La hausse des prix des aliments de base dans les pays en voie de développement, en Afrique notamment, a eu des conséquences dramatiques avec leur cortège d’émeutes et de morts. Mais pourraient-elles également avoir des conséquences positives à moyen terme ?
Si l’on veut bien se donner la peine de trouver et guérir les causes de cet état de fait et non, comme bien souvent, uniquement de gérer les conséquences jusqu’à la prochaine crise, la réponse serait « oui ».
Les causes du drame
Le drame, c’est que l’on a oublié l’objectif premier de tout pays, à savoir l’autosuffisance alimentaire, ou comment ne pas dépendre d’autres pays pour nourrir basiquement sa population ? Nous pouvons tous dépendre des autres et inter-dépendre des autres pour tout, c’est la mondialisation. Sauf pour l’essentiel : l’eau et la nourriture de base qui comprend avant tout les amidons (sucres lents) indispensables à la nourriture humaine (le blé, le maïs, le riz, le mil, le manioc, etc.).
Pour ces produits qui n’ont pas d’équivalent, le maître mot aurait dû être « indépendance totale », par pays, ou par groupe de pays formant des ensembles cohérents (par exemple en Afrique : UEMOA – Union économique et monétaire ouest-africaine – CEMAC – Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale). Les États-Unis et la France n’ont d’ailleurs jamais perdu cette autosuffisance qu’ils ont su préserver par des protections douanières d’abord, et par des subventions ensuite. Les pays riches le savent bien en effet : la faim est le pire des fléaux et face à elle, ni la police, ni l’armée ne peuvent rien. Haïti en a été la preuve.
Pourquoi diable a-t-on oublié l’autosuffisance?
Mais pourquoi diable les pays pauvres, notamment africains, ont-ils abandonné cette stratégie d’autosuffisance ? Abandonné est bien le terme car il y a encore quelques décennies, ils étaient autosuffisants et même exportateurs de produits de base. L’augmentation de leur population ne justifie en rien cette inversion de tendance. La plupart de ces pays ont en réalité pris la pente de la mondialisation « facile ». Celle du transport pas cher, celle des importateurs qui ont des coûts de financement très bas avec des taux d’intérêts bas, celle de la dictature du consommateur qui ne voit que le prix et oublie son travail. Sont venues se rajouter à cela, les subventions des pays riches sur leur excédent alimentaire.
Dès lors, la facilité a été d’abandonner la production locale au profit d’importations sans droits de douane, et lorsque le mot « abandonné » est dit, il faut comprendre qu’on a abandonné des villages entiers, un savoir-faire agricole au profit d’une émigration dans les grandes villes, avec toutes les conséquences que nous connaissons. Mais voilà, les perturbations climatiques et le retournement du marché sont arrivés. Avec pour conséquence que beaucoup de pays aujourd’hui dans le monde, et notamment en Afrique, ne sont pas autosuffisants sur l’essentiel.
Pour une salutaire prise de conscience
Mais à toute chose, malheur est bon. Cette crise est peut-être l’occasion pour les États touchés de prendre enfin conscience de l’importance d’une production agricole nationale répondant au minimum vital de la population. Malheureusement, la production agricole prend l’ascenseur pour descendre et l’escalier pour remonter. C’est long, c’est difficile et c’est coûteux. Les milliers d’hectares voire les millions que certains pays pensent pouvoir mettre en culture en peu de temps, à grand renfort de financement internationaux, est un rêve inaccessible d’ici à la prochaine saison et même pour les quelques suivantes. En effet, la mise en œuvre de moyens techniques et humains se fait sur plusieurs années et implique des infrastructures (routes, silos) mais aussi des financements, des banques, etc.
Les produits agricoles sont donc difficiles à protéger au départ ; cela donne l’impression de faire beaucoup d’efforts pour une production insuffisante dans un premier temps, mais c’est le prix à payer. Si nous regardons la France, les efforts qu’elle a consentis depuis des années à l’agriculture paraissaient surdimensionnés, sauf qu’en 2007, lorsque le blé est monté à 300 euros la tonne, le pain était disponible dans les boulangeries. Même à 1 euro la baguette, elle est là et cela n’a pas de prix.
Il faut espérer que la détente sur les prix du blé et autres céréales – qui va immanquablement arriver – ne va pas détourner les États africains de leur obligation, cette fois impérative, d’être autosuffisants sur ces produits de base et donc de protéger leurs marchés et, partant, leurs paysans pour qu’ils puissent à nouveau produire et vivre de leur production. L’industrie agroalimentaire privée viendra alors développer les productions locales car si les États protègent l’essentiel, il est évident qu’ils créent un cadre règlementaire propice à l’investissement privé et que, par là, en rentrant dans ce cercle vertueux, les pays d’Afrique se développeront enfin.
Tribune Libre par Alexandre Vilgrain, PDG de la Somdiaa, pour CAPafrique, publiée par Afrik.com