Ce lundi est un jour particulier pour les quelque 70 familles d’origine africaine qui campent depuis deux mois à Aubervilliers, en région parisienne. Des représentants des squatteurs et de l’association Droit au logement (DAL) rencontrent cet après-midi le sous-préfet, à qui ils entendent demander le relogement de toutes les familles. Afrik a partagé un bout du quotidien avec les familles avant le verdict.
Le soleil chauffe timidement, ce lundi midi, le campement de fortune des squatteurs d’Aubervilliers. Les matelas, parfois juste en mousse, sont posés à même le sol, sur deux rangées, près du grillage du groupe scolaire Joliot-Curie d’Aubervilliers. Sur les couvertures ou les draps qui les protègent, une majorité de femmes et d’enfants s’affairent. Juste à côté, un petit groupe d’hommes discute, prépare le thé. Sur le muret en face des matelas, des jeunes hommes parlent politique et avenir.
Les visages sont graves, les traits tirés. Au contraire de celui des enfants et de ce bébé aux joues gourmandes qui sourit volontiers aux nombreux passants et journalistes. Un quart d’heure plus tard, sa maman arrive avec une assiette pleine de petits pois et de viande. Un plat que se partagent deux de ses voisines de matelas. Dont Fatou, 27 ans. « Cela fait deux mois que je suis dehors avec mes trois enfants. Ils ont un an, quatre ans et huit ans. Deux vont à l’école », explique la jeune femme, qui travaille comme femme de ménage sur Paris.
Alima, 30 ans, mère du bébé de quatre mois, connaît le même calvaire avec ses six bambins. « Avec les petits, il n’y a pas de problème, confie cette Gambienne d’un air mêlant sérénité et résignation. Mais avec les deux plus grands, de 14 et 12 ans, ce n’est pas facile. Leurs camarades leur font remarquer qu’ils vivent dans la rue et ça les gêne. Je leur dis simplement que nous n’avons pas le choix, qu’on a pas de logement. » Sans toit, difficile de suivre sa scolarité. « Je n’ai pas eu le temps d’inscrire les enfants à la cantine, alors ils reviennent ici le midi et repartent après. Pour faire les devoirs aussi, c’est dur, c’est trop dur », déplore Alima, alors que les femmes jouent du tam-tam.
Mobilisation de quartier
La mobilisation de soutien est particulièrement forte à partir de 18h, mais au cours de la journée, l’aide arrive aussi. Aujourd’hui, une jeune femme a apporté un sac de vêtements et une autre a demandé s’il était possible de signer une pétition. Des instituteurs ont par ailleurs pris fait et cause pour les squatteurs. « On ne sait pas trop quoi faire. Avec certains collègues de l’école maternelle et de l’école primaire, on achète des couches, ce qu’ils nous demandent d’acheter », commente Dominique, la maîtresse d’une des filles d’Alima. Dans le quartier, chacun apporte ce qu’il peut et certains invitent les squatteurs et leurs enfants à se doucher chez eux.
Certaines femmes bénéficient du soutien de leur mari ou compagnon, qui parfois vit avec elles dehors. Cette Malienne sans emploi de 28 ans ne connaît pas cette chance. « J’ai eu trois enfants avec un homme mais on n’est pas mariés. Il a déjà une femme. Hier, il est venu, mais il ne fait rien pour nous », raconte-t-elle, la respiration encombrée par un rhume, dont souffre aussi son bébé. Mina, 33 ans, a eu plus de chance. Son ami, lui aussi marié, s’occupe de quatre de leurs six enfants. « Je n’aurais pas eu la place de les avoir tous ici », précise Mina en regardant son matelas une place.
Le va-tout des négociations
Les femmes évoquent peu la réunion que trois délégués des quelque 70 familles et trois autres du Droit au logement doivent avoir avec le sous-préfet de Saint-Denis cet après-midi. Bien sûr, elles espèrent une issue favorable et s’en remettent à leurs représentants : Tidiane Tounkara, Ibrahim Souaré et Lanciné Koné, leur porte-parole. Au sortir d’une longue réunion de préparation avant la rencontre tant attendue, Lanciné Koné résume son sentiment : « Je suis confiant vu que je veux aller à un règlement rapide et à une solution qui va prendre en compte toutes les familles. Mais je reste un peu sceptique car les autorités n’ont pas donné un signe d’ouverture ».
Lorsqu’on lui demande si la visite controversée de la secrétaire d’Etat Rama Yade aux squatteurs pourrait jouer en leur faveur, Bamba, un jeune Ivoirien, se montre catégorique. « Nous étions attristés de savoir qu’elle a eu des problèmes à cause de nous, mais je pense que ça a participé à rehausser la vision sur notre situation. Tout le monde cherche à savoir comment ça va se terminer. Si Le Figaro, qui n’est pas très tendre avec nous, pense que la situation peut s’améliorer, alors on peut espérer ! » lance-t-il. Lanciné Koné est, lui, plus nuancé : « La visite de Rama Yade est un coup de pouce car c’est une autorité qui est venue nous soutenir. Mais elle est venue en tant que femme touchée par ce qui se passait, pas en tant que secrétaire d’Etat aux droits de l’homme. Or, il y a bien eu violation des droits de l’homme lors des interventions policières ».
Les CRS en force
Lanciné Koné assure que « la violence a laissé chez les enfants des « marques irréversibles ». « De voir sa mère bastonnée avec un enfant au dos, menottée alors que son enfant est sur ses genoux… C’est douloureux », indique-t-il. « Le jeudi, à 7h50, je suis arrivée et j’ai vu que les tentes avaient déjà été enlevées, se souvient Dominique. Tout était éparpillé par terre. J’ai parlé aux forces de l’ordre, qui sont intervenues violemment : je les ai vu prendre un homme par la gorge et le mettre dans le car. » Lanciné Koné estime qu’au terme des interventions de police une dizaine de personnes a été blessée, « dont un cas grave ». « Une femme enceinte a perdu les eaux à 13 semaines de grossesse. La situation est stable, mais on ne sait pas s’il y aura des répercussions », poursuit le porte-parole.
A 13h30, le ciel bleu et le soleil ont fait place à la grisaille et aux petites rafales de vent automnal. Les policiers restent prêts à l’action : peu avant 14h, sept cars de CRS étaient stationnés devant le métro Fort d’Aubervilliers. Mauvais présage ?
Photo : Habibou Bangré