Crise financière et finance islamique : quelles perspectives pour l’Afrique ?


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La troisième édition du Forum africain de la finance islamique se tient à Casablanca, au Maroc, du 6 au 8 avril. Ce forum s’adresse aux acteurs financiers et aux entreprises présentes en Afrique du Nord et de l’Ouest. Il est organisé par Isla-invest, un cabinet français spécialisé en finance islamique, dirigé par Zoubeir Ben Terdeyet.

ZoubairBenTerdeyet.jpgLe Français d’origine marocaine, Zoubair Ben Terdeyet, est le PDG d’Isla-Invest Consulting, la première société française de conseil en investissements financiers et immobiliers conformes aux principes de la Sharia. Il a fait carrière dans diverses institutions bancaires. C’est en poste à UBS, maison mère de Noriba bank, fleuron du système financier islamique, qu’il s’est interrogé sur le besoin de conseils conformes à l’éthique musulmane. Une démarche qui le conduira au final à créer sa propre société, en 2004. Il est l’initiateur de la
première rencontre annuelle sur le thème de la finance islamique en Afrique francophone. La troisième édition du forum s’achève ce jeudi à Casablanca. Il a répondu à nos questions.

Afrik.com : On parle beaucoup de finance islamique depuis la crise financière planétaire. Est-elle réellement une alternative au système traditionnel?

Zoubair Ben Terdeyet : La finance islamique n’a jamais eu la prétention d’être une alternative, elle est plutôt une offre supplémentaire émanant d’institutions financières souhaitant respecter les règles de la « sharia. ». En revanche, pour les musulmans, elle est une réelle alternative lorsqu’on souhaite respecter les préceptes religieux prescrit par l’Islam, car le « Riba »[[Interdiction de l’usure]] est omniprésent.

Afrik.com : Pourquoi l’arrivée de la finance islamique crée-t-elle autant de polémique en France?

Zoubair Ben Terdeyet : Le fait que Quick propose des produits « halal » dans certains de ses restaurants a créé une polémique, mais ce n’est pas le cas de la finance islamique. Effectivement, certains députés du PS ont saisi le Conseil constitutionnel sous couvert de défendre la laïcité, mais c’était avant tout par opposition à la majorité UMP qui avait approuvé cette loi en septembre 2009. Ils ont invoqué l’inconstitutionnalité de l’article 16 sur la finance islamique, car, selon eux, il était «dépourvu de tout lien avec l’objet du texte» qui était le financement des PME.

La commission Finance Islamique de Paris Europlace vient de nommer un banquier à sa tête, M Philippe Henry, responsable de l’activité Corporate and Institutional Banking chez HSBC, ce qui dénote d’une véritable volonté de développer la finance islamique dans notre pays.

Afrik.com : Pensez-vous qu’elle est une atteinte à la laïcité comme le dénoncent ses détracteurs?

Zoubair Ben Terdeyet : Généralement, ses détracteurs n’ont aucune connaissance du sujet et focalisent sur le mot « islamique » qui a été galvaudé en France. C’est une manière de faire de la finance autrement. Elle s’adresse à tous les Français, sans aucune distinction, quant à la religion, l’origine ethnique ou sociale. Elle rentre uniquement dans la sphère privée du citoyen en tant que nouveau choix de mode de consommation car de quoi parle-t-on finalement ? Il s’agit de proposer des produits de financement pour l’accession à la propriété ou l’achat de biens de consommation tels que la voiture ou l’électroménager. On répond aux mêmes besoins sauf que la structuration des produits en amont est différente et permet une meilleure équité et un respect des préceptes religieux pour le client.

Afrik.com : Peut-on envisager que la finance islamique pour les particuliers voit le jour en France?

Zoubair Ben Terdeyet : L’offre de produits respectueux de la « sharia » verra le jour car la demande est croissante. La forte communauté musulmane est aujourd’hui consciente de l’existence d’une alternative dans sa manière de consommer depuis la création de la banque islamique de Grande Bretagne en 2004.

Les banques sont frileuses et mettront un peu de temps à réagir mais certains industriels français travaillent d’ores et déjà sur la mise en place de financement sharia pour faciliter l’achat de leurs produits. Le groupe BPCE vient d’annoncer un partenariat avec la Qatar Islamic Bank pour la création d’une offre commune en matière de finance islamique. Ce n’est donc qu’une question de temps.

Afrik.com : Est-ce que la création de l’Institut français de finance islamique est un premier pas vers cela ?

Zoubair Ben Terdeyet : Non, cet institut n’est qu’une initiative privée dont la démarche est similaire à de nombreux organismes qui proposent de la formation et dont la liste serait trop longue à énumérer. La nomination de M Thierry Dissaux, conseiller en finance islamique de Mme Lagarde à Bercy depuis 2009 est vraiment un premier pas vers la reconnaissance des autorités publique de cette jeune industrie.

Afrik.com : Vous lancez la 3ème édition du Forum africain de la finance islamique, pourquoi avoir choisi le Maroc?

Zoubair Ben Terdeyet : Nous avons choisi le Maroc pour ses commodités en raison d’une prestation hôtelière de qualité et une desserte de la RAM assez importante sur l’Afrique. Mais le Maroc reste fermé à la finance islamique. Bank Al Maghreb ne souhaite accorder aucun agrément à une banque islamique et l’offre de formation ou de séminaires sur le sujet est quasi inexistante.
Ce qui semble paradoxal, c’est que le Royaume vient d’accepter un financement de plusieurs millions de dollars de la Banque Islamique de Développement.

Afrik.com : La finance islamique a-t-elle davantage la possibilité de progresser en l’Afrique?

Zoubair Ben Terdeyet : La finance islamique a un énorme potentiel en Afrique !
La population sur le continent est sous-bancarisée et l’une des raisons invoquée par les consommateurs est le rejet du « riba »… C’est un continent avec une croissance importante où les besoins d’équipements des populations est conséquente en raison de l’émergence de la classe moyenne.
Tout le monde souhaite avoir sa voiture, son micro onde, son frigo. Ce qui représente autant d’opportunités pour les banques de manière générale or la finance islamique doit s’imposer pour moraliser tout cela.
Nous devons éviter les écueils du crédit à la consommation à l’occidental car la finance islamique doit s’accompagner d’un apprentissage de l’art de consommer raisonnablement.
Les banquiers du Moyen Orient sont à la recherche d’opportunités et l’Afrique leur est grande ouverte en raison de la forte présence de matières premières et d’une jeune population.
Mais il ne faut pas oublier que, par exemple, en Algérie, les banques françaises ont été les premières bénéficiaires de l’ouverture du marché bancaire sur des produits conventionnels.

Afrik.com : Est-ce une réponse alternative et éthique aux « capitalistes » occidentaux que les populations africaines accusent de pillage organisé?

Zoubair Ben Terdeyet : Nous n’avons pas assez de recul pour l’affirmer, car la finance islamique est une jeune industrie. Mais sa philosophie nous amène à penser que oui !
Certains exemples tendent à le démontrer, telle que la présence du groupe Al Baraka en Tunisie depuis 1983 et qui a contribué à l’émergence d’une zone d’affaire de référence, « Les berges du lac », à Tunis.

Cet exemple prouve que la démarche des investisseurs du Golf est de viser à long terme et ainsi contribuer au développement d’un pays. Le groupe est également présent en Algérie où sa filiale accompagne très souvent des clients internationaux qui ne trouvent pas de relais avec les banques locales, c’est le cas par exemple des entreprises tunisiennes en Algérie.

Afrik.com : Le Forum s’adresse-t-il davantage aux entreprises et établissements bancaires africains?

Zoubair Ben Terdeyet : Il ne s’adresse pas en exclusivité aux acteurs africains mais ils sont en effet notre cible privilégiée. Nous avons parmi nos participants des acteurs européens venant de Paris, du Luxembourg ou de Bruxelles.

Il faut savoir que réunir les acteurs africains en un même lieu autour de ce thème est déjà une nouveauté en soi. Nous sommes les premiers à proposer une rencontre annuelle sur ce thème en Afrique francophone.

Par Serge Romana

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