L’excision n’est pas un commandement du Prophète et elle peut être dangereuse. C’est le message que les imams sénégalais expliquent de plus en plus dans leurs prêches. Avec succès : des villages entiers ont déclaré qu’ils abandonnaient l’excision. Encourageant, mais les hommes de foi ne se reposent pas sur leurs lauriers.
« Le Prophète a dit que s’il faut exciser les filles, il faut faire attention. Mais lui-même n’a jamais fait exciser ses filles. Il n’y a rien dans le Coran qui impose l’excision ». C’est ce qu’explique l’imam sénégalais N’Diaye, Secrétaire général de l’Association nationale des imams et oulémas du Sénégal (Anios) aux foules qui justifient cette coutume en se basant sur le Coran. Et il n’est pas le seul. De nombreux collègues se joignent à cet éclaircissement des textes et mettent en garde contre les dangers de la pratique. Au final, avec l’aide des autorités sanitaires et des organisations non gouvernementales (ONG), des villages entiers promettent de délaisser la mutilation des organes génitaux féminins. Mais il faut consolider les acquis et convaincre les localités tenaces.
Et comment ne pas écouter la bonne parole des imams dans un pays à plus de 90% musulman ? Véritable leaders d’opinion, ils tiennent une place de choix dans la société qui leur permet de côtoyer les fidèles au moins cinq fois par jour, à chaque prière. Et ce sans compter les causeries religieuses…D’aucuns estiment qu’ils auraient même plus de poids que les ONG, dont certains doutent de la bonne foi du discours. Etant très respectés, influents et écoutés, les chefs religieux sont associés à la lutte contre les maux de la société et sont très actifs pour faire reculer l’excision. Avec l’assentiment du gouvernement. « Les autorités sanitaires ne peuvent pas être partout. Alors le travail de sensibilisation des imams se révèle être un précieux soutien. C’est pourquoi ils sont formés par des techniciens du ministère, l’idée étant qu’ils transmettent le bon message », explique-t-on au ministère de la Santé.
Travail collectif
La méthode des imams est semblable à celles des organisations non gouvernementales avec lesquelles ils travaillent parfois : éduquer, appuyer chaque argument en citant le livre sacré des musulmans, sensibiliser aux problèmes de santé générés par l’excision. Le même cheminement méthodique, mais pas toujours la même manière d’opérer. « Je rassemble les imams, les savants et les populations à risque et nous discutons en nous limitant aux textes pour expliquer notre point. L’impact est plus important lorsque l’on parle en public car nos interlocuteurs sont plus en confiance. Dans leur esprit, l’intervention publique engage notre crédibilité et nous ne pouvons donc pas dire des contrevérités », commente Mouhamed Chérif Diop, imam à la retraite qui mène, depuis trois ans, un travail de conscientisation régulier pour faire reculer l’excision.
Pour être certain de toucher son auditoire, le religieux, à qui il arrive de prêcher à la radio et à la télévision contre l’excision, adapte toujours son discours à l’auditoire. « Nous travaillons main dans la main avec des spécialistes en médecine qui nous expliquent les conséquences néfastes de cette tradition. Nous délivrons ensuite l’information aux populations à risque », souligne l’imam N’Diaye. Des initiatives qui ne marchent pas toujours du premier coup. Le Forum africain pour l’éducation de la femme (Fawe) a récemment essuyé un revers à Marsassoum (sud), communauté locale où toute l’assemblée, les jeunes et les plus vieux, se sont déclarés « pour » l’excision. Maïssa Fall, haut-responsable de l’ONG à Kolda (sud), a déclaré au quotidien Walf Fadjri que « l’étape de Marsassoum a été inédite, surprenante, car la plupart des intervenants ont été favorables à la pratique de l’excision ».
L’excision, un héritage ancestral
L’une des causes de ce rejet tient à la valeur sentimentale et historique de l’excision. « Nous touchons à une tradition millénaire, à un héritage ancestral légué par des parents à leurs enfants. Alors quand nous arrivons dans un village, les gens sont convaincus qu’exciser c’est bien », souligne Mouhamed Chérif Diop. Et l’imam N’Diaye d’ajouter : « S’il y a des résistances, c’est parce qu’on n’abandonne pas le chemin de tradition comme ça ». Surtout quand on ne voit pas en quoi la coutume est dangereuse. « Quand on vous dit que l’excision peut provoquer la stérilité, une femme âgée qui a été excisée et qui a eu une dizaine d’enfants va forcément dénigrer ce que vous dites », assure-t-on au ministère de la Santé.
Le but de cette sensibilisation n’est pas de juger ou « forcer à l’abandon de l’excision, mais d’éduquer pour que les gens agissent, ou non, mais en connaissance de cause », précise l’imam N’Diaye. Ne pas mettre la pression, c’est aussi la méthode de sensibilisation choisie par l’association Tostan. Cette ONG internationale aide les communautés africaines à prendre en charge leur propre développement et qui lutte contre l’excision depuis 1997, avec l’aide d’imams. « Notre programme d’action repose beaucoup sur comment permettre aux gens d’arrêter sans faire de la répression », souligne Molly Melching, directrice de Tostan au Sénégal.
28% des communautés ont abandonné
Le travail de tous les imams est reconnu, mais celui de certains semble l’être un peu plus. A l’image de celui de Demba Diawara. Le leader religieux, qui travaille étroitement avec Tostan, est qualifié par le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (Unicef) de « modèle » dans le domaine. Mais c’est bien le travail de tous les dignitaires religieux, couplé notamment à celui des ONG, qui a permis d’obtenir de bons résultats. Il n’y a pas de statistiques disponibles, mais le ministère de la Santé certifie que les fillettes sont beaucoup moins exposées qu’il y a « 20 ou 30 ans. Et des exciseuses ont fait leur mea culpa et ont déclaré publiquement qu’elles regrettaient d’avoir excisé ».
Plus précise, l’association Tostan estime que « 28% des communautés qui pratiquent l’excision ont cessé de le faire. Ce qui représente l’abandon de la pratique par 1 367 villages. C’est la première fois en Afrique que des abandons massifs sont déclarés. Il est très important que les villages décident d’arrêter ensemble car seul on ne peut rien faire. Si un village abandonne et que les autres aux alentours poursuivent, les parents du village esseulé ne pourront pas marier leurs filles. Il faut un abandon coordonné », explique Molly Melching.
Consolider les acquis
Mais les victoires sont encore fragiles. Il faut veiller à ce que les déclarations soient suivies des faits et que les localités récalcitrantes acceptent de revenir sur leurs piositions. Une bataille de longue haleine qui obligera notamment les imams à éduquer certains de leurs confrères. « Beaucoup d’imams ont une compréhension du Coran qui épouse leurs intérêts, estime Mouhamed Chérif Diop. Nous bénéficions de divers avantages et certains, pour ne pas les perdre, sont prêts faire une lecture du Coran qui promeut l’excision afin de ne pas mettre à mal leurs relations avec la population », souligne le l’imam à la retraite, qui ne manque pas d’interpeller les auteurs de ces dérives dans des discours orientés sur l’hypocrisie. Mais d’autres imams, souligne-t-il, sont mal informés et transmettent un message erroné malgré eux. Un avis que partage l’imam N’Diaye. « Certains imams sont des universitaires, mais d’autres ont un niveau très moyen ». Il est donc du rôle des imams de palier les lacunes en enseignant le message correspondant à la « compréhension standard » du livre sacré.
Les imams sont très actifs et s’organisent au Sénégal, mais aussi en dehors des frontières du pays. Les leaders religieux des pays voisins essayent d’établir des réseaux pour faire reculer l’excision, mais aussi d’autres maux. Pour que tous prônent la même parole religieuse.