’effet que ça a fait j’ai continué à danser depuis.

Afrik.com : Vous avez, semble-t-il, gagné beaucoup de concours de danse congolaise…

Alain Lévy : J’ai effectivement gagné des concours de danse, à l’époque zaïroise, en 1985, dans les boîtes africaines. Tout le jury et tous les postulants étaient africains. J’étais le seul Blanc à pouvoir se mesurer aux autres danseurs, et je gagnais. Ça créait tout de suite la joie. On m’a rapidement appelé Mundélé ndombé (mundélé signifiant « blanc » et ndombé « noir » en lingala, ndlr), qui est devenu pendant un certain nombre d’années un peu comme un nom de scène. Et j’ai comme ça gagné des concours pendant 20 ans.

Afrik.com : Votre popularité a-t-elle déjà créé des jalousies de la part des danseurs noirs ?

Alain Lévy : Je n’ai jamais eu de problème de ce côté-là. Ça aurait pu susciter de la jalousie si on m’avait attribué les « prix », lors des concours de danse, par complaisance. Mais nous étions notés à l’applaudimètre. Donc c’est toute la boîte de nuit qui applaudissait ma performance. Quand je gagnais, ce n’est pas parce que le jury me trouvait sympathique.

Afrik.com : Suiviez-vous un entraînement particulier pour être aussi bon danseur ?

Alain Lévy : Malheureusement, je n’ai aucune explication à donner à ce niveau-là. Je le répète, je suis zéro pointé en sport, je n’ai jamais été capable de monter à la corde ou de courir vite. Je n’ai jamais pris un quelconque cours de danse congolaise. C’est vraiment venu de je ne sais où : je suis dans le rythme congolais. C’est-à-dire qu’il n’y a pas un morceau congolais sur lequel je ne puisse évoluer comme si je le connaissais par cœur. Dès la première audition.

Afrik.com : Êtes-vous déjà allé au Congo pour vous mesurer avec les danseurs de là-bas ?

Alain Lévy : Je suis allé à Brazzaville en 1989 où j’y ai, en quelque sorte, validé ma capacité à danser. Je suis allé directement sur place. A l’époque, la boîte s’appelait La main bleue. Vous imaginez, bien entendu, la surprise des gens. Deux ans plus tard, j’ai été dans la vidéo d’Aurlus Mabélé, « Choc à distance ». Puis, à partir de 1997-98, j’ai évolué sur scène avec Extra Musica (un des grands groupes congolais, Congo Brazzaville, ndlr), où j’intervenais comme danseur surprise. J’ai ensuite été amené à créer ma propre troupe de danse, qui s’appelait « Banzambé » (la divinité en lingala). Je dansais masqué. Avec ma prestation, tout le monde était persuadé que j’étais Congolais ou tout du moins Africain. Mais sûrement pas un Blanc. Comme je suis masqué et costumé, on ne peut absolument pas voir de quelle couleur je peux être. Et puis je crée la surprise en milieu de spectacle en tombant le masque. Ça crée un véritable électrochoc positif.

Afrik.com : Vous estimez que l’expression « Les Noirs ont le rythme dans la peau » est raciste. Pourquoi ?

Alain Lévy : Je trouve en effet particulièrement stupide l’affirmation « les Noirs ont le rythme dans la peau ». Parce que c’est un stéréotype et un préjugé. Pour être dans le milieu depuis 1978, j’ai vu X Congolais, qui soit ne sont absolument pas intéressés par la musique, soit ne savent absolument pas danser et ne s’en portent pas plus mal, d’ailleurs. Bien entendu, si l’on prend 1 000 habitants du Congo et 1 000 Français de France, il est évident qu’il y aura plus de gens qui savent danser chez les Congolais. Simplement parce qu’au Congo la musique est partout. Les bars sont en plein air, dans la rue. On entend la musique par la force des choses. On s’en imprègne donc plus naturellement. Et l’on se retrouve culturellement à être plus danseur que les autres. C’est culturel et non génétique. On ne m’a pas prouvé que les gens à la peau noire ont une capacité innée à danser. Il est évident que, si on naît en Afrique, on va être plus exposé aux rythmes et à la danse que si on naît et grandit ailleurs. Donc c’est bien un préjugé raciste, en ce sens qu’on attribue une qualité ou au défaut à quelqu’un en fonction de sa couleur ou de son origine. Et je ne peux pas être d’accord avec cela. C’est comme si quelqu’un disait que « les Arabes ne se lavent pas ». Les gens diraient que cette personne est raciste et que sa remarque est stupide. Et bien moi c’est pareil. Dire que les Noirs ont le rythme dans la peau n’est pas un compliment mais une stupidité.

Afrik.com : Arrivez-vous à danser sur les rythmes africains autres que congolais ?

Alain Lévy : En ce qui me concerne, je n’arrive à danser que congolais. J’ai essayé les autres danses, mais je n’y suis jamais arrivé. Il y a des différences fondamentales entre les danses africaines. La danse ivoirienne, la danse congolaise, la danse sénégalaise, la danse camerounaise et autres sont toutes différentes. Ce qui surprend à chaque fois les Européens. Il y a un amalgame extraordinaire à ce niveau-là. Alors que c’est comme si on disait qu’il n’y a pas de différence entre l’Allemagne et le Portugal.

Afrik.com : La musique congolaise est très riche, mais elle est toujours restée cantonnée au ghetto africain. Comment pourrait-on expliquer le fait qu’elle n’ait jamais percé dans les grands médias en France ou ailleurs ?

Alain Lévy : Le zouk a suivi Kassav, le raï a suivi Cheb Khaled. Il faudrait qu’il y ait un artiste congolais qui puisse introduire la musique congolaise auprès du grand public en France. Je reste persuadé que c’est un des grands genres musicaux qui est resté inconnu. On a écouté du cubain, du brésilien, du zouk , du reggae, de l’oriental… Je crois que tôt ou tard la musique congolaise devrait sortir. Cette dernière connaît toutefois un problème de formatage. Aucune radio n’accepterait de diffuser des morceaux comme « Mario » de Franco (une des principales légendes, aujourd’hui disparue, de la musique congolaise, ndlr), de 22 minutes. Et puis il faut que les grands artistes congolais intègrent la notion de l’heure. Ce qui n’est pas encore le cas. Quand vous avez des grandes pointures congolaises, qui disent à des Majors, comme Sony music et compagnie : « J’arrive quand je veux, je suis un grand artiste, je viens de remplir un stade à Bamako », ça tombe dans le vide ici quand on est à Paris. 14 heures, ce n’est pas 18 heures : c’est 14 heures ! Conclusion générale, si on fait ça à une Major, on ne le fait qu’une fois. Parce qu’il n’y en aura pas de deuxième. Beaucoup se sont complètement grillés comme ça. Alors que ce sont des artistes extrêmement talentueux qui n’ont a rougir de leurs sonorités et de leurs prestations de scène devant personne. Un concert d’Extra Musica commence à 23h30 et finit à 7h30 du matin. Les artistes restent huit heures sur scène ! Il faut voir l’énergie qu’ils dépensent et la joie qu’ils donnent dans leur musique.

Afrik.com : Finalement la discrétion de la musique congolaise en France n’est pas lié à des sonorités trop hermétiques pour le grand public

Alain Lévy : Je suis allé un jour dans un mariage de ma communauté (juive, ndlr) et c’était un jeune Antillais qui passait les disques. Il a annoncé un zouk et tout le monde s’est levé pour aller danser. Au lieu d’un zouk, il nous a mis un Koffi Olomidé. Je le lui ai fait remarquer et il m’a dit : « C’est très simple, si je dis musique africaine, ou musique congolaise ou zaïroise, tout le monde va rester assis. Même si je mets le même morceau. Les gens vont dire ‘on ne connaît pas’. En revanche, si je dis que c’est un zouk, personne n’a d’hésitation. A part vous, personne n’est venu se plaindre de ce zouk qui s’avère être du Koffi. » J’ai été très content d’assister à cela, parce que cela témoigne de toutes les potentialités de la musique congolaise qui reste tout à fait accessible à tous.

Afrik.com : Vous ne dansez jamais seul sur scène, mais avec votre propre compagnie de danse. Est-ce que vous êtes très sollicités ?

Alain Lévy : J’ai créé la compagnie Banzambé en 1999 avec David Ngoa (le frère des Nubians, ndlr). Nous avons fait les premières parties des grands concerts congolais ou africains et même de soirées antillaises. Nous avons fait le Bataclan (salle de spectacles parisienne, ndlr) de Meiway (célèbre artiste ivoirien, ndlr), celui de Viva la Musica, les Magic System à la salle LSC, le Zénith d’Extra Musica, l’Olympia de Papa Wemba et le Bercy (12 000 places, ndlr) de JB Mpiana.

Afrik.com : Quelle est votre actualité aujourd’hui ?

Alain Lévy : Je collabore avec Djouna Mumbafu Big One[[<*>Djouna a été l’animateur de Pépé Kallé (grand artiste congolais). La musique congolaise se structurant essentiellement autour d’un artiste et d’une personne qui fait les animations musicales sur les différents morceaux. Cette dernière revêt une importance primordiale, puisque c’est elle qui met le piment dans la sauce]]. Je danse sur l’un des clips de son premier album solo (Tonnerre de Brest, ndlr). Djouna a été cinq ans le meilleur danseur de Kinshasa, une ville de 10 millions d’habitants. C’est quelqu’un à qui je ne peux pas faire de l’ombre sur scène en matière de show. Parallèlement à cette collaboration, j’ai remonté un spectacle qui s’appelle masqué-démasqué, où je ne suis plus Mundélé Ndombé mais Yaya Loketo. Yaya signifiant le grand frère en lingala et loketo les hanches.

Afrik.com : Quel serait l’un de vos meilleurs souvenirs quant à l’accueil de public par rapport à vos prestations ?

Alain Lévy : Une fois, j’ai eu un Monsieur de près de 50 ans qui est venu me voir pratiquement en larme. Il m’a dit : « Vous m’avez fait plaisir ce soir ! ». C’était un Congolais qui était en France depuis longtemps. Peut-être que quelque part je lui avais rendu son honneur, parce que j’allais au-delà des préjugés et que je témoignais d’une certaine reconnaissance culturelle en dansant sur de la musique de chez lui. Et c’est vrai que j’estime être un peu Congolais quelque part.

Afrik.com : Quel serait, pour vous, un accomplissement artistique ?

Alain Lévy : Mon rêve serait de danser au Mali en décembre prochain pour le sommet France-Afrique, avec a priori Jacques Chirac entouré de tous les Présidents africains. Car mon spectacle est un spectacle de joie, de fraternité et de partage. Le fait qu’un Français puisse danser à un sommet France-Afrique – un Monsieur qui est né et qui a grandi en France – est un symbole fort d’amitié et de partage. Cela montre que l’influence peut marcher dans l’autre sens, à savoir que l’on peut avoir des influences africaines en France.

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