Même s’il est considéré comme un pays à majorité musulmane (96% de la population), le Sénégal est resté attaché aux sciences ancestrales. Au pays de la Téranga comme dans beaucoup de contrées d’Afrique, on croit, à tort ou à raison, que porter un gri-gri ou « téré » en wolof protège contre le mauvais sort ou porte chance. La confection de ces gris-gris ne se fait pas n’importe comment ou par n’importe qui. Il y a en effet des personnes qui sont initiées dans la confection de ces amulettes mystiques et qui transmettent leurs connaissances de génération en génération.
Au Sénégal, n’importe qui ne peut pas se permettre de se lancer dans la confection du gri-gri ou « téré » en wolof, puisque le métier comporte des risques. Raison pour laquelle, seules les personnes initiées dans ce métier peuvent se permettre de s’engager dans la confection de ces protections mystiques, qui reste une affaire de famille… Malgré les secrets que détiennent ces cordonniers habilités à confectionner les gris-gris, ils sont parfois victimes de sortilèges et même de malédictions. Au marché Castors, à Dakar, capitale du Sénégal, Khadim Mboup, la quarantaine révolue, qui dispose de son atelier de confection, nous plonge dans l’univers magico-mystique des gris-gris au pays de la Téranga.
« La confection du gri-gri, c’est une affaire de famille. La connaissance est transmise de génération en génération, puisqu’il y a des secrets. Ce n’est pas tout le monde qui est habilité à exercer ce métier, car il y a beaucoup de risques qu’on encourt. Il y a une étape primordiale qu’il faut franchir, à savoir la phase d’initiation au cours de laquelle l’initié doit apprendre à garder le secret de ses clients, même s’il lui arrive de refuser d’exécuter la tâche demandée, pour une raison quelconque. C’est après cette première phase que, petit à petit, les secrets sont livrés à l’apprenant. Il faut, bien entendu, que l’initié parvienne à passer ce cap », a expliqué Khadim Mboup, qui travaille dans le domaine depuis 2002, soit environ 20 ans.
Certes au Sénégal, le métier de confectionneur de gris-gris est très porteur sur le plan financier, mais il comporterait des risques et les travailleurs dans le secteur sont tous unanimes sur la question. « Outre le mois de ramadan pendant lequel on ne fait que dormir, en raison de l’absence totale de clients, je peux gagner entre 10 000 et 50 000 FCFA par jour. Il arrive même qu’on se retrouve avec un marché de confection de gris-gris de l’ordre de 500 000 et même 1 million FCFA. Mais, je n’ai jamais accepté d’exécuter ce genre de tâche, car il faut parfois se déshabiller complètement pour faire ce genre de travail. Dès lors, tu es obligé de te retirer seul dans une chambre fermée et avec tous les risques que cela comporte. Il arrive parfois, après avoir terminé de confectionner un gri-gri, de se retrouver avec de terribles maux de tête. J’ai plusieurs fois été victime de cela », raconte-t-il, tout en écoutant à la radio la diffusion d’un combat de lutte avec frappe.
Khadim Mboup a également évoqué des anecdotes que lui-même a vécu au cours de sa jeune carrière de confectionneur de gris-gris. « Il y a certains gris-gris qui nécessitent un silence total, lors de leur confection. Une fois que l’on commence à les confectionner, on ne doit plus ouvrir la bouche, tant que l’on n’aura pas achevé le travail. Je vous raconte une anecdote. Une fois un vieux cordonnier a perdu la voix, parce qu’il a parlé en confectionnant le gris-gris, alors qu’il ne devrait pas piper mot au moment de réaliser ce travail. Depuis ce jour, il n’a plus retrouvé la voix. Vous voyez ce genre de risque que l’on prend en confectionnant un gri-gri », a-t-il fait savoir.
Plus loin vers le populeux quartier de Khar Yalla, un vieux cordonnier du nom de Mor Talla Ngom, nous révèle qu’il a failli mourir un jour, après avoir confectionné un gri-gri. Depuis ce jour, il est devenu très regardant sur ce qu’on lui donne à confectionner. « J’ai plus de 60 ans et je fais ce métier depuis plus de 40 ans. J’ai été initié par mon père, qui a lui aussi appris auprès de son père. C’est un travail noble comme tous les autres, mais avec beaucoup de risques. Je suis tombé malade pendant plus de trois mois, après avoir confectionné un gri-gri. N’eût été l’aide de certains grands marabouts de ce pays, j’allais peut être en mourir », a-t-il révélé.
Auparavant, le sexagénaire a pris le soin de nous faire comprendre que c’est un univers magico-mystique ou personne ne détient le monopole du savoir ultime et dans lequel on append tous les jours. Chaque jour avec son lot de revenu certes, mais aussi et surtout, son lot de risques.
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