Entre le Bénin et le Niger, le torchon continue de brûler. Si l’on doit s’en tenir à la dernière sortie médiatique du Premier ministre nigérien, la fin de la crise n’est pas pour bientôt. Sauf extraordinaire. Les deux pays jouent à un jeu du chat et de la souris dans lequel on peine à comprendre l’attitude du Niger.
Ali Mahaman Lamine Zeine, le Premier ministre du Niger, a encore fait, ce samedi, une de ces sorties médiatiques dont il est désormais coutumier pour se prononcer sur la crise entre son pays et le Bénin. Surtout pour répondre au Président béninois, Patrice Talon, qui, il y a quelques jours, s’est lui-même confié à la presse afin de faire le point de la mission de son ministre des Mines, éconduit par le général Tiani alors même qu’il portait un courrier destiné à ce dernier.
L’aveu d’échec du CNSP
Au cours de sa conférence de presse, le Premier ministre nigérien a clairement accusé le Bénin d’être le point de départ des terroristes qui ont perpétré une attaque meurtrière sur la base militaire de Boni dans la région de Tillabéry, le 20 mai 2024. Une accusation d’une extrême gravité, mais qui s’inscrit dans la logique du chef du gouvernement nigérien qui, il y a quelques jours, avait déjà déclaré, à l’occasion d’une autre conférence de presse, que le Bénin entraînait sur son territoire des terroristes dont la mission est de déstabiliser son pays.
Une affirmation alors fortement démentie par la partie béninoise, qui avait même proposé aux autorités nigériennes d’envoyer une délégation pour une visite de tous les coins et recoins du territoire béninois afin de se convaincre de la fausseté de leurs accusations. À cette proposition publique, la partie nigérienne a répondu par le silence le plus total, pour ensuite venir porter contre le Bénin une autre accusation dont la véracité reste à prouver.
Il serait d’autant plus difficile pour Lamine Zeine de prouver cette accusation que, depuis le coup d’État du 26 juillet 2023, les frontières entre le Bénin et le Niger sont restées hermétiquement fermées. Même après la levée des sanctions de la CEDEAO fin février, suivie de l’ouverture immédiate des frontières côté béninois, les autorités nigériennes ont maintenu leurs frontières à elles fermées.
Prétextant justement des raisons sécuritaires qui seraient en lien avec la présence de terroristes entraînés au Bénin avec pour but de s’en prendre au Niger. Mais alors, une série de questions se posent : Comment les terroristes prétendument partis du Bénin ont-ils pu franchir toutes les barrières de sécurité et traverser une frontière maintenue hermétiquement fermée justement pour se protéger de ces mêmes “terroristes” ? Où étaient les agents de sécurité nigériens quand ces prétendus terroristes partis du Bénin se sont retrouvés au Niger ? Ou bien les services de renseignements ne fonctionnent-ils plus ?
Une série de questions auxquelles Lamine Zeine aura du mal à répondre. Dire que des terroristes ont pu quitter le Bénin pour aller opérer sur une base militaire à Boni, localité située à des centaines de kilomètres au nord de Niamey, elle-même distante de plus de 200 km de la frontière avec le Bénin, ce qui est d’ailleurs totalement ridicule, c’est reconnaître son propre échec. En faisant une telle déclaration sans fondement ni preuve, Lamine Zeine croit enfoncer le Bénin, mais au fond, c’est le CNSP qui se prend à son propre piège, puisqu’il reconnaît son incapacité à assurer la protection des Nigériens, en dépit de la fermeture des frontières avec le Bénin, pays qui est depuis des lustres l’exutoire naturel du Niger.
Lamine Zeine dans un mauvais rôle
En se laissant aller à de telles déclarations sans preuve, le Premier ministre nigérien contribue sans doute à écorcher la réputation de technocrate bon teint qu’il avait. À vouloir justifier l’injustifiable, on finit par tomber dans le ridicule. Les lundi 27 et mardi 28 mai 2024, le ministre béninois des Mines, Samou Seïdou Adambi, était en visite à Niamey, muni d’une lettre du Président Patrice Talon à son homologue nigérien avec l’instruction de la lui remettre en mains propres. Mais Abdourahamane Tiani n’a pas daigné recevoir l’émissaire de Patrice Talon. C’est ce qu’a déclaré le ministre à son retour de Niamey, mercredi. Une position reprise par le Président Talon lui-même peu de temps après.
Sur ce point, le Premier ministre nigérien a encore tenté de justifier l’acte de son Président. Pour Ali Mahaman Lamine Zeine, le général Tiani n’a jamais refusé de recevoir l’émissaire de Patrice Talon. Au contraire, le Président du CNSP « a donné instruction pour que le ministre de la Santé puisse recevoir le ministre (Samou Seïdou Adambi, ndlr). Le ministre de la Santé, c’est un membre du gouvernement, il est membre du CNSP, il est colonel-major. Et donc, il est digne de recevoir un message destiné au Président », a laissé entendre le Premier ministre nigérien. Et de poursuivre : « Si le jour-là, le chef de l’État, le général Tiani, n’était pas disponible, c’est parce qu’avec toutes les équipes de sécurité, ils étaient en train d’analyser la situation de l’attaque qu’il y a eu à Boni ».
Pour une explication, il faut reconnaître que l’argumentaire du Premier ministre est suffisamment léger. Une telle explication ne saurait convaincre que ceux qui veulent bien se laisser convaincre. Ali Mahaman Lamine Zeine ferait mieux de trouver une autre raison pour justifier le refus de son Président de recevoir l’émissaire de son homologue venu non pas de façon imprévue, mais à la suite d’une mission bien annoncée et connue des autorités nigériennes. D’ailleurs, à en croire Patrice Talon, ce sont les autorités nigériennes elles-mêmes qui ont sollicité de la partie béninoise la tenue d’une réunion du comité interétatique de suivi du pipeline au Niger. Le Président béninois a alors indiqué avoir instruit son ministre à l’effet de se rendre personnellement à la réunion.
Dans ces conditions, il est difficile de comprendre que le général Tiani ne puisse pas dégager un créneau dans son agenda pour recevoir l’émissaire de son homologue béninois. La seule compréhension qu’on puisse en toute logique avoir de l’attitude du Président nigérien, c’est qu’il n’a pas voulu recevoir le ministre béninois.
Dans ces conditions, il serait plus responsable de la part des autorités nigériennes d’avoir le courage de déclarer à la face du monde qu’elles ne veulent plus collaborer avec le Bénin plutôt que de chercher de fallacieux prétextes dont la légèreté n’a de secret que pour les plus naïfs. Si la position belliciste affichée par Patrice Talon au début du coup d’État était mal inspirée et décriée par les Béninois dans leur écrasante majorité, le maintien par Niamey de la fermeture des frontières pour des raisons inavouées, mais connues de tous, au mépris de l’interdépendance des deux peuples, l’est tout autant. Ceci d’autant plus que depuis la levée des sanctions de la CEDEAO, les autorités béninoises ont tout fait pour un retour à la normale. Mais, toutes les démarches menées se sont heurtées à un mur du côté nigérien.