D comme Diaspora


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L’apprentissage : D comme Diaspora. Un livre sur Internet, sous forme d’abécédaire, pour dire en 100 mots comment la France adopte ses enfants de migrants. Véritable « Lettres persanes » du XXIe siècle, l’initiative de la journaliste/auteur Nadia Khouri-Dagher a séduit Afrik.com qui a décidé de vous offrir deux mots par semaine. A savourer, en attendant la parution du livre en février 2007.

De A comme Accent à Z comme Zut, en passant par H comme Hammam ou N comme nostalgie, 100 mots pour un livre : L’apprentissage ou « comment la France adopte ses enfants de migrants ». Une oeuvre que la journaliste/auteur Nadia Khouri-Dagher a choisi de publier d’abord sur Internet. Un abécédaire savoureux qu’Afrik a décidé de distiller en ligne, pour un grand rendez-vous hebdomadaire. Une autre manière d’appréhender la littérature…

D

DIASPORA

Pour João José Hiluy Filho, mon cousin du Brésil

Mon cousin João José m’appelle de Fortaleza, au Brésil: ma tante Salwa, sa mère, est décédée. Il est bouleversé. Moi aussi. Je connais bien mon cousin João José, qui a passé quelques années en France, préparant un doctorat à l’Ecole centrale – il est professeur à l’université de Fortaleza aujourd’hui. Et j’aimais beaucoup ma tante Salwa, que j’avais pourtant peu vue au cours de nos vies communes.

L’émigration, c’est aussi cela: apprendre la nouvelle du décès d’un membre de la famille au téléphone, dans un autre pays, sur un autre continent, et sentir alors tout le poids de l’exil, l’éparpillement du clan familial, l’étendue de son isolement, et, surtout, l’impuissance à consoler ceux qu’on aime, même si on les a peu côtoyés.

Car les familles quittent un pays d’émigration pour aller dans les directions les plus diverses, les Marocains sont nombreux en France mais aussi en Espagne en Belgique et aux Pays-Bas, les Algériens et les Tunisiens se sont exilés en masse au Canada et aux Etats-Unis aussi, et nous les Libanais cela fait un siècle que nous partons aux quatre coins du monde, j’ai ainsi de la famille en Amérique du Nord en Amérique du Sud en Afrique en Europe et jusqu’en Australie.

Combien de décès de parents proches avons-nous ainsi appris, au téléphone? Grand’mère, oncles, tantes, décédés dans des pays où nous ne nous rendions pas, funérailles de parents qui nous avaient vu grandir, avec qui l’on avait partagé tant de moments parfois, et que l’on ne pouvait accompagner dans leur dernière demeure. Je pense à mon amie Farida, qui l’an dernier reçut un coup de fil l’avisant du décès de son père, à El Goléa, dans le sahara algérien, le voyage lui prit trois jours, rage de n’avoir pu être là qui s’ajoute à l’absolue tristesse. Je pense à ma voisine Jeannie, qui depuis huit ans n’était pas retournée en Guadeloupe et vient d’en revenir, huit ans sans voir ses parents, je pense à ces millions d’émigrants, dans tous les pays du monde, qui vivent à distance de ceux qu’ils aiment, pères, mères, enfants, et qui vivent tous un jour, lointains et impuissants, la perte de personnes aimées.

Ma tante Salwa était partie au Brésil avec son mari, il y a plus de 50 ans, jeune épousée de 20 ans pleurant pendant le long voyage en bateau qui l’arrachait à sa famille, à sa ville de Zahlé au Liban. Elle débarquait dans le Nordeste du Brésil et ne parlait pas un mot de portugais, et bientôt, comme cela arrive souvent, ses frères la rejoignaient, puis des cousins, si bien qu’aujourd’hui à Fortaleza la famille Jreissati est nombreuse, l’un de mes oncles est Consul du Liban, et un autre, Tasso, gouverneur de l’Etat du Céara, candidat à des présidentielles, connu de tous les Brésiliens.

Lorsque je suis passée chez ma tante à Fortaleza, il y a quelques années, celle-ci vivait heureuse, organisant un repas chaque dimanche avec tout son clan familial, comme au Liban. Après 50 ans d’exil, elle parlait toujours le libanais, avec l’accent de Zahlé, cuisinait libanais, était un membre actif du Cercle Libanais, et s’était même attelée à la rédaction d’un recueil de proverbes arabes qu’elle traduisait en brésilien. Les pleurs de ses 20 ans s’étaient transformés en attachement puissant à ses racines.

Il y a une quinzaine d’années, ma tante Salwa avait même réalisé ce qui avait dû être le rêve de longues années: elle était retournée à Zahlé. Elle en était revenue enchantée, accueillie par les nôtres comme si elle n’était jamais partie, on l’avait promenée, invitée, hébergée, amusée, comme on le fait en Orient pour tout membre de la famille qui revient, elle était repartie comblée de cadeaux, et elle était ainsi retournée plusieurs fois au Liban, passant par la France où nous avions pu alors faire la connaissance de cette femme gaie et généreuse, qui parlait français avec un accent brésilien.

Aujourd’hui je pense à mon cousin João José, malgré l’éloignement je le sens tellement mon cousin, tellement proche de moi, malgré sa naissance outre-atlantique et ses belles-soeurs indiennes d’Amazonie, frère de sang, son tempérament aussi me dit qu’il est mon cousin, affectueux généreux aimant les enfants et surtout joyeux, très joyeux, comme on l’est dans ma famille. Comme l’était ma tante Salwa, que je pleure aussi en ce jour.

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