Crise alimentaire au Niger


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A la fin du mois de mai 2005, le Premier Ministre du Niger Hama Amadou lançait un appel à l’aide internationale face à la grave crise alimentaire que traverse son pays. La malnutrition dont souffre la population est la conséquence d’une campagne agricole déficitaire ayant subi les affres de la sécheresse et de l’invasion acridienne. Afrik s’est entretenu avec Helena Maria Semedo, la responsable de l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO) au Niger, pour faire le point sur la situation.

Helena Maria Semedo, la responsable de l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO) au Niger, revient pour Afrik sur la crise alimentaire que traverse le pays depuis le mois de novembre 2004. Les ressources insuffisantes aux besoins de la population résultent de la dernière campagne agricole 2004-2005, déficitaire tant en matière de production céréalière qu’en matière de production pastorale. A l’origine de la crise : des conditions climatiques particulièrement arides et une invasion de criquets pèlerins. Malgré les rapports des différents acteurs civils et politiques (comme l’Union Européenne et le Programme Alimentaire Mondial), qui soulignent une aggravation de la situation ces dernières semaines, la responsable de la FAO insiste sur l’efficacité du système de gestion et de prévention de la crise alimentaire mis en place par les autorités nigériennes qui écarte tout risque de famine.

Afrik : Il y a 10 jours, le Premier ministre nigérien Hama Amadou a appelé la communauté internationale à une aide d’urgence face à la crise alimentaire que traverse le pays. Quelle est la nature de cette crise ?

Helena Maria Semedo :
Cette crise alimentaire revient de la campagne agricole précédente de 2004-2005, une campagne largement déficitaire que l’on doit à deux facteurs : l’arrêt précoce des pluies, le facteur majeur à 70%, ainsi que l’infestation des criquets pèlerins, facteur à hauteur de 30%. Cette campagne connaît un déficit de la production céréalière de 223 000 tonnes, ce qui est énorme. La production pastorale est également touchée, on note un déficit en fourrage d’environ 4 642 000 tonnes de matière sèche. Du coup, en raison d’une demande largement supérieure à l’offre, le prix des céréales augmente. Au contraire, celui du bétail baisse, à cause du manque d’embonpoint des animaux.

Afrik : Quelles conséquences d’un point de vue humain ?

Helena Maria Semedo :
Les conséquences humaines qui s’en suivent sont connues : malnutrition et malnutrition sévère (un rapport poids/taille inférieur à 70% de la normale), tout particulièrement des femmes et des enfants, dans les régions de Tillaberi, Tahoua, Maradi et Zinder. Les régions de Tillaberi et Tahoua sont touchées très sévèrement. Cela concerne aujourd’hui pas moins de 3 000 villages, soit environ 3,5 millions d’habitants. La population du Niger est très jeune et très pauvre. L’indice de développement humain du pays est l’avant-dernier sur l’échelle mondiale. Les enfants et les femmes sont évidemment les plus touchés dans les régions agricoles, car la plupart des hommes ont émigré à la recherche d’autres solutions. Je reviens d’un tour dans l’ensemble du pays afin de rencontrer les autorités et la population. Les hommes sont très rares ! Il n’y a que des enfants et des femmes. La plupart de ces familles ne consomment qu’un repas par jour, notamment à base de baies sauvages, ce qui ne vient pas améliorer la carence alimentaire dont ils souffrent.

Afrik : Une famine est-elle à craindre ?

Helena Maria Semedo :
En l’état actuel, je ne pense pas que le risque de famine soit d’actualité. Nous traversons une crise alimentaire grave, mais encore gérable par le biais du « Dispositif alimentaire » mis en place par le gouvernement, ses pays partenaires, et les actions des ONG comme le Programme Alimentaire Mondial, l’Unicef, ou encore Médecins Sans Frontières (MSF), qui font un travail remarquable.

Afrik : Y a-t-il des décès ?

Helena Maria Semedo :
A ma connaissance, non. MSF, dont j’ai visité deux centres, ne m’a pas parlé de décès.

Afrik : La crise dont souffre le Niger, pays sahélien en proie à des conditions climatiques particulièrement rudes, n’est pas inédite.

Helena Maria Semedo :
C’est exact. Mais plusieurs points sont à considérer. D’une part, la campagne agricole déficitaire de 2004-2005 fait suite à une année de bonne pluviométrie (2003-2004) et à des années précédentes moyennes. Il est vrai qu’aujourd’hui l’appel est plus prononcé. L’Onu qualifie la crise alimentaire de ces dernières années de « crise silencieuse », dévoilée seulement cette année. D’autre part, l’autre caractéristique de cette crise est qu’elle concerne principalement la bande agropastorale (qui traverse 9 régions, ndlr). Les localités les plus affectées sont celles situées au nord des départements de Tanout, Dakoro, Illéla, Tera et Ouallam.

Afrik : Comment expliquez-vous que cet appel n’ait eu lieu qu’à la fin du mois de mai ?

Helena Maria Semedo :
Ce n’est pas exact. Le gouvernement a fait appel à l’aide internationale dès novembre dernier, et a depuis écrit personnellement à tous ses partenaires. Mais les réponses sont malheureusement plus lentes à venir. De leur côté, les Nations Unies ont lancé un « flash appeal », un appel de fonds de 16 millions de dollars afin de venir en aide aux populations du Niger, fonds qui sera utilisé comme aide alimentaire, ainsi que financement des denrées agricoles et d’aliments complémentaires pour le bétail. Enfin, il servira également à renforcer le dispositif de gestion de crise. Encore une fois, je pense que le Niger est cependant intervenu au bon moment en instaurant un système de vente de céréales à prix modéré. Au-delà de ça, les différents partenaires de la société civile sont intervenus sur place très rapidement.

Afrik : Quel rôle doit jouer la communauté internationale ?

Helena Maria Semedo :
Elle doit aider les populations et le gouvernement à trouver des solutions non seulement financières, mais également structurelles, afin de permettre au Niger de ne plus être aussi dépendant des aléas climatiques. Des efforts ont été faits, le chemin est le bon, mais la marche doit continuer. Il s’agit d’instaurer une véritable politique d’anticipation de l’agriculture par l’intermédiaire de systèmes d’irrigations.

Afrik : Quelles sont justement les mesures prises par le gouvernement ces derniers mois ?

Helena Maria Semedo :
Outre un appel à l’aide international, le gouvernement a mis en place depuis novembre 2004 un dispositif de gestion et de prévention de la crise alimentaire, avec l’aide de ses partenaires, tout particulièrement celle de l’Union Européenne et de la France. Les autorités viennent de lancer, en juin, la 5ème opération de vente de céréales à prix modérée.

Afrik : Concrètement, comment s’organise ce système ?

Helena Maria Semedo :
Le gouvernement dispose de 45 000 tonnes de céréales en stock, par l’intermédiaire de magasins, et son équivalent en moyens financiers. C’est un système de banque de céréales : le gouvernement rachète les tonnes de céréales aux magasins, puis les revend aux Nigériens à un prix modéré, ce qui permet à la population dont le pouvoir d’achat est très faible de pouvoir accéder à la nourriture. Pour exemple, le gouvernement essaie de mettre en vente le sac de 100 kilos de mil à 10 000 FCFA alors qu’il est vendu au marché par un commerçant à 20 000 FCFA.

Afrik : Un tel système ne reçoit-il pas des réticences, voire des protestations de la part des commerçants?

Helena Maria Semedo :
Non, pas à ma connaissance. Au contraire, ce système instaure un équilibre des prix des céréales et incite les commerçants à revoir leurs prix de vente à la baisse, ce qui n’est pas un problème. Par contre, la société civile appelle à une distribution gratuite des ressources céréalières. Pour l’instant, le principe est la vente à prix modéré. Mais le gouvernement est en train actuellement de considérer et d’analyser cette possibilité de distribution gratuite. Il envisage également d’autres solutions, comme le système de « vivres contre travail » déjà en place, tel que des crédits de campagne accordés aux agriculteurs.

Afrik :Comment gérez-vous le problème acridien ?

Helena Maria Semedo :
La FAO a donné une réponse tardive à ce fléau mais nous tentons de nous organiser. Nous disposons de moyens financiers afin de donner des réponses structurelles, mais ces moyens ne sont pas infinis, et sont aujourd’hui presque tous utilisés.

Afrik : Et quant au bétail ?

Helena Maria Semedo :
Le bétail connaît un déficit assez important de 5 millions de tonnes de matières sèches (le fourrage pour l’alimentation du bétail, ndlr) pour la campagne 2004-2005. Il faut reconnaître qu’à ce niveau, contrairement au déficit de la production céréalière, les réponses manquent. L’Association des éleveurs nigériens a pu faire quelques interventions, en mettant à disposition du blé, des grains de coton et des racines pour palier le manque de nourriture destiné aux animaux. Les pluies sont arrivées cette semaine, ce qui redonne espoir. On espère bientôt le fourrage.

Afrik : Quand débute la prochaine campagne agricole ?

Helena Maria Semedo :
Maintenant ! La préparation des champs se fait au mois de juin. Puis arrive la saison pluvieuse en juillet. La préparation de la campagne agricole est un problème. Les agriculteurs ont dû utiliser les stocks de semences, prévus à l’origine pour la campagne 2005-2006, afin de se nourrir. La FAO a apporté des semences, mais je crains que cela soit insuffisant pour préparer efficacement la campagne agricole. Il y a de fortes chances que la crise alimentaire que traverse le Niger depuis novembre 2004 ait des répercutions négatives sur celle-ci.

Afrik : Comment sensibilisez-vous la population à la question du développement ?

Helena Maria Semedo :
Le fond du problème reste effectivement le changement de certaines attitudes culturelles. La région de Maradi, par exemple, est une des plus riches du pays et connaît paradoxalement une situation chronique de crise alimentaire ! La population a pris de très mauvaises habitudes alimentaires, en ne mangeant exclusivement que du mil, peu riche en protéines. Elle souffre ainsi d’importantes carences alimentaires. Nous nous devons de changer les habitudes alimentaires en introduisant les légumes dans les repas quotidiens. Pour cela, on doit augmenter la production des légumes, qui est moins dépendante des pluies que le sont celles des céréales, et qui est moins chère. La crise alimentaire résulte en grande partie d’habitudes culturelles ancestrales qu’il est temps de changer.

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