Secoués depuis quelques années par une montée inquiétante du djihadisme et une crise sécuritaire sans pareille, les pays du Sahel, particulièrement le Mali, le Niger et le Burkina Faso sont devenus des brasiers permanents. Ces pays sont devenus invivables pour les populations civiles obligées de se transformer en éternels fugitifs, à la quête d’un havre de paix. Manifestement, la solution militaire déployée par les Etats depuis des années a montré ses limites. C’est pourquoi vingt-deux organisations régionales de la Société civile, appuyées par dix organismes internationaux, ont décidé de lancer ce jour la « Coalition citoyenne pour le Sahel », afin de proposer une autre approche dans la résolution de la crise.
La Société civile sort enfin de l’ombre
C’est une première depuis le début de la crise sécuritaire au Sahel, il y a une dizaine d’années. La Société civile a décidé de passer d’une position d’observateur à celle d’acteur dans la résolution de cette crise, en lançant ce jeudi 16 juillet 2020, la « Coalition citoyenne pour le Sahel ». Il s’agit d’une initiative de vingt-deux organisations citoyennes sahéliennes et ouest-africaines, principalement du Burkina Faso, du Mali et du Niger, comme Action Mopti du Mali, Africa Security Sector Network (ASSN), l’Association Malienne des Droits de l’Homme (AMDH), le Centre Afrika Obota (CAO) du Niger, le Centre Diocésain de Communication (CDC) du Burkina Faso, West Africa Network for Peacebuilding (WANEP)-Burkina Faso…, qui bénéficient du soutien de quatorze ONG internationales parmi lesquelles Action Contre la Faim, CARE International, la Fédération Internationale pour les Droits Humains (FIDH), etc.
La coalition dont le lancement a été fait par visioconférence sous la modération du journaliste Claude Cirille, se veut « un cadre collectif informel et ouvert pour faire valoir de l’expertise de la Société civile auprès des gouvernements de la région et des Etats et institutions qui les soutiennent », selon les termes du modérateur. Ce dernier était accompagné des sept principaux intervenants représentant chacun une organisation membre de cette coalition : Niagalé Bagayoko, présidente du think tank Africa Security Sector Network, Alioune Tine, expert indépendant de l’ONU sur la situation des droits humains au Mali, Alice Soulama, coordinatrice de WANEP-Burkina Faso, Saran Keïta Diakité, présidente de l’Association des juristes maliennes (AJM), Drissa Traoré, coordinateur du programme conjoint Association Malienne des Droits de l’Homme (AMDH)/Fédération Internationale pour les Droits Humains (FIDH), Victor Ouédraogo, directeur du Centre diocésain de communication à Ouahigouya et Me Boubakar Oumarou, avocat au barreau du Niger.
Pour les auteurs de l’initiative, sa pertinence tient au fait que les tentatives de résolution du problème sécuritaire au Sahel ont montré leurs limites, et qu’il est aujourd’hui nécessaire de « changer d’approche, d’avoir une approche plus efficace pour que les populations se sentent plus en sécurité », dixit Drissa Traoré. Avis entièrement partagé par Alioune Tine, un des plus grands soutiens de la coalition : « Je soutiens cette coalition parce que c’était un véritable chaînon manquant de l’action au Sahel. Aujourd’hui, avec l’intervention de la Société civile qui vient compléter celle des armées et des Etats, c’est un grand vide qui est comblé ».
Une coalition assise sur quatre piliers citoyens
L’action de la coalition est construite essentiellement autour de quatre piliers citoyens qui permettront à ses initiateurs de prendre au mieux en charge les besoins des populations. Il s’agira donc de :
– mettre la protection des civils et la sécurité humaine au cœur de la réponse au Sahel ;
– créer une stratégie politique locale qui s’attaque aux causes profondes de l’insécurité ;
– répondre aux urgences humanitaires ;
– lutter contre l’impunité et garantir l’accès de tous à la justice.
Pour l’abbé Victor Ouédraogo, en effet, les causes de l’insécurité étant, à la fois structurelles et socioculturelles, il importe de mettre la protection des populations civiles et la sécurité humaine au cœur de l’action, puisque « la lutte contre l’extrémisme violent ne saurait occulter les problèmes quotidiens des populations ».
Abondant dans le même sens que Victor Ouédraogo, Niagalé Bagayoko a souligné la nécessité de la remise en cause profonde du modèle d’Etat mis en place en Afrique depuis les indépendances, puisque ce modèle a failli à tous les points de vue. « Travailler sur les causes profondes de l’insécurité au Sahel, revient à réfléchir au modèle d’Etat en lui-même », a-t-elle fait observer.
Au chapitre concernant la lutte contre l’impunité, la coalition entend œuvrer pour qu’aucun acte posé contre les populations civiles ne reste impuni. Il s’agira, pour ce faire, de « créer une plateforme pour les victimes afin de leur permettre de s’exprimer. En ce qui concerne les violences basées sur le genre par exemple, elles persistent à cause du silence des victimes qui, craignant la stigmatisation ne s’extériorisent pas », a laissé entendre Me Saran Keïta Diakité.
Le lancement de la coalition est fait. Et après ?
« Le lancement de cette initiative n’est que le début d’une action collective », a déclaré Niagalé Bagayoko, avant de poursuivre : « Les membres de la coalition vont continuer à se faire entendre en vue de la faire positionner comme un interlocuteur de poids dans l’action contre l’insécurité au Sahel ».
Le but visé par les porteurs de l’initiative est d’œuvrer pour que l’approche mise en œuvre pour contrer l’insécurité au Sahel se fonde davantage sur l’expertise locale. Pour mieux mesurer l’impact de cette nouvelle coalition, une évaluation des avancées est attendue pour l’automne 2020, donc dans la période allant de fin septembre à fin décembre 2020.