Crise diplomatique entre Tunis et Rabat : le bras de fer se durcit


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Tension Tunisie Maroc
Tension Tunisie Maroc

La Tunisie a officiellement mis fin aux fonctions de l’ambassadeur du Maroc à Tunis, consacrant une rupture qui couvait depuis près de trois ans. Cette décision, qui intervient dans un contexte régional tendu, marque une nouvelle étape dans la dégradation des relations entre les deux pays maghrébins. Derrière ce geste diplomatique se dessinent des enjeux de souveraineté, d’alliances régionales et de calculs politiques internes. Analyse d’une crise aux multiples facettes.

Un acte qui officialise une réalité de terrain

La décision tunisienne ne surprend qu’à moitié. Dans les faits, le poste d’ambassadeur marocain à Tunis était pratiquement vacant depuis août 2022, date à laquelle Rabat avait rappelé son représentant Hassan Tariq. En cause : l’accueil en grande pompe, par le président Kaïs Saïed, du chef du Front Polisario lors du sommet TICAD-8 – un geste interprété par le Maroc comme une remise en question directe de sa souveraineté sur le Sahara occidental.

La récente nomination de M. Tariq au poste prestigieux de Médiateur du Royaume, officialisée par une publication au Bulletin officiel marocain, avait déjà scellé la fin de ses fonctions diplomatiques. En entérinant cette vacance par une décision formelle, Tunis envoie un message clair : aucun nouvel ambassadeur marocain ne sera accrédité tant que les différends fondamentaux entre les deux pays resteront irrésolus.

Le Sahara occidental, nœud gordien de la discorde

Au cœur de cette crise diplomatique se trouve l’épineuse question du Sahara occidental. Depuis son élection, le président tunisien Kaïs Saïed maintient une position officiellement qualifiée de « neutralité active » sur ce dossier, qui constitue pourtant la ligne rouge absolue de la diplomatie marocaine. Dans les faits, cette posture tunisienne s’apparente à un alignement progressif sur la position du droit international, favorable au principe d’autodétermination pour ce territoire considéré par l’ONU comme « à décolonisée ».

L’invitation récurrente de délégations sahraouies à Tunis – dont la dernière remonte au 23 avril 2025 – a été perçue par Rabat comme une série de provocations délibérées. Pour la présidence tunisienne, cette rupture diplomatique symbolise sa détermination à mener une politique étrangère indépendante, quitte à froisser son voisin occidental.

L’axe Tunis-Alger se renforce face aux difficultés économiques

La démarche tunisienne s’inscrit dans une reconfiguration plus large des alliances régionales. Confrontée à une crise économique majeure marquée par une inflation galopante, une pénurie chronique de devises et des négociations difficiles avec le FMI, la Tunisie s’est tournée résolument vers l’Algérie dont l’économie se porte bien. Alger fournit désormais à son voisin oriental un soutien multiforme : approvisionnement en gaz à tarif préférentiel, liquidités et importantes lignes de crédit.

Dans ce contexte de fragilité économique, les autorités tunisiennes ont manifestement jugé plus vital de consolider leur relation avec Alger, même si cela implique de sacrifier les liens avec Rabat. Ce choix stratégique reflète les nouvelles priorités géopolitiques de Tunis dans un Maghreb plus fragmenté que jamais.

La réciprocité comme principe directeur

Pour justifier sa décision, Tunis invoque également un principe de réciprocité diplomatique. En effet, depuis la crise de 2022, le Maroc n’a jamais rétabli une représentation diplomatique pleine et entière en Tunisie, gelant par ailleurs plusieurs projets bilatéraux d’envergure.

Les autorités tunisiennes estiment donc qu’en l’absence de signaux positifs émanant de Rabat, rien ne justifie le maintien formel d’un ambassadeur qui, dans les faits, n’exerce plus ses fonctions depuis longtemps. La fermeture officielle de sa mission ne fait que mettre le droit en conformité avec une réalité déjà établie.

Une décision qui sert aussi la politique intérieure de Saïed

La dimension de politique intérieure ne doit pas être négligée dans l’analyse de cette décision. Depuis 2021, le président Kaïs Saïed gouverne largement par décrets et cherche à consolider une base nationale autour d’un discours axé sur la souveraineté et l’indépendance nationale.

Adopter une posture ferme vis-à-vis du Maroc – perçu par une partie de l’opinion tunisienne comme aligné sur les puissances occidentales, en soutien d’Israël et sur l’axe monarchique du Golfe – lui offre un levier de popularité interne non négligeable.

Vers quelles conséquences concrètes ?

Cette rupture diplomatique, même si elle s’inscrit dans la continuité d’une dégradation progressive, risque d’avoir des répercussions significatives sur les relations bilatérales :
Les grands projets communs devraient rester en suspens. Les échanges commerciaux, déjà modestes (représentant seulement 2% du commerce extérieur tunisien), pourraient encore se contracter faute de cadre politique favorable. Enfin, les mobilités entre les deux pays risquent d’être davantage entravées, avec des procédures d’obtention de visas diplomatiques et officiels allongées, affectant notamment les étudiants et les entrepreneurs.

Plusieurs acteurs internationaux, dont l’Union africaine et le Qatar, ont déjà proposé leur médiation pour renouer le dialogue, mais aucun calendrier crédible de normalisation n’est actuellement envisagé.

Tant que ces facteurs structurels resteront inchangés, la vacance du poste d’ambassadeur marocain à Tunis apparaît comme le symptôme d’une fracture profonde au sein du Maghreb.

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