Face à la multiplication des « émeutes de la faim », la crise alimentaire est devenue depuis ce week-end une priorité pour les grandes organisations internationales, le Fonds Monétaire International (FMI) et la Banque mondiale en premier lieu. L’heure est grave : la situation risque d’empirer dans les semaines et les mois à venir.
« Choc alimentaire mondial », un véritable « tsunami économique et humanitaire ». En qualifiant la crise actuelle ainsi, Louis Michel, commissaire européen au Développement et à l’Aide humanitaire, a très bien saisi son ampleur et sa gravité. Ce phénomène a fait l’objet dimanche d’une réunion du Comité de développement de la Banque mondiale à Washington. Son président, Robert Zoellick, a appelé les Etats à intervenir d’urgence pour éviter que la crise ne s’aggrave et n’appauvrisse davantage les quelques 100 millions de pauvres que compte la planète.
Cette déclaration vient à l’heure où un certain nombre de pays sombre dans l’instabilité politique, économique et sociale. Les « émeutes de la faim » se multiplient et deviennent de plus en plus violentes en Egypte, en Côte d’Ivoire, au Cameroun, au Burkina Faso, au Sénégal, à Madagascar ou encore aux Philippines et en Haïti, pour ne citer que ces pays. Les morts se comptent par dizaines. Au Cameroun, on en compte une cinquantaine depuis février. En Haïti, Etat le plus pauvre du continent américain, le gouvernement a été renversé samedi après plus d’une semaine d’émeutes.
L’Afrique, continent le plus touché
La Banque mondiale estime que 33 pays pourraient connaître des troubles politiques et des désordres sociaux en raison de la forte hausse des prix des produits alimentaires et énergétiques. La FAO, organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, évalue leur nombre à 37, africains pour la plupart.
Dans les pays les plus pauvres, le budget alimentaire constitue déjà les trois quarts du budget total d’un ménage (contre 15% dans les pays développés). Quand les prix ne sont pas indexés sur les salaires, que faire ? La Banque mondiale prévoit de doubler ses prêts agricoles en Afrique en les portant à 800 millions de dollars et propose également aux fonds souverains de consacrer 30 milliards de dollars (soit 1% de leur actif) aux investissements en Afrique.
D’autre part, le programme alimentaire mondial (PAM) avait réclamé près de 500 millions de dollars à la communauté internationale avant le 1er mai. R. Zoellick a indiqué qu’il a déjà reçu plus de la moitié de la somme. Mais « ce n’est pas assez », « il demeure urgent que les gouvernements interviennent », a-t-il insisté.
Les biocarburants au détriment de l’autosuffisance alimentaire
Les causes sont multiples. Mais deux d’entre elles sont régulièrement citées. La hausse de la demande des pays émergents comme la Chine et l’Inde explique en partie la crise. Ces dernières années, une classe moyenne est apparue au fur et à mesure que les salaires ont augmenté. Les habitudes alimentaires changent et « s’occidentalisent » fortement. La consommation de viande prend une place de plus en plus manifeste. Or, 64% des terres cultivables de la planète sont dédiées à la nourriture de bétail. Certaines denrées agricoles telles que le soja sont presque exclusivement consacrées à l’alimentation animale. Autre fait notable : les terres cultivables ne cessent de décroître au fur et à mesure que la population mondiale augmente et s’urbanise. Celle-ci passera de quelque 6,5 milliards de personnes à plus de 9 milliards d’ici 2050.
Mais ce sont les biocarburants qui font l’objet de critiques de plus en plus virulentes. Face au défi environnemental et à l’envolée du prix du pétrole, de grands groupes industriels ont cherché une alternative possible à l’« or noir ». La croissance des biocarburants se trouve dopé. Selon le FMI, 20 à 50% de la production mondiale de colza et de mais ont ainsi été détourné de leur usage initial. Une concurrence « déloyale » qui mine la production alimentaire et met à mal les populations des pays en développement.
DSK : « Les conséquences seront terribles »
Dans un entretien à Libération publié lundi, Jean Ziegler, rapporteur spécial des Nations Unies pour le droit à l’alimentation, a pour sa part estimé que le monde se dirige « vers une très longue période d’émeutes, de conflits, des vagues de déstabilisation régionale incontrôlable » liés à la hausse des prix et à la pénurie des denrées alimentaires.
Si la hausse continue à ce rythme-là, « les conséquences seront terribles », a lancé Dominique Strauss-Kahn, directeur général du FMI. « Comme nous l’avons appris dans le passé, ce genre de situations se finit parfois en guerre », a t-il ajouté.
La mauvaise santé de l’économie mondiale n’augure rien de bon. La crise alimentaire survient en pleine crise financière dite des « subprimes », prêts immobiliers à risque qui se sont titrisées et qui a entrainé des pertes financières colossales et des faillites. Le G8 Finances, qui se réunira en juin prochain au Japon, se saisira de ces deux dossiers. « Mais, franchement, nous ne pouvons attendre jusque là », a reconnu R. Zoellick.
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